Et la loi Lang sauva les libraires

Publié le 17 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.

Si la France peut s’enorgueillir de compter encore un beau réseau de librairies – environ 2 000 commerces indépendants, sur 6 000 points de vente du livre -, elle le doit pour l’essentiel à Jack Lang, ministre la Culture dans le gouvernement formé par François Mitterrand en 1981. L’Histoire a retenu, à juste titre, l’abolition de la peine de mort comme l’une des principales mesures prises par la gauche à son arrivée au pouvoir. Moins connue, la loi sur le prix unique du livre avait pourtant un caractère « révolutionnaire », aussi bien dans son esprit que dans ses effets pratiques.
Longtemps, le mécanisme qui a prévalu en France était celui du « prix conseillé ». L’éditeur fixait un prix de vente maximum à ses ouvrages ; le libraire était libre d’appliquer la réduction qu’il souhaitait et de l’indiquer à ses clients. Comme le rappelle Jack Lang lui-même dans une interview accordée à Livres Hebdo, le système a fonctionné correctement jusqu’à la montée en puissance, dans les années 1970, des grandes surfaces (y compris les Fnac). Pourquoi, désormais, aller acheter le dernier Goncourt chez le libraire du quartier puisqu’on pouvait le trouver 30 % moins cher à l’hypermarché voisin ?
Pour parer à la menace, le gouvernement dirigé par Raymond Barre instaura en 1979 un nouveau système, le « prix net ». Le prix de référence ayant disparu, le petit libraire comme l’hypermarché ne pouvaient plus avancer, comme argument auprès du consommateur, le montant de la réduction qu’ils leur consentaient. Le résultat fut catastrophique. Contrairement aux espoirs placés en elle, cette déréglementation complète ne fit que conforter la prééminence grandissante des discounters.
C’est Jérôme Lindon, le fondateur des éditions de Minuit, connu pour son engagement en faveur de la création littéraire, qui engagea le premier le combat pour le prix unique. Il fallut ensuite beaucoup de perspicacité à Jack Lang pour convaincre écrivains, éditeurs, médias, associations de consommateurs qu’en réglementant ainsi le secteur de la librairie l’État ne portait pas atteinte à la liberté. Et qu’en matière de livres « la seule concurrence acceptable était celle de la qualité des uvres et non celle des prix. » La notion d’exception culturelle était née.
Vingt-cinq ans après son adoption, le 30 juillet 1981, par le Parlement français, la « loi Lang », qui n’autorise qu’une remise maximum de 5 %, fait l’unanimité dans l’Hexagone. Y compris du côté des hypermarchés, où le livre est le produit qui, semble-t-il, dégage la plus grosse marge avec l’eau minérale. Les grandes surfaces spécialisées (Fnac, Virgin, espaces culturels Leclerc) continuent quant à elles à marquer des points : avec les grandes librairies, elles détiennent près de 60 % des parts de marché, contre moins de 20 % pour les commerces traditionnels (dont les Maisons de la presse) offrant moins de 15 000 références. Mais la petite librairie résiste, de nouveaux magasins ouvrent régulièrement ?à travers le pays, ce qui était rare ?il y a un quart de siècle.
La loi Lang a aussi fait tache d’huile en Europe. Une dizaine de pays de l’Union ont adopté un système plus ou moins comparable : Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Grèce, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Portugal, Slovénie. En outre, à l’exception du Danemark, la totalité des membres de l’UE appliquent un taux de TVA réduit au livre, quand ils n’ont pas supprimé toutes les taxes, comme c’est le cas au Royaume-Uni. Hors du Vieux Continent, presque partout, c’est le régime libéral qui règne en maître. Dans ce domaine, l’exception culturelle européenne est une réalité bien vivante.

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