Guerre des prix

L’envolée des cours des matières premières a de fâcheuses conséquences sur le niveau de vie et contraint le gouvernement à relever les salaires minimums.

Publié le 18 septembre 2007 Lecture : 4 minutes.

A la veille du début du ramadan (le 13 septembre) et de la rentrée scolaire (le 17), la hausse des prix inquiète les Tunisiens. Le problème a été abordé par le président Zine el-Abidine Ben Ali, le 3 septembre, lors de son habituel entretien matinal avec Mohamed Ghannouchi, son Premier ministre. Comment équilibrer le budget 2008, compte tenu de la hausse vertigineuse des cours des matières premières sur les marchés mondiaux ? Si l’État ne fait rien, le total des subventions qu’il verse déjà pour maintenir les prix des denrées alimentaires de base (pain, céréales, huile, lait et dérivés) et des carburants atteindra 780 millions de dinars (460 millions d’euros), contre 542 millions en 2007 et 250 millions par an, en moyenne, entre 2001 et 2006. Un fardeau insupportable, puisque la compensation des prix représenterait alors 1,6 % du produit intérieur brut, contre 1,2 % en 2007 et 0,8 % en 2006, le ratio dit soutenable étant de 0,7 %.
Mais ces réalités macroéconomiques passent largement au-dessus de la tête des Tunisiens, qui se bornent à constater que les prix augmentent plus vite que leurs salaires. Et que, pour boucler leurs fins de mois, ils sont souvent obligés de s’endetter auprès de parents ou d’amis, voire auprès des banques. Or celles-ci leur imposent des taux d’intérêt supérieurs à 10 %
Les occasions de dépense sont traditionnellement plus nombreuses pendant l’été (loisirs, mariages, circoncisions, etc.), et 2007 n’a pas fait exception à la règle. Mais le phénomène nouveau, c’est le développement de la location. À défaut de pouvoir acheter une tenue de soirée ou des chaussures neuves, de nombreux Tunisiens doivent se résoudre à les louer, l’essentiel restant de faire autant ou mieux que la sur, le frère ou le voisin. Si, en apparence, leur niveau de vie est plus que confortable, dans les faits, c’est un peu plus compliqué. D’où les récriminations concernant la hausse des prix de l’essence (plus de 1 dinar le litre, soit 0,60 euro, la moitié du prix international), du lait, du poisson ou des yaourts.

Le chef de l’État souhaite donc que le gouvernement prenne en compte « les développements de la conjoncture économique internationale », en rationalisant ses dépenses et en préservant les équilibres financiers. En n’oubliant jamais d’établir une « corrélation entre les dimensions économique et sociale du modèle de développement tunisien ». Concrètement, ces recommandations se sont traduites, le même jour, par l’annonce d’un « ajustement » des prix alimentaires et d’un relèvement des salaires minimums dans l’industrie et l’agriculture, ainsi que des pensions.
Mais la communication officielle a davantage mis l’accent sur le second point (le relèvement des salaires est une décision présidentielle) que sur le premier (qui est de la responsabilité du ministre du Commerce). Il y a pourtant matière à discussion. L’augmentation des salaires minimums entrée en application le 12 août, varie, selon les catégories professionnelles, entre 3 % et 4 %, alors que, selon l’Institut national de la statistique (INS), celle des prix à la consommation a été, en moyenne, de 2,5 % au cours des sept premiers mois de l’année. Depuis 2002, les salaires dans le secteur privé ont augmenté deux fois plus vite que les prix (5 %, contre 2,5 %). Au total, le fameux « panier de la ménagère » (952 produits) s’est renchéri de 22,8 % en sept ans (juillet 2000-juillet 2007), contre 27 % pour les salaires minimums.
On peut certes contester la fiabilité de l’indice des prix. Mais l’augmentation d’ensemble du niveau de vie des Tunisiens est une réalité. Elle leur permet d’encaisser le choc de la hausse des prix sans remettre en question leur « rêve » : acheter une maison ou une voiture à crédit. L’enquête sur « les dépenses, la consommation et le niveau de vie des ménages » que réalisent tous les cinq ans les services du ministère du Développement et l’INS le confirme. Fondés sur un sondage réalisé au cours de l’année auprès d’un échantillon de 13 400 foyers répartis à travers tout le pays (1 116 localités urbaines et rurales), les derniers résultats ont été rendus publics fin juillet.

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Ils révèlent que la consommation moyenne par habitant a presque quadruplé en vingt ans, passant de 471 dinars en 1985 à 1 820 dinars en 2005. Selon Mohamed Nouri Jouini, le ministre du Développement et de la Coopération internationale, la progression annuelle a été de 6,5 % à prix courant et de 3,8 % à prix constant (déduction faite de l’inflation) entre 2000 et 2005. Soit presque autant qu’au cours de la période 1995-2000. L’amélioration du niveau de vie se manifeste également par la diminution de la part de l’alimentation dans la consommation (40 % en 1990, 35 % en 2005), au profit notamment de la santé (de 8,7 % à 10,3 %), des transports et des communications (de 8,2 % à 14,4 %).
Deuxième constat, l’importance numérique de la classe moyenne continue de croître. Elle représentait 70,6 % de la population en 1995, contre 81,1 % en 2005, pour une population de 10 millions d’habitants. Les Tunisiens vivant en dessous du seuil de pauvreté (moins de 400 dinars par habitant et par an) ne sont plus que 376 000, soit 59 000 familles (3,8 % de la population, contre 6,2 % en 1995), tandis que le nombre des Tunisiens les plus riches reste stable (747 000 personnes, 7,4 % de la population).
Troisième constat, les campagnes sont en passe de rattraper les villes. À preuve, Mohamed Nouri Jouini a renoncé à la différenciation statistique entre les deux entités. Désormais, les chiffres sont présentés par région. Sans surprise, le district de Tunis arrive en tête en terme de niveau de vie, avec 2 390 dinars par habitant et par an, devant le littoral centre-est (2 084 dinars), le Sud-Est (1 826), le Nord-Est (1 613). Le Nord-Ouest et le Centre-Ouest sont toujours à la traîne avec, respectivement, 1 416 et 1 138 dinars.
Reste que le niveau de revenu du Tunisien ne dépasse pas, actuellement, 30 % de celui d’un Européen (à parité de pouvoir d’achat égale). L’objectif est de doubler ce chiffre d’ici à 2015.

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