Les vertus de la transparence

Victoire logique de l’Istiqlal, bon score – sans plus – du PJD et déroute de la gauche : les législatives du 7 septembre sont loin d’avoir donné lieu au raz-de-marée islamiste annoncé.

Publié le 18 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

« Raz-de-marée », « tremblement de terre », « tsunami » Tous les médias français promettaient au Maroc une sorte de cataclysme électoral à l’occasion des législatives du 7 septembre : la victoire du Parti de la justice et du développement (PJD) paraissait ne faire aucun doute. Sur les 325 sièges que compte la Chambre des représentants, la formation islamiste, qui avait obtenu 42 députés en 2002, était, par avance, généreusement créditée du double, voire davantage : « 80, 85, 100 sièges. » Avec, à la clé, des interrogations apocalyptiques sur l’avenir de Mohammed VI et de la monarchie, sans parler des grands chantiers de modernisation lancés, de Rabat à Tanger, aux quatre coins du royaume.
Apparemment, un détail a rendu de telles prévisions irrésistibles : les partis islamistes marocain et turc portant le même nom, on avait tendance à leur conférer une égale importance. Du coup, le PJD, comme l’AKP, paraissait promis à une victoire électorale écrasante
Suggérons une lecture moins lyrique des élections marocaines. D’abord, leurs résultats ne constituent pas à proprement parler une « surprise ». On savait que le scrutin du 7 septembre ne donnerait lieu à aucun chambardement. Depuis le précédent, en 2002, les principales forces politiques (USFP, Istiqlal, PJD, Mouvement populaire, RNI/UC, etc.) ont connu une remarquable stabilité. Le découpage électoral et le scrutin proportionnel aidant, leurs scores respectifs avaient toutes les chances d’osciller entre 30 et 60 sièges. Ce qui était en cause, c’était moins un hypothétique bouleversement du paysage politique que la hiérarchie entre ses composantes.
Que l’Istiqlal arrive en tête n’a rien pour surprendre ; sa victoire est amplement méritée. Le parti nationaliste a réussi à se rajeunir en donnant toute leur place aux « technos » (Adil Douiri, Karim Ghallab, Taoufiq Hejira, etc.), tout en sauvegardant son homogénéité. Ses militants ont mouillé leur chemise et mené une excellente campagne. Un cas exemplaire : Yasmina Baddou, ministre de la Famille, qui, à Casablanca, affrontait Abderrahim Lahjouji, un ancien patron des patrons proche du PJD, et un islamiste pur et dur, Abdelbari Zemzmi, un harangueur de foules réputé imbattable. Or c’est elle qui l’a emporté.
À l’évidence, le PJD a pris ses désirs pour des réalités. Dans un premier temps, il a, pour expliquer sa défaite, incriminé « la corruption ». Mais, fort de ses 46 sièges, il n’a aucune intention de « casser la baraque ». Il n’insulte pas l’avenir et se préserve sagement pour occuper la place qui lui revient « au gouvernement ou dans l’opposition ».
Le score (41 sièges) du Mouvement populaire est également dans la norme. Fondé au lendemain de l’indépendance par Mahjoubi Aherdan, ce parti à vocation rurale et berbère est en proie à des dissensions récurrentes et fait partie depuis toujours du paysage politique. Dans certaines régions, il bénéficie d’une influence tellement stable qu’on peut parler à son propos de vote captif.
Le Rassemblement national des indépendants (RNI) et l’Union constitutionnelle (UC) obtiennent respectivement 39 et 27 sièges. Ce sont des formations de notables, qui, au fil des années, ont réussi à se trouver une place et un rôle. Alors qu’ils étaient à l’origine des « partis de l’administration » totalement dépendants du ministère de l’Intérieur, ils ont acquis leur autonomie et servent aujourd’hui d’appoint pour constituer les coalitions appelées à gouverner.
Quant au Parti du progrès et du socialisme (PPS, ex-communiste), qui fait partie de la Koutla, il obtient 17 sièges, mais son secrétaire général, Moulay Ismaïl Alaoui, et Nabil Ben Abdellah, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, ont été battus.
