Une page se tourne

Avec le décès de Kerfalla Camara, ex-chef d’état-major et compagnon de toujours, le président Conté perd l’un des derniers piliers de son pouvoir.

Publié le 18 septembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Il n’a jamais atteint Cuba. Une rupture des varices sophagiennes au cours du vol régulier qui relie Conakry à Paris, où il devait transiter, a écourté le trajet. Le général Kerfalla Camara est mort le 10 septembre, à l’hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce, sept jours après avoir atterri sur une civière à l’aéroport de Roissy. À 66 ans, l’ancien tirailleur sénégalais a été vaincu par un cancer du foie contre lequel il luttait depuis qu’il lui avait été révélé par les médecins de l’hôpital des Forces armées royales du Maroc, en septembre 2001.
Le fait est assez rare pour être signalé : dans ce pays musulman, plutôt prompt à pardonner aux morts, la nouvelle de sa disparition en a réjoui plus d’un. Notamment les habitants des quartiers populaires de Bambeto, Cosa, Hamdallaye qui n’ont pas oublié la dure répression des manifestations de janvier et février 2007 dont Kerfalla Camara fut le maître d’uvre. Détenteur du pouvoir du 12 au 23 février, où l’état de siège était en vigueur, il a opposé kalachnikovs et matraques aux mains nues des manifestants. Bilan : 120 morts, plusieurs centaines de blessés, des dizaines de millions de dollars de dégâts matériels, des pillages imputés notamment aux militaires. Les Guinéens ont gardé en mémoire certaines phrases prononcées par le général au plus fort de la crise : « Aucun attroupement ne sera toléré. J’ai donné l’ordre à l’armée de tirer sans sommation sur tout regroupement de personnes, si minime soit-il. »

Incarnation jusqu’à la caricature des dérives du régime Conté, Kerfalla Camara figure sur tous les rapports relatifs aux violations des droits de l’homme intervenues au cours des dramatiques événements de ce début d’année. Il fait également partie d’une liste de personnalités visées par une plainte pour crimes contre l’humanité en cours de rédaction par des organisations de la diaspora guinéenne
Avec lui s’en va l’un des derniers officiers qui, le 3 avril 1984, ont pris le pouvoir par les armes. Un des rares survivants du Comité militaire de redressement national (CMRN), la structure mise en place par la junte au lendemain du coup d’État, il laisse le président Lansana Conté, isolé par le pouvoir et la maladie, encore plus affaibli.
Les deux hommes se côtoient depuis le 1er octobre 1959, date à laquelle Kerfalla Camara intègre les rangs de l’armée guinéenne. Cette même année, il est envoyé en Russie pour y suivre une formation en génie civil à l’Académie militaire de Moscou. Muni de son diplôme d’ingénieur, il retourne dans son pays en 1964. Et y exerce les fonctions de commandant du Génie bâtiment et d’officier adjoint du camp Samory-Touré de Conakry, de 1965 à 1984.

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Il a le grade de capitaine quand intervient le coup de force d’avril 1984. Membre du CMRN, il est nommé ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat. Mais un scandale retentissant l’éclabousse : avec la complicité du capitaine Kabinet Kaba, gouverneur de la Banque centrale – qui sauve sa tête en quittant le pays pour se réfugier en Côte d’Ivoire -, il affecte dans des conditions plus que troubles la « Cité des chemins de fer », une importante réserve foncière au cur de Conakry, à un obscur Béninois. Si ce dernier et Kaba s’enfuient pour ne pas être inquiétés, Kerfalla Camara, lui, reste mais perd son fauteuil dans le gouvernement ainsi que sa bonne réputation. Et atterrit au poste de secrétaire permanent (numéro deux) du CMRN. Avant d’être peu à peu éloigné du centre du pouvoir, et même du pays. Nommé gouverneur de Conakry, il devient commandant de la région militaire de Kankan, puis de celle de Nzérékoré Avant de conduire au Liberia, puis en Guinée-Bissau, le contingent guinéen au sein de l’Ecomog, la force ouest-africaine d’interposition.
De retour dans son pays, Camara est promu au grade de colonel et nommé inspecteur général des forces armées, fin 2000. Après un voyage médical au Maroc, où on lui diagnostique un diabète et un cancer du foie, Conté l’élève au rang de chef d’état-major général des armées.

Simple coïncidence ou calcul du chef de l’État, convaincu de ne rien risquer avec un chef des troupes condamné par une maladie grave ? En tout cas, les promotions se succèdent : colonel en 2001, général de brigade en 2002, général de division en 2003, général de corps d’armée en 2006
Cette ascension fulgurante du chef d’état-major constitue d’ailleurs l’une des raisons invoquées par des hommes du rang pour conduire la violente révolte du 2 au 15 mai 2007. L’insurrection, qui fait huit morts civils par balles perdues et des dizaines de blessés, a failli coûter son fauteuil à Lansana Conté. Qui, pour s’y maintenir, consent le 12 mai à se débarrasser de huit membres de l’état-major, dont Kerfalla Camara en personne ; son ex-adjoint devenu ministre de la Défense, Arafan Camara ; l’intendant général Bambo Fofana
Déchu, accusé de malversations (dès 1996, il aurait détourné avec ses collaborateurs les primes des hommes du rang), le chef des armées est accablé de toutes parts. Ce Soussou – comme Conté -, originaire de Madina Oula, près de Kindia, reçoit un nouvel affront : des soldats issus de son ethnie, qu’il a lui-même recrutés, profitent de la révolte de mai pour saccager ses propriétés au « village ». Sa santé se dégrade d’autant plus vite que les soulèvements de la population puis de l’armée l’obligent à reporter un rendez-vous médical au Maroc prévu depuis janvier 2007. Le 3 septembre, il est évacué dans un état grave.

Kerfalla Camara laisse derrière lui trois épouses, dix enfants, des affaires réputées prospères Et un compagnon d’armes préoccupé. « Kerfalla m’avait demandé, s’il meurt avant moi, de veiller à ce qu’il soit enterré dans son village, a lancé Conté aux hauts officiers, le 11 septembre, au camp Samory. Je vous demande de faire la même chose le jour où Dieu m’ôtera la vie. » Tout un message

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