Bernard Kolélas

Bientôt amnistié et après huit ans d’exil, l’opposant congolais le plus populaire et le plus controversé rentre au pays.

Publié le 18 octobre 2005 Lecture : 8 minutes.

On peut tout dire de ce bout d’homme sec et fluet de 71 ans, sauf qu’il laisse les
Congolais indifférents. Celui que Brazzaville, en état d’apnée, s’apprêtait à revoir le 14 octobre, après huit années d’exil, est considéré comme un messie ou comme l’incarnation du diable, selon que l’on se trouve de part et d’autre de cette ligne ondoyante de front et de fracture politique, ethnique et historique qui parcourt le pays depuis l’indépendance. Lui : Bernard Kolélas, « Ya Bekol », le Mandela du peuple kongo, l’homme le plus adulé et le plus haï, celui dont le grand retour peut déboucher sur le
meilleur ou le pire des lendemains. Certes, c’est un vieil homme, visiblement affligé par le décès de son épouse, que les quartiers sud de Brazza accueillent avec ferveur, et
tout semble réuni pour que ce deuil bantou soit celui du pardon mutuel et de la paix des curs. L’hospitalisation en France de Jacqueline « Ma Ngundi » Kolélas, le rapatriement de sa dépouille, la veillée nationale au plateau des Quinze-Ans, tout cela a été pris en charge par le président Sassou Nguesso, lequel a également décidé l’ouverture d’une procédure d’amnistie au bénéfice du veuf, condamné à mort par contumace et avec sursis depuis cinq ans. De son côté, Bernard Kolélas a laissé son fils Parfait remercier le chef de l’État pour toutes ses attentions et appeler ses partisans au plus strict des
recueillements. Il n’empêche : nul ne sait au juste ce que ce personnage aussi charismatique qu’incontrôlable entend faire de cette réapparition au milieu des siens. Nul ne croit non plus qu’une fois achevée la période de deuil, celui qui considère la politique et, singulièrement, l’opposition comme un apostolat ira s’assoupir dans une retraite honorifique. Brazzaville, donc, retient son souffle
Douteux parfois, risqué toujours, le combat de Bernard Kolélas résume toute sa vie. Il a à peine 15 ans lorsqu’il reçoit son baptême carcéral dans une prison coloniale. Militant du mouvement politico-religieux matsouaniste, qui se veut nationaliste mais ne recrute en réalité qu’au sein de l’ethnie kongo-larie, cet autodidacte adepte des études par correspondance (il sera bachelier) a toujours été fasciné par la personnalité d’André Matsoua, un ancien combattant devenu une figure légendaire de la résistance anticoloniale, mort en prison en 1942. Au point, plus tard, de laisser ses propres fidèles
affirmer qu’il en est la réincarnation. Au point, surtout, de se réapproprier une recette aussi efficace que volatile : celle qui mêle le mysticisme à la politique Successivement agent au service de la météorologie de Brazzaville, puis inspecteur sanitaire, Bernard Kolélas passe un concours pour une formation de diplomate lorsque survient l’indépendance. Le président Fulbert Youlou, l’abbé aux soutanes Dior, un Kongo comme lui,
le prend sous son aile et le nomme secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. Kolélas a 27 ans et déjà une ambition nationale ancrée dans un anticommunisme viscéral.
