Du bon usage de la liberté

La libéralisation des médias est en cours. Elle se traduit par la quasi-disparition de la censure et la création de nombreux titres. Mais aussi par quelques excès.

Publié le 18 septembre 2007 Lecture : 6 minutes.

La démocratie réserve aux Mauritaniens quelques surprises. Le 2 septembre, au cours d’un meeting, Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée nationale et patron de l’Alliance populaire progressiste (APP), a critiqué l’encouragement donné par le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi à la création d’un nouveau parti, qui pourrait, selon lui, se traduire par « le retour à l’ère du parti-État », autrement dit par « la mainmise du parti unique et la maîtrise par les plus forts des ressources de l’État et du pouvoir de décision ». Bref, à en croire le président de l’APP, le pluralisme et la démocratie sont en danger.
Bien sûr, les Mauritaniens sont habitués aux sorties du fougueux « Messaoud », qui n’a jamais été un adepte de la langue de bois. En revanche, le fait qu’une telle diatribe contre le chef de l’État soit rapportée par l’Agence mauritanienne d’information (AMI) est tout à fait nouveau. Du temps de Maaouiya Ould Taya, l’agence publique se contentait de rendre compte des faits et gestes présidentiels. Aujourd’hui, elle se fait également l’écho de voix dissonantes. Et le pouvoir laisse faire. « Nous n’avons pas été réprimandés », confirme une source à l’AMI.
Depuis le coup d’État du 3 août 2005, les médias mauritaniens, publics et privés, ont brisé quelques tabous. À la télévision, qui ne compte qu’une seule chaîne – publique -, la très insolente émission Le dernier a toujours tort, sorte de Guignols de l’info à la mauritanienne, n’hésite pas à prendre pour cibles le chef de l’État et son Premier ministre. Dans L’Invité de la TV, il n’est pas rare que les hommes politiques soient pris à partie par les téléspectateurs. De même, entre les deux tours de la présidentielle, Sidi Ould Cheikh Abdallahi et Ahmed Ould Daddah, les deux finalistes, se sont affrontés dans une émission intitulée Le Débat. Certes, il s’agissait davantage d’un « côte-à-côte » que d’un face-à-face, mais une telle audace était absolument sans précédent dans ce pays où la vie politique s’est longtemps résumée à des coups d’État suivis de mascarades électorales.
La presse écrite, elle aussi, respire. Pas le moindre cas de censure depuis deux ans ! Aucun éditeur n’a été contraint de solliciter une autorisation de parution auprès des services du ministère de l’Intérieur. Sous Ould Taya, cette pénible formalité avait été rendue obligatoire par l’article 11 de l’ordonnance-loi du 25 juillet 1991. Elle allongeait considérablement les délais de mise sur le marché, pénalisant en premier lieu les quotidiens. Moins contraignantes, les nouvelles règles du jeu instituées par l’ordonnance sur la liberté de la presse d’octobre 2006 ont favorisé la création de journaux, des quotidiens arabophones dans leur majorité. L’offre ne se limite donc plus aux deux quotidiens officiels, Chaab (« Peuple ») et Horizons. « Les hebdomadaires ne font plus l’opinion », constate, avec une pointe de regret, un professionnel.
Las ! La presse quotidienne privée ne suit pas l’évolution des médias publics. « Sur le plan du contenu, rien n’a changé », tranche le même journaliste. L’une de ses consurs estime même, de manière peut-être exagérée, que « la qualité s’est dégradée ». Mais il est vrai que certains quotidiens ne reculent devant aucun excès. « Zeine [le Premier ministre, NDLR], un corrompu comme les autres », a un jour titré l’un d’eux. Un autre, dans deux articles, a accusé l’épouse du chef de l’État d’utiliser sa position pour solliciter des financements en faveur d’une association caritative qu’elle préside. Le 14 août, l’intéressée a porté plainte pour diffamation. Le journaliste a été contraint de reconnaître l’absence de toute preuve étayant ses affirmations et de présenter des excuses. « Ils veulent vendre et se faire connaître, explique M’Barek Ould Beyrouk, membre de la Haute Autorité de la presse et de l’audiovisuel (Hapa), créée en octobre 2006. Beaucoup font un mauvais usage de leur liberté. » « Ils n’en font pas usage du tout », renchérit l’un de ses confrères, faisant allusion à une pratique courante en Mauritanie (et ailleurs) : la vente d’espaces rédactionnels à des hommes d’affaires désireux de chanter leurs propres louanges. Les prix peuvent grimper jusqu’à 1 million d’ouguiyas (3 000 euros) la page.
