Bombe démographique à retardement

L’État hébreu n’a pas vocation à gouverner les deux millions de Palestiniens qui peuplent la Cisjordanie. Continuer l’occupation serait une erreur.

Publié le 17 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

En 1996, Robert McNamara, secrétaire américain à la Défense pendant la guerre du Vietnam, publia ses mémoires : In Retrospect (« Avec le recul ») The Tragedy and Lessons of Vietnam. Principal architecte de la guerre, il y reconnaît qu’elle fut une erreur : « Nous avons perdu plus de 58 000 hommes et femmes ; notre économie a été perturbée par des années de dépenses militaires aussi lourdes qu’improprement conçues ; enfin, l’unité politique de notre société a été si ébranlée qu’elle a mis des décennies à s’en remettre.
Et tout cela pour rien : le Sud-Vietnam tomba aux mains des communistes, comme l’avaient prédit ceux qui connaissaient un peu la question.
La guerre du Vietnam n’est pas la seule qui, avec le temps, a fini par être jugée regrettable. En 2002, pour le vingtième anniversaire de la guerre d’Algérie (1954-1962), le quotidien L’Humanité publia un sondage montrant que 71 % des Français pensaient que leur gouvernement avait eu tort, l’indépendance de l’Algérie étant, à la longue, inévitable. Il faut du temps aux gouvernants et aux populations pour admettre des erreurs passées, notamment quand elles ont coûté beaucoup de sang et d’argent tout en blessant la fierté nationale.
Aussi fus-je surpris qu’il fallut seulement vingt-quatre heures après l’évacuation totale des colonies juives et des forces armées de Gaza pour que le dirigeant travailliste Shimon Pérès déclare que la présence israélienne à Gaza pendant trente-huit ans avait été « une grave erreur historique ».
Cela n’a peut-être pas été une erreur aussi grave, par son ampleur, que celles des guerres du Vietnam ou d’Algérie. Néanmoins, ces trente-huit ans ont coûté la vie à de nombreux Israéliens, et à plus de Palestiniens encore. Quant aux pertes matérielles, toute évaluation est incertaine : qui peut dire combien d’argent fut dépensé pour construire ces colonies désormais en ruines et combien il en faudra pour reloger les colons évacués ? Plusieurs milliards de dollars, à coup sûr. Ajoutez à cela les vies brisées de tant d’Israéliens et de Palestiniens par les deux intifadas qui partirent de Gaza et la haine mutuelle qui empoisonna les relations entre les deux peuples. Puis, vous vous réveillez un matin pour entendre Pérès déclarer : « Pardon, camarades, c’était une erreur. »
On crie un peu dans le vide si l’on rappelle que Shimon Pérès, aujourd’hui vice-Premier ministre, fut membre de gouvernements israéliens – et deux fois comme Premier ministre – durant plus de la moitié de ces quatre décennies où Israël occupa Gaza, et qu’il aurait pu, comme tel, avoir quelque chose à en dire. Le plus important, aujourd’hui, est d’utiliser cette tardive sagesse dans l’intérêt de l’avenir, afin qu’Israël ne commette pas d’autres douloureuses erreurs.
En se retirant de Gaza, Israël s’est débarrassé du fardeau d’avoir à gouverner un million de Palestiniens. Mais quid des deux millions qui vivent toujours en Cisjordanie ? Dans son discours à l’ONU, le Premier ministre Ariel Sharon a dit que « nous [les Israéliens] ne voulons pas gouverner les Palestiniens ». Il n’en a pas moins ajouté, en Israël, que les principaux ensembles de colonies juives en Cisjordanie seraient encore renforcés. Cette contradiction peut vite se révéler pernicieuse pour Israël. Les démographes les plus sérieux estiment que dans dix ans environ on comptera plus d’Arabes que de Juifs entre la vallée du Jourdain et la Méditerranée. Si Israël veut rester une démocratie en même temps qu’un État juif, il devrait redessiner ses frontières en fonction des réalités démographiques. En d’autres termes, il devrait se retirer jusqu’aux frontières à l’intérieur desquelles il n’aurait pas à gouverner tant d’Arabes. Abandonner Gaza fut un bon début, mais rester en Cisjordanie peut – du point de vue démographique – se révéler une bombe à retardement.

* Uri Dromi est directeur de recherches internationales avancées à l’Israel Democracy Institute de Jérusalem.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires