Il était une foi(s) l’islam noir

Capitale du mouridisme, Touba voit déferler jusqu’à deux millions de fidèles pour le plus important pèlerinage musulman d’Afrique.

Publié le 18 septembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Touba : une oasis écrasée par un soleil de plomb, un coin de terre irrigué de sacralité, une cité vibrante de foi. Une fois l’an, à l’occasion du Magal, la fête commémorant la déportation au Gabon de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie, la capitale des mourides et du mouridisme voit déferler jusqu’à deux millions de fidèles. Ce pèlerinage musulman, le plus important d’Afrique, vient de faire l’objet d’un livre de photographies. Les quarante-quatre clichés, signés Éric Guglielmi, racontent cette marée humaine, fervente et pieuse, qui envahit la ville, se prosterne devant le tombeau du saint, communie dans la prière et la méditation, puis se retire, apaisée.
Tidiane Dioh, ancien collaborateur à Jeune Afrique, signe les commentaires : des textes denses et d’une grande intensité poétique, présentés en français et en anglais. Ce livre au format élégant et original, « à l’italienne », constitue un petit événement : c’est, en effet, pratiquement la toute première fois qu’un photographe occidental est autorisé à réaliser ce travail. Non sans difficultés, d’ailleurs. Venu une première fois ?pour le Magal en 2006, Éric Guglielmi n’a pas pu avoir accès aux mosquées et aux mausolées, comme celui du deuxième khalife, Mohamed el-Fadhl, autour duquel les fidèles doivent accomplir sept rotations. Revenu en 2007, ?après avoir gagné la confiance des ?gardiens des lieux, il a enfin pu accéder au saint des saints de l’islam nègre.
« L’idée de cet ouvrage est née dans un hall d’aéroport, à Roissy, se souvient Tidiane Dioh. Nous étions en partance pour le Mali, et je rencontrais Éric pour la première fois. » Entre les deux hommes – un « Français qui a longtemps sillonné l’Afrique » et un « Sénégalais établi en Europe depuis seize ans » – la complémentarité des regards fonctionne parfaitement. Éric est subjugué par Touba, qui est tout à la fois la Mecque et la Sorbonne des mourides. Fondée en 1887, la cité a longtemps ressemblé à une de ces innombrables bourgades villageoises du Sénégal, avant de prendre un essor considérable dans la deuxième moitié du XXe siècle. Elle est aujourd’hui symbolisée par son majestueux minaret de 86 mètres.
Tidiane, lui, est d’abord fasciné par la personnalité de Cheikh Ahmadou Bamba. Né en 1853, à Mbacké Baol, ce mystique est aussi et peut-être d’abord un résistant au colonialisme blanc. Une sorte de Gandhi africain. « Bamba était convaincu de l’inutilité du djihad armé, explique l’auteur. Il avait assisté à la défaite de Samory Touré, à celle d’El Hadj Oumar Tall, il avait compris la supériorité militaire occidentale. Il aurait suffi d’un mot, d’un seul mot de lui, pour que ses disciples se soulèvent. Mais il a prôné une autre forme de résistance, une résistance spirituelle. »
Après une première déportation, au Gabon, entre 1895 et 1902, Bamba connaîtra à nouveau l’exil, en Mauritanie, entre 1903 et 1907. Mais ces épreuves galvanisent sa foi et son esprit. Son rayonnement spirituel dépasse les frontières du Sénégal, la confrérie gagne des fidèles au Mali, en Guinée avant d’essaimer aux quatre coins du monde, en Europe et jusque dans la lointaine Amérique, à New York, où la diaspora sénégalaise est majoritairement affiliée au mouridisme. Bien avant de disparaître, le 19 juillet 1927, Bamba était devenu une légende. Aujourd’hui, pour les plus ardents de ses partisans, c’est même presque un « prophète ». Son image est partout, dans les maisons, sur les murs des échoppes ou peinte sur les véhicules de transport collectif : on voit le saint homme flotter, au sens propre comme au figuré, dans un boubou blanc immaculé, alors qu’un turban de la même couleur lui dévore littéralement la tête et le visage

* Touba. Voyage au coeur d’un islam nègre, photographies d’Eric Guglielmi, texte de Tidiane Dioh, éditions AEG et Alternatives, 113 pages, 32 euros.

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