La Sonatrach en maître du jeu ?

Le bras de fer entre la société algérienne et le tandem Repsol-Gas Natural annonce d’âpres négociations entre Alger et Bruxelles.

Publié le 18 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

La Sonatrach donne décidément bien des maux de tête à ses partenaires espagnols. Après avoir dernièrement remis en cause le projet de gazoduc Medgaz devant relier l’Algérie à l’Espagne et renégocié à la hausse le prix de vente de sa production, la compagnie publique algérienne a résilié, le 3 septembre, unilatéralement un accord la liant aux sociétés espagnoles Repsol et Gas Natural concernant l’exploitation des gisements gaziers de Gassi Touil dans l’est du pays. Une décision non commentée par la Sonatrach dans un premier temps. Mais l’annonce par la presse financière de l’annulation de ce contrat et sa justification par des motifs politiques (accueil favorable du gouvernement Zapatero au plan d’autonomie du Sahara occidental proposé par les Marocains) ont contraint ses dirigeants à s’expliquer deux jours plus tard. Dans un communiqué de presse peu détaillé, la Sonatrach reproche à ses partenaires ibériques d’être à l’origine d’un « fiasco industriel », ne pouvant tenir les délais pour la réalisation des installations. Cet accord majeur, signé en 2004, prévoyait la création d’une société commune pour l’exploitation du site et un investissement de 5,2 milliards d’euros sur quarante ans. Les travaux de développement portaient sur le forage de 52 puits, l’exploitation des 16 déjà existants ainsi que la mise en place d’un complexe de traitement de 22 millions de m3 de gaz par jour. Les espagnols s’étaient engagés à livrer le dispositif en 2009. Outre le dépassement du devis initial, dû à une forte hausse des coûts industriels, ils ne seraient pas en mesure d’assumer leurs engagements avant 2012. La Sonatrach ajoute toutefois que ce litige ne remet pas en cause ses relations avec Repsol sur d’autres projets.

Révision des partenariats étrangers
« C’est un peu comme si vous disiez à votre boulanger qu’il produit le pain le plus mauvais de la ville et que vous continuiez à lui acheter vos brioches et vos croissants. En fait, les bisbilles algéro-espagnoles entrent clairement dans le cadre d’une négociation difficile et multiforme sur les différents aspects de la coopération énergétique », commente un diplomate européen. Pour rappel, cet accord sur Gassi Touil a été négocié en 2003, une période où le prix du gaz était à son plus bas niveau. La politique énergétique algérienne consistait alors à attirer les firmes étrangères et privilégiait l’entrée majoritaire de ses partenaires dans des contrats de partage de production. Le président Abdelaziz Bouteflika promettait même de libéraliser totalement l’exploitation des champs pétrolifères et gaziers. Profitant de la situation, Repsol et Gas Natural ont saisi cette opportunité pour devenir actionnaires majoritaires sur le projet et négocier des bénéfices sur l’exploitation et la commercialisation du gaz sur le marché européen. Mais, très vite, la flambée des cours des hydrocarbures a mis les pays producteurs en position de force.
Bouteflika a fait machine arrière en juillet 2006 en amendant fortement la réforme promise. Alors que le texte initial de la nouvelle loi sur les hydrocarbures prévoyait une participation de la Sonatrach allant de 20 % à 30 % dans tous les projets d’exploration, production et commercialisation, la part de l’entreprise publique ne peut plus être inférieure à 51 %. Dans le même temps, les autorités ont fortement relevé la fiscalité du secteur dès que le cours du baril dépasse les 30 dollars. Inspiré par les russes et les vénézuéliens, le président algérien ne compte pas laisser aux majors étrangères les juteuses retombées de la manne pétrolière et gazière. Depuis 2005, Alger réclamait notamment une revalorisation de 12 % sur une partie du gaz qu’elle commercialise en Espagne. Après le retrait de Total et BP, la Sonatrach demandait également à monter en puissance dans le capital de Medgaz. Ce gazoduc doit relier le port de Béni Saf, à l’ouest d’Oran, à la ville espagnole d’Almeria, distante de 200 km. Il acheminera 8 milliards de m3 de gaz supplémentaires vers l’Espagne en 2009 – contre 9 milliards actuellement – puis 16 milliards dès 2015. Les algériens menaçant de geler le projet, les espagnols ont dû céder en juillet dernier sur les deux points. La Sonatrach a obtenu sa revalorisation tarifaire et 36 % des parts de Medgaz au lieu des 24 % initiaux. Les autres partenaires sont Cepsa (20 %), Iberdrola (20 %), Endesa (12 %) et enfin Gaz de France (12 %).
Après ce douloureux compromis, les espagnols ne s’attendaient certainement pas à la remise en cause du projet de Gassi Touil. Il faut dire que la Sonatrach a d’excellentes cartes en main et compte les exploiter au maximum. La société n’a pas indiqué, pour le moment, si elle désirait exploiter seule ou avec de nouveaux partenaires le gisement de Gassi Touil. Selon une source proche du dossier, BP d’un côté, Total et Shell de l’autre – les perdants de l’appel d’offres de 2004 -, pourraient se substituer à Repsol. Mais pas avant que le différend ne soit aplani et pas aux mêmes conditions car, depuis 2004, les investissements industriels ont été revus à la hausse. Les espagnols ne s’en laissent pas conter pour autant et rappellent qu’ils restent partenaires de la Sonatrach sur d’autres projets, notamment sur le gisement de Tin Fouye Tabankort dans le sud du pays. Ils comptent également sur le bon sens d’Alger, qui ne peut pas se passer complètement de la maîtrise technique des pétroliers occidentaux pour mener à bien ses programmes de développement. Outre le fait qu’il est de coutume de partager les risques entre opérateurs, plus de 2 000 ingénieurs et techniciens ont quitté le groupe au cours des cinq dernières années répondant aux sirènes des multinationales proposant de juteux salaires. Si des sommes importantes ont déjà été consacrées à la formation du personnel et à la modernisation des infrastructures, la Sonatrach va devoir poursuivre la réhabilitation, voire le remplacement, d’installations vétustes.

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Négociations difficiles entre Alger et Bruxelles
Dans ces conditions, la société algérienne se montre de plus en plus exigeante vis-à-vis de ses partenaires et lance un signal clair aux européens qui cherchent à sécuriser sur le moyen et le long terme leurs achats de gaz. Chakib Khelil, ministre de l’Énergie et des Mines (lire « L’homme de la semaine », pp. 12-13), se dit prêt à fournir 40 % de la consommation européenne en 2015. Mais aux conditions algériennes et il n’hésite pas à rappeler que la crise russo-ukrainienne, en janvier 2006, et les pénibles négociations qui ont suivi entre Bruxelles et Moscou font planer de lourdes menaces sur les approvisionnements en provenance de Sibérie. En avril 2006, le rapprochement entre la Sonatrach et le géant russe Gazprom n’a fait que renforcer ces inquiétudes. Et le ministre fait aussi valoir les nombreux débouchés sur le marché américain. Dans ce rapport de force, l’Union européenne redoute, peut-être encore plus que tout, l’apparition d’une Opep du gaz soutenue par Alger. Président de l’Opep pétrole en 2008, Khelil a tout intérêt à faire durer les discussions avec les européens tout en privilégiant les négociations bilatérales. La conclusion d’un accord de coopération énergétique est loin d’être acquise. Le gaz n’a pas fini de faire parler de lui entre les deux rives de la Méditerranée.

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