Qu’est-il arrivé à Fouad Ali El-Himma?
Désormais au moins, les choses sont claires. Ceux qui s’obstinaient à croire que l’ancien ministre délégué à l’Intérieur, bras droit du roi pendant huit ans et député depuis le 7 septembre, allait être choisi pour diriger le prochain gouvernement marocain avaient tout faux. Fouad Ali El-Himma l’a lui-même confirmé sur la chaîne de télévision 2M, au soir du 10 septembre, balayant la rumeur d’un simple « c’est une erreur » et laissant entendre au passage qu’il se tiendrait pour l’instant à l’écart de toute responsabilité gouvernementale. En annonçant le 7 août sa démission, afin de se présenter en candidat libre à l’élection législative dans sa circonscription natale de Benguerir, l’ex-« homme fort » de Mohammed VI n’avait-il pas assuré qu’il ne cachait aucun agenda secret ? Dont acte.
Étonnés, parfois médusés, les téléspectateurs marocains ont découvert un personnage qu’ils ne connaissaient pas, et qui, à chaque minute d’une interview de près d’une heure, a mis en scène son nouveau rôle avec conviction : celui d’un député de Sa Majesté, sans parti, à part, ailleurs, délivré de l’obligation de réserve, attaquant de front les islamistes et « ceux qui tentent de nous maintenir dans un cercle vicieux marqué par le désespoir, l’illusion et la destruction », délivrant des labels de patriotisme et faisant l’éloge du développement régional et du travail de terrain. « Mon objectif, a-t-il répété, est d’être au service de mon pays et de mon roi, à partir d’une autre position. » La parole de celui qui se réserve désormais le droit d’intervenir publiquement au coeur des grands débats du moment pourra-t-elle être interprétée comme étant l’expression de la pensée du souverain, dont le champ d’expression se limite aux rituels discours officiels ? Poser cette question revient à en poser une autre : qu’est-il arrivé à Fouad Ali El-Himma ? Pourquoi a-t-il démissionné ? Est-ce une disgrâce ?
La réalité, comme souvent au Maroc, est en clair-obscur. Lorsque, le 7 août, un communiqué officiel annonce le départ du gouvernement, à sa demande, du ministre délégué à l’Intérieur, le paysage politique marocain se scinde en deux camps. Ceux qui estiment qu’il s’agit d’un limogeage pur et simple ; et ceux qui pensent que le roi prépare son très fidèle et très loyal serviteur à de plus hautes fonctions – Premier ministre, par exemple.
Il faut dire que Si Fouad paraît aussi incontournable qu’indispensable. Cet enfant d’instituteur, compagnon de jeunesse du fils de Hassan II, qu’il côtoya au Collège royal puis à la faculté de droit avant de diriger le cabinet de celui qui n’était encore que prince héritier, est un peu l’archétype de la « génération M6 » arrivée au pouvoir en 1999. Très vite, cet homme jeune, simple et affable, qui reçoit le soir chez lui en jean et tee-shirt, va concentrer entre ses mains presque autant de pouvoirs qu’un Driss Basri, dont il est pourtant l’antithèse.
D’abord en tandem avec le chef des services, le général Hamidou Laanigri, qui le forme, puis seul, après la marginalisation progressive de ce dernier, El-Himma est l’homme clé de tous les dossiers chauds : sécurité, Sahara, relations avec les partis politiques et la société civile, médias, islamistes, etc. Ouvert et libéral, Si Fouad a l’oreille du « patron », auprès de qui il fait montre d’une constante disponibilité – et cela se sait. Il a ses hommes et son embryon de cour ; on fait la queue pour un entretien avec lui. Dès lors, qu’un tel personnage au faîte de sa puissance supposée prenne de lui-même la décision de démissionner pour briguer un siège de député, voilà qui paraît inconcevable. « S’il part, c’est que le roi le lui a ordonné », assure-t-on. Très rares sont ceux qui voient derrière cette démission un symbole démocratique et un signe d’abnégation : « Ce serait trop beau pour être vrai. »
En fait, la vérité se trouve sans doute quelque part entre ces deux pôles, à la conjonction d’une double démarche. Celle du roi, tout d’abord, qui est de rappeler qu’il n’existe pas au Maroc de « numéro deux » – un label qu’El-Himma n’a jamais revendiqué, mais dont on avait fini par l’affubler à son corps défendant. Après huit années ou presque d’exercice, la « formule » avait en outre fini par donner des signes d’usure : son plus proche collaborateur concentrait certes beaucoup de pouvoirs, mais aussi beaucoup de critiques – fondées ou non -, et le roi le savait.