Mais l’événement de ces élections est l’effondrement de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), qui n’obtient que 38 sièges, soit 14 de moins qu’en 2002, et passe de la première place à la cinquième. La plupart de ses ministres, tels Mohamed Achaari (Culture) ou Nezha Chekrouni (Marocains résidant à l’étranger), ont mordu la poussière. Comme la victoire de l’Istiqlal, la défaite de son partenaire socialiste de la Koutla est méritée. Et personnalisée.
À l’évidence, Mohamed Elyazghi, son premier secrétaire, en porte dans une large mesure la responsabilité. Homme de certitudes, assoiffé de reconnaissance sociale, il rêvait de succéder à Abderrahim Bouabid, disparu en janvier 1991, puis à Abderrahmane Youssoufi. Mais une fois son rêve réalisé, il n’a eu de cesse de contrôler les appareils et les instances du parti, quitte à en éloigner les meilleurs éléments ou les forces vives (jeunes, femmes). Alors que les fiefs de l’USFP ont été laissés à l’abandon pendant la campagne, il ne doutait pas de réussir à conserver ses positions et se voyait même en futur Premier ministre. Parachuté à Tanger, son propre fils a été sèchement battu, de même que Driss Lachguer, son numéro deux.
Elyazghi tirera-t-il de cette défaite les conclusions qui s’imposent ? Au sein du parti, des voix s’élèvent pour réclamer sa démission et la convocation d’un congrès extraordinaire. Mais l’autocritique n’est pas vraiment le genre du premier secrétaire, qui préfère s’abriter derrière le bon score de la Koutla (Istiqlal, USFP, PPS, soit 107 députés au total) pour occulter son échec.
Au-delà des performances des principales formations, le taux de participation a retenu, à juste titre, l’attention. 37 % est un score très faible, largement inférieur à celui de 2002 (52 %) mais aussi aux prévisions du ministère de l’Intérieur, qui tablaient sur la stabilité. Les élections ont été régulières et n’ont donné lieu à aucune intervention des autorités pour les orienter ou les « réguler ». Mais seul un Marocain sur trois s’y est intéressé. C’est assurément préoccupant.
Mais il existe aussi des motifs de satisfaction. D’abord, parce que, pour la première fois, on dispose de vrais chiffres. Ensuite, parce qu’on sait désormais à quoi s’en tenir sur l’intérêt des citoyens marocains pour la chose publique. Avec 37 % de participation, il est clair qu’on a affaire à une crise du politique. Contrairement à ce qu’on a pu écrire ici ou là, il ne s’agit pas d’une dépolitisation, mais plutôt de l’inverse. C’est en effet dans les campagnes qu’on a le plus voté, alors que les habitants des quartiers très « politiques » de Casablanca se sont très peu déplacés (27 %). Les Marocains n’ont pas voté massivement parce que l’offre (les candidats) ne correspondait pas à leurs attentes et à leurs besoins. Le temps des notables est révolu, on est en quête d’élites nouvelles, en phase avec « le Maroc qui bouge » et susceptibles d’exprimer les intérêts de ceux qui aspirent à profiter du changement.
À cet égard, un fait mérite qu’on s’y arrête : l’expérience de Fouad Ali El-Himma. Ministre délégué à l’Intérieur et plus proche collaborateur du roi il y a encore un mois, il a démissionné pour solliciter les suffrages de ses concitoyens, chez lui, à Rehamna, une région déshéritée proche de Marrakech. Sa proximité avec le Palais l’a sans doute aidé, mais il a mené une vraie campagne. Sur sa liste figuraient notamment une ancienne journaliste respectée et un expert d’envergure internationale. Tous ont été élus. Avec 72 % des voix et une participation de 42 %. Lorsque El-Himma est entré en lice, on s’est beaucoup interrogé sur le sens de son geste. Mais n’était-il pas simplement l’exemple à suivre pour susciter l’émergence de nouvelles élites dont le Maroc a désespérément besoin ?

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