La chute de Youlou, à l’issue des « trois glorieuses » d’août 1963, brise net sa carrière
gouvernementale. Désormais, et pendant trente ans, Bernard Kolélas sera un opposant
professionnel égrenant comme un chapelet les séjours en prison. Première arrestation en
août 1963, premières tortures, première relaxe. Février 1964 : bis repetita. Août 1964 : après l’annonce par le président Massemba-Debat de la découverte d’un complot, fuit au
Zaïre et s’installe à Kinshasa où il anime le journal La Résistance. Mars 1965 : échappe à une tentative d’assassinat. Juin 1965 : condamné à mort par contumace. Mai 1966 : arrêté à Kinshasa, torturé, puis expulsé vers le Gabon et la France. Le Kolélas de l’époque est incontestablement un activiste acharné, décidé à renverser un régime dont le socialisme tropical est pour lui le mal absolu. Massemba-Debat renversé en août 1968, il saute dans le premier avion pour Brazza et se voit immédiatement arrêté, sur la piste même de l’aéroport de Maya-Maya. Relâché quelques semaines plus tard, il plonge dans l’action clandestine contre les militaires du Conseil de la révolution, recrute un commando, se procure des armes, est trahi et de nouveau jeté en prison en octobre 1969. Un mois plus tard, il est exhibé, les mains liées derrière le dos, au beau milieu du stade
Félix-Éboué qui jouxte la basilique Sainte-Anne-du-Congo. « Au poteau », hurle la foule déchaînée. Grand seigneur, le camarade commandant Marien Ngouabi, chef de l’État, présent sur les lieux, lui accorde sa grâce. Condamné à la prison à vie par la Cour révolutionnaire, Bernard Kolélas est déporté à Ouesso, dans l’extrême Nord-Ouest, puis à Itoumbi, dans la Cuvette. En août 1975, après six années de privation de liberté, il
regagne Brazzaville et sa maison du quartier de Bacongo. Mais ce n’est qu’un répit.
18 mars 1977. Marien Ngouabi, l’ange rouge de la révolution congolaise, est assassiné par un commando militaire. Kolélas se cache et échappe de peu à la rafle de représailles qui
emporte Massemba-Debat, le cardinal Biayenda (tous deux exécutés) et un certain Pascal Lissouba. Un an plus tard, le général Yhombi Opango, successeur de Ngouabi, le fait arrêter et interner à la cité des Dix-Sept. Motif : complot, encore et toujours. Tortures. Hospitalisation. Énième libération. Épuisé, Bernard Kolélas se réfugie dans un village de sa région du Pool, Ntsouélé, d’où il continue de diriger « sa » résistance. Mais, un jour de mai 1982, la police vient l’y chercher pour le ramener en prison. Le pouvoir, que dirige alors Denis Sassou Nguesso, est persuadé de son implication dans deux attentats à la bombe, contre un cinéma de Poto-Poto et à l’aéroport de Maya-Maya ce qu’il a toujours nié. Suivent quatre années de détention sans jugement avant de recouvrer
une liberté plus que jamais précaire. Progressivement, à Brazzaville et dans tout le Pool, la figure de Bekol est devenue mythique. Les quartiers sud de Bacongo et de Makelekele, le long du fleuve, peuplés à 90 % de Kongos-Laris, sont désormais des bastions de l’opposition clandestine au parti unique. En cette fin des années 1980, alors que s’effondre le mur de Berlin, le Congo vibre. Kolélas en profite pour envoyer deux lettres ouvertes à Sassou Nguesso dans lesquelles il réclame la convocation d’une
Conférence nationale. Il fonde également son propre parti, qui sera légalisé, en même temps que tous les autres, en mai 1990.