Au début, les notables s’estimant victimes d’une campagne de dénigrement ont laissé faire. Mais depuis quelques mois, les actions en justice se multiplient. Ainsi, un homme d’affaires mis en cause dans un article suggérant son implication dans un trafic de cocaïne, à Nouadhibou, a porté plainte contre le rédacteur en chef de la publication. Une restauratrice de Nouakchott, accusée de servir de la viande de chien à ses clients, a fait de même. En revanche, le chef de l’État continue de ne pas réagir. « Il est trop attaché à son image de démocrate », explique un observateur.
Pourquoi de telles dérives ? L’absence dans le pays d’une école de journalisme constitue une première explication. Le fait qu’à l’époque d’Ould Taya les cartes de presse étaient attribuées à profusion et sans discernement en est une autre. Le résultat est que la profession n’est pas véritablement encadrée. Et que n’importe qui peut s’improviser journaliste, pour peu qu’il trouve un support. « On crée un journal comme on ouvre une boulangerie », observe une consur.
Bien sûr, il existe un code de déontologie, mais il n’est que rarement appliqué. « Beaucoup considèrent que la liberté de la presse, c’est pouvoir écrire tout ce qu’on veut et, de préférence, n’importe quoi », rappelle Ould Beyrouk. « Le gros problème, ajoute un professionnel, c’est qu’il n’y a, à proprement parler, presque pas d’entreprises de presse, c’est-à-dire de véritables sociétés organisées. »
Du côté du pouvoir, la méfiance à l’égard des médias est profondément ancrée. En août, un journaliste de Radio Mauritanie, une station publique, a été agressé par des membres de la garde rapprochée du Premier ministre alors qu’il cherchait à gagner une salle du ministère de la Santé où se tenait une conférence de presse. Condamnée par la Hapa comme par le gouvernement, « l’affaire » a donné lieu à l’ouverture d’une enquête, qui, à la déception des uns et des autres, a conclu aux « torts partagés ».
Après la création, en décembre 2005, d’une Commission nationale consultative pour la réforme du secteur de la presse et de l’audiovisuel, une réflexion s’est engagée. Objectif : professionnaliser un secteur perverti par une vingtaine d’années d’instrumentalisation pour les uns, d’âpre résistance pour les autres (comme les hebdomadaires Calame ou La Tribune). Plusieurs pistes ont été explorées : octroi de subventions aux journaux bénéficiant d’une parution régulière, obligation faite à toute entreprise de presse de disposer d’un capital minimum, durcissement des critères d’attribution de la carte professionnelle, etc. À ce jour, aucune ne s’est encore concrétisée. La profession n’étant pas organisée, le pouvoir ne trouve pas d’interlocuteur unique. Une réunion devait avoir lieu le 11 septembre entre des représentants de la profession et Imam Cheikh Ould Ely, conseiller du Premier ministre. On peut en espérer une relance de la réflexion. Une loi sur l’audiovisuel prévoyant la libéralisation des ondes et la création d’une deuxième, voire d’une troisième chaîne de télévision a été mise au point pendant la transition, mais n’a toujours pas été promulguée. Elle devrait l’être avant la fin de l’année. En attendant, plusieurs projets de nouvelles chaînes ont été montés avec des partenaires étrangers, marocains notamment.

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