De son côté, épuisé par la tâche, marqué aussi par un épisode récent (fin 2006-début 2007) de semi-disgrâce qui avait duré près de quatre mois, El-Himma souhaitait confusément faire une pause dans sa carrière. Sans que l’on sache très bien qui des deux a pris l’initiative – si El-Himma a en quelque sorte devancé l’appel, ou si Mohammed VI a pris les devants -, les deux hommes parviennent, début juin, à la même conclusion. Elle sera tenue secrète pendant deux mois, avant que le ministre délégué n’en informe ses amis au cours d’un dîner, la veille du 7 août : « Je quitte le gouvernement. »
Évidemment, dès la nouvelle connue, les spéculations vont bon train. Ennemi, courtisan ou obligé prompt à retourner sa veste, chacun y va de son explication. On parle de querelles de Palais, de faux-pas dans la gestion de tel ou tel dossier Et même d’un incident au poste-frontière de Bab Sebta, où El-Himma, venu inspecter l’application de l’état d’alerte antiterroriste maximum décrété à son initiative, début juillet, dans tout le royaume, s’en serait pris aux forces de l’ordre, réputées laxistes en cet endroit sensible, avec une grande virulence peu appréciée en haut lieu. « C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », croit-on savoir. Or l’incident est survenu dans la nuit du 3 au 4 août, alors que le principe de la démission d’El-Himma était acquis depuis longtemps, et le roi avait évidemment été informé à l’avance de ce déplacement. Mais rien n’y fait : au Maroc comme ailleurs, on n’aime rien tant que les rumeurs.
Pour Fouad, pas de transition. À peine démissionnaire, le voici lancé à corps perdu dans la bataille pour récupérer un siège de député qu’il avait déjà occupé brièvement, au milieu des années 1990, à l’occasion d’une élection partielle concoctée à l’époque par un certain Driss Basri.
Dans la région déshéritée des Rehamna, qui l’a vu grandir, l’enfant du pays mène campagne tambour battant au volant de son 4×4, avec meetings quotidiens, « people » descendus de Casablanca pour le soutenir, meute de journalistes et site Internet. Sa sincérité et sa simplicité font merveille auprès d’un électorat convaincu que « l’ami du roi » saura mieux qu’un autre faire entendre sa voix à Rabat. « Enfant du Makhzen, va-t-en, Rehamna ne t’appartient pas ! » lancent sur son passage quelques militants d’extrême gauche.
Peine perdue : le 7 septembre, El-Himma est élu avec 72 % des voix dans une circonscription où le taux de participation a été de cinq points supérieur à la moyenne nationale. Pour l’ancien ministre, qui s’est jeté avec ravissement dans la campagne, découvrant au passage bien des réalités qu’il ignorait, c’est ce qu’on appelle une sortie en beauté. « Il s’est grisé pour oublier, c’est maintenant que le vide va apparaître », murmurent les mauvaises langues. Mais Fouad n’a cure des ragots, il savoure encore sa victoire.
Pourtant, ce personnage réfléchi, intuitif et plus complexe qu’on ne le croit sait qu’un autre avenir se profile désormais devant lui. Lequel ? Première évidence : il ne reviendra pas de sitôt aux affaires. Son éloignement du gouvernement pourrait durer au moins jusqu’en 2012 – date des prochaines législatives – et peut-être au-delà. Deuxième évidence : il n’y a entre le roi et lui aucune rupture, pas même une prise de distance. Toujours attentif à son compagnon de jeunesse, Mohammed VI a pris soin de ne surtout pas donner cette impression. Fouad fréquente toujours le Palais et il a discrètement accompagné le roi lors de sa toute dernière tournée dans la région de Khouribga.
En fait, tout semble indiquer qu’El-Himma se prépare à jouer un rôle original : une sorte de relais, de courroie de transmission et de porte-parole, sur les terrains médiatique et parlementaire, entre l’État-monarchie et l’opinion, chargé au besoin de missions sensibles, expression hors champ et hors gouvernement de la volonté et de la sensibilité royales. Il y gagnerait en visibilité ce qu’il a d’ores et déjà perdu en puissance. Dans l’immédiat, il s’apprête à lancer, à Casablanca, deux quotidiens, l’un en français, l’autre en arabe. En attendant de revenir, un jour, sur le devant de la scène. Après tout, Si Fouad n’a que 44 ansÂ
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