En février de l’année suivante s’ouvre à Brazzaville une Conférence nationale souveraine de quatre mois au sein de laquelle Bernard Kolélas, triomphant, joue les premiers rôles. C’est lui qui fait élire André Milongo au poste de Premier ministre de la transition,
avec une contrepartie précise : il sera le seul candidat des « gens du Pool » et de tous ceux qui rêvent d’une restauration symbolique du royaume kongo à l’élection présidentielle
de 1992. Bekol joue, mais Bekol perd. Le soutien en bloc du « kaanda », le clan kongo, ne suffit pas face à Pascal Lissouba, en faveur duquel Denis Sassou Nguesso appelle à voter au second tour. Il récolte un score honorable (39 % des voix) et rebascule aussitôt dans
l’opposition. Ce qui se passe ensuite n’est à l’honneur de personne en ce Congo où les « enfants de Poto-Poto » s’entre-tuent dans les ruelles verdoyantes : deux années ou presque de guerre des milices, marquées par le soulèvement de Bacongo et la brutale répression de l’armée, entre les Zoulous de Lissouba et les Ninjas, cette étrange garde prétorienne formée par Kolélas à grand renfort d’amulettes, d’incantations bibliques, de ganja et de kalachnikovs. Le calme, un calme éphémère, revient début 1994 avec l’accession de Bernard Kolélas à la mairie de Brazzaville. Celui dont le domicile a été détruit par les bombardements de novembre 1993 se voit désormais en Gandhi congolais :
« J’ai pardonné, confie-t-il alors à J.A.I., je suis un homme d’idéal, un homme de morale, d’amour, d’équité et de vérité. »
Lorsqu’éclate, le 5 juin 1997, la sanglante guerre civile entre les partisans du président Pascal Lissouba et ceux de Denis Sassou Nguesso, Kolélas se tient donc tout naturellement à équidistance des deux belligérants. Son quartier de Bacongo, épargné par les combats, devient un refuge et un havre de paix relative sous le règne erratique des chefs Ninjas. Il tiendra trois mois cette position de neutralité, jusqu’à sa décision, a posteriori aberrante, d’accepter le poste de Premier ministre offert par Lissouba. Une double erreur, puisqu’elle entraîne sa milice et son peuple de fidèles dans une guerre qui leur coûtera très cher et parce qu’au prisme des atrocités dont Brazzaville fut alors le théâtre va se révéler l’autre face, dure, parfois impitoyable, de Bernard Kolélas. Dans ses prisons privées de Bacongo, dans l’enceinte même de sa résidence, on incarcère, on torture, on affame, sur fond de prières collectives et de séances hallucinatoires d’imposition des mains. 14 octobre 1997: c’est la défaite, la débandade.
Les Cobras « nettoient » Bacongo, Sassou s’installe au pouvoir, Lissouba et Kolélas s’enfuient. Ce dernier s’installe d’abord à Abidjan, d’où il se fera expulser sept mois plus tard pour « manquement à son obligation de réserve ». On le retrouve ensuite à
Washington où vit l’un de ses fils, puis à Bamako, au Mali, où cet homme aux semelles de vent finit par déposer, fiévreux, ses valises.
Obsédé par l’idée d’un retour au pays par n’importe quel moyen, d’autant que ses conditions de vie à Bamako deviennent de plus en plus précaires (« Sur le plan financier, par rapport à mes concurrents, je suis un nain », expliqua-t-il un jour à J.A.I.), Bernard Kolélas va dès lors tenter d’utiliser deux sésames. Celui de la déstabilisation,
tout d’abord : le 15 décembre 1998, ses Ninjas s’emparent de la moitié de Brazzaville avant d’en être chassés par l’armée, au prix d’une terrible répression. Celui de l’entrée par effraction, ensuite : à trois reprises et malgré sa condamnation par contumace, il tente de forcer la porte et de débarquer, seul, à Brazzaville, quitte à être aussitôt
arrêté. Empêché, in extremis, de le faire le pouvoir congolais avertit les compagnies
aériennes susceptibles de l’acheminer sur Brazzaville qu’elles y seront interdites d’atterrissage , Bekol met les rieurs de son côté : lui veut aller en prison, alors que ceux qui l’ont condamné refusent de l’y mettre. C’est, en définitive, une troisième voie, non choisie celle-là, qui le ramène désormais chez lui. Son domicile ayant été une fois de plus détruit, c’est auprès de ses proches que Bernard Kolélas devait vivre, les 14 et
15 octobre, les cérémonies de séparation et d’inhumation puis, dans quelques semaines, celle du retrait de deuil de Ma Ngundi. Les palmes, les guirlandes, les pagnes et les teeshirts à son effigie rejoindront le rayon des rituels de la mort bantoue. Que fera alors Bernard Kolélas ? Pour respirer de nouveau, tout Brazzaville attend la réponse.

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