Maillots bleus, peaux noires

Pendant un mois, les supporteurs français ont applaudi Thuram, Henry, Malouda, BoumsongMais la couleur reste un sujet tabou.

Publié le 17 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.

Lorsque la France et l’Italie sont entrées sur le terrain pour disputer la finale de la Coupe du monde à Berlin, sept des onze joueurs français étaient noirs. Quelques jours avant, à la radio, le chanteur français Julien Clerc, dont la mère est originaire de Guadeloupe (Antilles), plaisantait : si l’Angleterre a été éliminée aussi rapidement de la Coupe du monde, elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Alors qu’elle a, comme la France, un passé colonial, elle n’a sélectionné que deux joueurs noirs dans son équipe
Au-delà du trait d’humour, le fait que l’équipe tricolore soit en majorité composée de Noirs n’a jamais cessé de faire débat en France. Pourquoi ? D’abord parce que la France, qui en a fait un des mythes fondateurs de la République, a placé le concept de nation au-dessus des questions de racisme, refusant même de distinguer les couleurs de peau. La vision d’une société décloisonnée, multiraciale, qui a émergé au lendemain de la victoire des Bleus en 1998, a fait long feu en quelques mois avant de se révéler être un embarrassant mensonge, lorsque les émeutes des banlieues éclatèrent à l’automne dernier. Ensuite, il y a la loi. Selon la Constitution, la France ne reconnaît aucune distinction entre ses citoyens sur la base de la race ou de la religion. Certes, il est permis de demander à quelqu’un son lieu de naissance et la nationalité de ses parents. Mais il est formellement interdit de stocker des données sur « les origines ethniques ou raciales réelles ou supposées » d’une personne. Du coup, avec cette logique très française, il n’est pas aisé de compter le nombre de Noirs, de Blancs et de Nord-Africains jouant en équipe de France.
Mais alors, comment, en l’absence de données statistiques fiables sur le nombre de Noirs et d’Arabes dans telle école, telle ville ou prison, dirigeant tel commissariat de police de quartier ou siégeant (ou plutôt, ne siégeant pas) à l’Assemblée nationale, lutter contre les discriminations ? D’ailleurs, au lieu de trouver ce genre d’informations dans les journaux, on y lit que « la couleur de peau de l’équipe de France est devenue un tabou absolu, alors que c’est le sujet qui revient le plus souvent dans les conversations » (Le Figaro).
Ce qui est maintenant évident, c’est que l’équipe de France de 2006 délivre un message plus fort à son pays que celle de 1998, qui avait suscité une bulle de bons sentiments sans liens avec la réalité. Par exemple, Lilian Thuram, le redoutable défenseur originaire de la Guadeloupe – il a grandi en banlieue parisienne – et membre du Haut-Commissariat à l’intégration, tient aujourd’hui le discours suivant : « C’est par le travail que les gens doivent être intégrés. »
Voilà qui serait un premier pas vers la discrimination positive – ou, quel que soit son nom, vers un système où l’État pèserait de tout son poids, qui donnerait aux Noirs et aux Arabes le travail, la reconnaissance et l’égalité dont ils sont privés dans la société française.
Certains ont bien essayé de réunir les statistiques permettant de lancer le mouvement. Mais lorsqu’en mars dernier le Sénat a voulu donner un cadre légal à l’identification de groupes susceptibles d’être victimes de discriminations raciales ou ethniques dans le public ou le privé, le président Jacques Chirac et son Premier ministre Dominique de Villepin – à en croire Le Monde – l’ont fait échouer. Le fameux tabou a sans doute joué un rôle, mais leurs raisons étaient aussi défensives et tactiques : leur principal ennemi, Nicolas Sarkozy, est pour la discrimination positive. Il accepte le principe des quotas, portant ainsi – sous les yeux de Chirac – un coup au mythe de l’exception française, de son modèle social et du discours « Nous sommes tous des Français ».
La gauche française, peut-être plus encore que la droite, n’apprécie pas non plus l’idée de combattre le racisme avec des chiffres. Il est vrai que la méthode menacerait une partie de la clientèle de la gauche, notamment les syndicats, qui veulent continuer à peser sur les politiques de recrutement et de promotion des entreprises et des administrations.
Enfin, pour la majorité des Français, de droite comme de gauche, la discrimination positive représente un concept « trop américain ». Et donc, par pur réflexe, une mauvaise chose. Cela étant, les Français sont aujourd’hui mieux armés pour affronter la réalité qu’ils ne l’étaient en 1998, où leur état d’esprit relevait de la psychose maniaco-dépressive. Cela pourrait leur profiter. Mais ils devront garder en tête que, dès qu’il s’agit de race et de discrimination, il est hasardeux de refuser la dureté des mots et des chiffres, et de s’en remettre à un événement planétaire.

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