Les universités privées au service de l’emploi

Depuis 2000, ces établissements travaillent à redorer leur blason. Fini les boîtes pour fils à papa. Le bac est obligatoire pour y accéder et la qualité de l’enseignement supporte la comparaison avec le public. Ils multiplient les spécialités et les avant

Publié le 18 juillet 2006 Lecture : 5 minutes.

« Le meilleur critère pour mesurer la qualité de notre enseignement, c’est l’accès de nos diplômés à l’emploi. Or, nous n’existons que depuis quelques années. Il faut attendre encore un peu pour nous juger », explique Slah Ben Turkia, patron de l’Université centrale, établissement d’enseignement supérieur privé fondé en 2001, spécialisé dans l’administration des affaires et la technologie. Cet ingénieur reconverti dans l’enseignement et les affaires soutient cependant que les établissements privés offrent généralement un plus qualitatif par rapport à leurs équivalents publics. Et pour cause : « Nos classes sont trois fois moins peuplées. Nos salles sont climatisées, chauffées et disposent de matériels électroniques préinstallés (ordinateurs, connexions à Internet, travail en réseau, vidéo-projecteurs, etc.). Chaque étudiant y dispose d’un ordinateur individuel. Quant à nos laboratoires, ils sont dotés d’équipements de pointe ». Autre avantage du privé sur le public, selon Ben Turkia : « Nos diplômés ont le savoir, le savoir-faire et une bonne maîtrise de l’anglais. Ils sont souvent mieux armés pour affronter le monde du travail ».
Pionnier de l’enseignement supérieur privé en Tunisie, Mohamed Bouebdelli, patron de l’Université libre de Tunis (ULT), insiste lui aussi sur cette proximité des établissements privés avec la vie professionnelle. « Nous assurons à nos étudiants des stages en entreprises. Près de 60 % d’entre eux reçoivent une proposition de recrutement avant même l’obtention de leur diplôme. De même, des offres d’emploi parviennent régulièrement à la direction, qui ne sont pas toutes satisfaites », explique-t-il.
Même son de cloche chez Mohamed Damak, président de Time Université (TU). Son établissement, spécialisé dans les technologies de l’information et de management de l’entreprise, a ouvert ses portes en 2002. De 20 étudiants la première année, il est passé à 200 aujourd’hui. Son capital social est détenu par 70 actionnaires, dont 20 sociétés et groupes privés. Le fait d’être ainsi intégré à un faisceau d’entreprises permet à TU de placer ses diplômés (de 1er, 2e et 3e cycles) et d’offrir des masters spécialisés aux cadres soucieux de parfaire leur formation. Ces derniers, qui représentent près du tiers des effectifs de TU, ne sont pas insensibles au fait que l’établissement est lié par une convention de partenariat avec le leader mondial de la formation continue, Dale Carnegie Training.
La première université privée tunisienne, l’ULT, a été créée en 1992. Dans la décennie qui a suivi, le secteur s’est développé de manière spontanée, donc anarchique. Les établissements ont accueilli, pêle-mêle, les étudiants ayant raté leur baccalauréat, ceux qui ont été déçus par leur orientation universitaire ou encore des « cartouchards » (qui ont échoué à tous les examens dans le public). Certains établissements ont fait (à peu près) n’importe quoi. Cela a beaucoup nui à l’image de marque de toute la profession.
Il a fallu attendre l’année 2000 pour qu’une loi réglementant le secteur soit enfin promulguée. Avec l’institution du baccalauréat obligatoire à l’entrée, l’enseignement supérieur privé a beaucoup gagné en crédibilité. Par voie de conséquence, le nombre d’établissements a augmenté. On en compte désormais 20, tous agréés par le ministère de l’Enseignement supérieur. Ils proposent les mêmes programmes que leurs homologues publics et délivrent des diplômes agréés par l’État et souvent acceptés par les employeurs.
Cependant, la part des privés dans l’enseignement supérieur tunisien reste très faible. Ainsi, sur un total de 365 000 étudiants tunisiens, 3 000 seulement sont inscrits dans les établissements privés. Pourquoi ces derniers n’exploitent-ils actuellement que 10 % de leur capacité d’accueil, qui s’élève à plus de 30 000 ? En d’autres termes, pourquoi n’attirent-ils pas davantage d’étudiants ? Cette question mérite d’être posée, d’autant plus que 13 000 étudiants tunisiens sont inscrits dans des universités étrangères, souvent aux frais de leurs parents, et que 40 000 nouveaux étudiants frappent, chaque année, aux portes de l’université.
Parmi les handicaps qui empêchent le développement de leur secteur, les promoteurs citent, le plus souvent, l’image négative héritée des années où il fonctionnait sans cadre légal. Il y a aussi le système de gratuité auquel sont habitués les Tunisiens. « Les pouvoirs publics voudraient bien encourager l’enseignement supérieur privé, afin qu’il puisse contribuer à l’effort national dans ce domaine, mais ils n’arrivent pas à défendre ce choix stratégique, ni à faire cohabiter les deux systèmes, gratuit et payant », ajoute Damak, de TU.
Les promoteurs du privé reprochent aussi à l’État de ne pas appliquer les incitations prévues par la loi, comme la prime d’investissement ou la prise en charge d’une partie des salaires et des charges sociales des enseignants. « L’État tarde aussi à mettre en place un mécanisme de soutien financier aux parents qui désirent inscrire leurs enfants dans les établissements privés », explique, de son côté, Ben Turkia, de l’Université centrale. Car, selon lui, « les pouvoirs publics pourraient, dans une phase de démarrage, partager avec les parents les coûts d’inscription de leurs enfants qui suivent leurs études dans le privé. Ils aideraient ainsi à rétablir la confiance dans ce secteur. »
Parmi les propositions avancées pour renforcer la complémentarité entre le public et le privé, les professionnels citent la sous-traitance de certaines formations spécifiques, le chèque-formation ou le crédit-formation pouvant être octroyés par l’État aux étudiants désirant poursuivre leurs études dans le privé.
Des partenariats peuvent aussi être développés entre les deux secteurs, comme, par exemple, la délivrance de diplômes nationaux. L’offre de formation des privés a déjà été intégrée au guide de l’orientation universitaire publié chaque année par le ministère de l’Enseignement supérieur. Le département de tutelle pourrait, dans une seconde phase, envisager d’orienter lui-même les étudiants vers les établissements privés, comme il le fait déjà pour ceux du public.
« Le développement à l’international est un créneau porteur », estime, de son côté, le patron de Time. Et pour cause : « Plus du tiers de nos effectifs sont des étrangers, venus pour la plupart d’Afrique subsaharienne et du Maghreb. Nous pourrions fixer comme objectif de porter ce taux à 50 % et plus. Cela doperait nos recettes en devises, qui ont atteint 10 millions de dinars au cours des cinq dernières années », ajoute Damak. Pour cela, le ministère des Affaires étrangères pourrait mieux aider les privés à faire connaître leur offre de formation dans les pays émetteurs d’étudiants. Il le fait déjà, mais de manière ponctuelle et non structurée. Là aussi, beaucoup reste à faire

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