Sarko-Boutef : ce qu’ils se sont dit

Comment Yasmina Reza et Jean Daniel racontent, chacun à sa façon, les échanges entre les deux hommes.

Publié le 18 septembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Dans L’Aube le soir ou la nuit(1), livre phare de la rentrée en France, où l’on suit pas à pas Nicolas Sarkozy pendant la campagne pour la présidentielle de mai 2007 (voir J.A. n° 2434), Yasmina Reza raconte un échange, à Alger, entre le futur chef de l’État français et le président algérien Abdelaziz Bouteflika.
On est en novembre 2006. La scène se passe sans journaliste autre que l’inévitable Jean-Pierre Elkabbach, aujourd’hui patron de la radio Europe 1, mais surtout natif d’Oran et partisan déclaré de Sarkozy. Encore ministre de l’Intérieur, ce dernier prend la parole pour évoquer la santé de Bouteflika, victime à la fin de 2005 de graves ennuis digestifs qui lui ont valu une longue hospitalisation à l’hôpital parisien du Val-de-Grâce.
« Monsieur le Président, on vous retrouve en pleine forme.
– Oui, j’ai eu un accident mortel et je n’en ai aucune séquelle. Pour faire ce métier, il faut une santé de fer.
– Si, par extraordinaire, je deviens président, j’aurai le bonheur de travailler de longues années avec vous.
– Si Dieu le veut.
– Donc moi je dois mon avenir aux électeurs et vous à Dieu. »
Rapidement, donc, les deux hommes en sont venus au sujet de l’heure, la candidature de Sarkozy. Bouteflika enchaîne :
« Vous avez du cran et du caractère. Des qualités essentielles. La souffrance se voit sur votre visage. Vous avez quelques rides. Deux kilos de plus ne vous feraient pas de mal.
– On s’approche de l’échéance, monsieur le Président. Mais je ne suis pas anxieux. Je suis prêt.
– Vous allez passer un examen, cher ami. Quand on a bien travaillé, il n’y a rien de déshonorant à échouer. Vous n’avez aucune raison d’être anxieux. Car si ça ne marche pas cette fois-ci, ça marchera la prochaine fois.
– Il faut que ça marche, là.
– Vous avez un atout de taille, c’est l’âge.
Après quelques instants de silence, Bouteflika reprend :
– qui doit vous donner toute la sérénité du monde. »
Comme le souligne Yasmina Reza, les deux hommes ont à cur d’utiliser les formules qui conviennent au statut de l’un et de l’autre. Même s’il est sûr de son fait, Sarkozy n’est encore que candidat à la magistrature suprême. D’une certaine façon, Bouteflika le lui fait remarquer en l’appelant « cher ami », alors que son invité abonde en « Monsieur le Président ». Derrière les conventions diplomatiques pointe néanmoins un sentiment de bienveillance de l’aîné (né en 1937) à l’égard de son cadet de dix-huit ans.
Mai 2007, Nicolas Sarkozy est élu à la présidence. Trois mois plus tard, au moment où le livre de Yasmina Reza sort en librairie, avec le succès que l’on sait, La Revue pour l’intelligence du monde(2) publie dans son n° 10 une interview de Jean Daniel, le directeur du Nouvel Observateur, originaire lui aussi d’Algérie : il est né à Blida, à quelque 50 km au sud d’Alger. En juillet, il a accepté, non sans réticences, de faire partie de la délégation officielle accompagnant Sarkozy dans sa tournée au Maghreb.
À Alger, le 10 juillet, le tout nouveau président français bénéficie d’un accueil particulièrement chaleureux. « Dès l’arrivée, relève Jean Daniel, le président Bouteflika gravit quelques marches de l’escalier de coupée, alors que l’usage est, paraît-il, de n’en monter aucune »
Les deux chefs d’État ont manifestement bien préparé leur rencontre, et Jean Daniel découvre chez le président français une connaissance du dossier algérien qui l’impressionne. Mais, plus que le fond, c’est la forme qui séduit. Sa volubilité, sa volonté de convaincre, sa façon de prendre le bras pour insister, et puis le prénom qui arrive tout de suite : ce descendant de Hongrois a tout du pied-noir
Qu’on ne s’y trompe pas, toutefois. Le rapport de Sarkozy avec l’Algérie n’a rien d’affectif. « Il revendique avec complaisance, au contraire, le fait de n’avoir jamais été associé aux convulsions et aux guerres. Il n’avait pas l’âge. C’est pourquoi, selon lui, il peut refuser la repentance que Bouteflika réclame. »
Au cours du déjeuner, Bouteflika félicite à nouveau Sarkozy pour son élection. Ce dernier rappelle que, ministre de l’Intérieur, il est allé plusieurs fois en Algérie. « Vous m’avez donné des conseils », ajoute-t-il. « Non, rectifie le président algérien, des avertissements. » Yasmina Reza avait-elle bien noté ?

1. L’Aube le soir ou la nuit, de Yasmina Reza, éditions Flammarion, 196 pages, 18 euros.
2. La Revue pour l’intelligence du monde, n° 10, septembre-octobre 2007, 164 pages, 7,50 euros.

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