« Africa Command »

Publié le 18 septembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Il est tard, mais peut-être pas trop tard pour empêcher l’Amérique de George W. Bush d’incorporer le continent africain tout entier dans sa « guerre mondiale contre le terrorisme ».
C’est le résultat qu’elle obtiendra à coup sûr si, comme c’est hélas probable, elle trouve un pays africain disposé à accueillir et à héberger sa dernière trouvaille : le Centre de commandement militaire unifié pour l’Afrique.
Dans le jargon du Pentagone, on l’appelle Africom : un millier d’hommes placés sous le commandement d’un général (quatre étoiles), assisté « pour les opérations militaires » (sic) d’un second général (trois étoiles) et d’un état-major ; détaché du département d’État, un ambassadeur s’occupera sous leur autorité des affaires civiles et de sécurité.

La décision de créer cet Africa Command, comme on l’appelle également, a été prise par George W. Bush le 6 février dernier (Jeune Afrique l’a annoncé dans son n° 2405, du 11 février) et, quelques semaines plus tard, le général William E. Ward a été choisi pour en assurer le commandement.
Le Pentagone, le département d’État et la Maison Blanche travaillent depuis huit mois à sa mise en place. Ils cherchent activement le pays africain en mesure et désireux de l’accueillir et se sont promis de le trouver avant la fin de ce mois de septembre pour annoncer la nouvelle en octobre.
Il y a donc péril en la demeure.

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Cela dit, contrairement aux espoirs américains, les pays candidats ne se bousculent pas au portillon : menés par leur leader régional, l’Afrique du Sud, les membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC)* ont refusé l’honneur (et les périls) de cette charge ; leurs homologues d’Afrique du Nord ont fait de même.
Un seul pays africain a fait acte de candidature, sans même éprouver le besoin de s’en cacher : le Liberia. Deux autres au moins ne devraient pas dire non : Djibouti, qui héberge déjà, outre un contingent de l’armée française, 1 800 soldats américains de la « Force combinée pour la Corne de l’Afrique », et, surtout, l’Éthiopie, qui participe en Somalie à la « Croisade américaine » et dont les dirigeants n’ont rien à refuser à Washington.
Question : l’Union africaine (UA), qui a son siège depuis 1963 dans la capitale éthiopienne, accepterait-elle de cohabiter avec un état-major américain en « croisade » anti-islamique ?
Quoi qu’il en soit, nous risquons d’apprendre, d’un jour à l’autre, qu’un pays africain, parmi la trentaine possible, a décidé de « plonger » Ce serait désastreux, car cela conduirait les Africains à participer bon gré mal gré à une guerre-croisade conçue et dirigée par les États-Unis pour servir leurs propres intérêts.

Mais, dira-t-on, l’Afrique n’a-t-elle pas déjà un pied (au moins) dans cette drôle de guerre à prétention mondiale qui oppose depuis plus de six ans les États-Unis de George W. Bush et leurs alliés à Al-Qaïda d’Oussama Ben Laden, Aymen el-Zawahiri et leurs fidèles ?
Le président américain n’a-t-il pas proclamé dès le premier jour « ceux qui ne sont pas avec nous sont avec les terroristes » ?
Ben Laden et les siens n’ont-ils pas édicté, de leur côté, que le djihad est le devoir de chaque musulman ? Ne tentent-ils pas depuis plus d’un an d’entraîner dans leur contre-croisade deux grandes régions du continent : la Corne de l’Afrique et le Maghreb ?
Certes, mais les efforts des deux « belligérants » – ils se réclament l’un et l’autre de ce titre – n’ont réussi jusqu’ici que très partiellement : l’Amérique n’avait en Afrique que sa base de Djibouti et une mystérieuse « initiative contre le terrorisme transsaharien » composée d’équipes spéciales et dotée d’un budget modeste ; quant à Al-Qaïda, s’agissant de l’Afrique, elle se contentait jusqu’ici de souffler sur les braises

L’Africa Command, lui, couvre le continent tout entier (sauf l’Égypte rattachée au Moyen-Orient) et s’occupera plus particulièrement de l’ensemble subsaharien ; il se donne un an, d’ici à octobre 2008, pour être un centre de commandement complètement autonome et opérationnel.
Son quartier général sera dans le pays africain retenu, mais ses effectifs seront répartis entre plusieurs autres pays de différentes régions africaines.
L’objectif des États-Unis est de s’en servir pour renforcer leur influence sur un continent – 22,5 % de la superficie et 15 % de la population mondiales – dont les ressources nourrissent d’autres convoitises, d’être sur place et en mesure de faire face militairement à toute crise.
La CIA et leurs autres agences de renseignements seront à pied d’uvre pour récolter et échanger des informations, mais aussi pour traquer les suspects et capturer les djihadistes.

Placé sous la responsabilité de l’un des principaux généraux américains – qui a fait ses armes au Moyen-Orient – (voir ci-contre), Africom aboutira à une militarisation de la présence américaine en Afrique subsaharienne.
Le continent se rapprochera dangereusement de ce même Moyen-Orient que les États-Unis ont mis à feu et à sang en voulant, disaient-ils, le démocratiser. Loin de la prémunir contre le terrorisme, Africom attirera les terroristes vers l’Afrique comme un aimant, de même que l’invasion de l’Irak par les armées américano-britanniques les a attirés vers la Mésopotamie.

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En tout cas, nous avons encore, je le crois, une possibilité d’empêcher George W. Bush d’entraîner l’Afrique dans sa guerre. Il faut pour cela :
– que l’Union africaine se prononce et agisse, que les organisations africaines régionales fassent de même ;
– que les Africains, y compris ceux de la diaspora, s’expriment, chacun à son niveau ;
– que les associations africaines et non africaines qui militent pour la paix et en faveur des droits de l’homme se manifestent.
Nous devons tous, ensemble ou séparément, demander poliment mais fermement aux dirigeants africains qui auront accepté que leur pays héberge l’Africom de revenir sur leur décision dans l’intérêt de leur pays, de l’Afrique et de la paix mondiale.
Il faut se préparer à le faire, et agir dès que la nouvelle sera connue.

* Southern African Development Community (SADC), composée de : Angola, Botswana, République démocratique du Congo, Lesotho, Madagascar, Malawi, île Maurice, Mozambique, Namibie, Afrique du Sud, Swaziland, République unie de Tanzanie, Zambie et Zimbabwe.

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