Coopération médicale en panne

Autrefois importante, l’aide sanitaire française en Afrique ne cesse de diminuer. Le recours à son savoir-faire serait pourtant fort utile.

Publié le 17 juillet 2006 Lecture : 5 minutes.

La « fracture sanitaire » s’élargit entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne (ASS). Cette dernière, qui subit déjà les maladies infectieuses ou parasitaires, voit désormais arriver des affections comme l’hypertension, le diabète et les maladies coronaires, dont la prise en charge paraît hors de portée des pays de la zone. Ces maladies étant par ailleurs susceptibles de se transmettre aisément entre les continents, la nécessité d’une coopération médicale renforcée entre les pays du Nord et du Sud se fait jour. C’est ce que préconise un rapport2 du Conseil économique et social (CES) français, présenté par le Pr Marc Gentilini, auquel nous nous référerons ici.
On peut d’abord dire que l’on a de moins en moins recours au « savoir-faire incontestable et internationalement reconnu » de la France en matière de problèmes sanitaires africains. Même au sein des pays francophones, Paris n’est plus le premier contributeur à l’assistance technique du sous-continent, alors qu’en 1982 il la finançait à hauteur de 50 %. Cette situation découlait d’un passé colonial qui avait donné de bons résultats sur le plan médical. Mais, devenu gênant, il a conduit la France à fondre son expertise dans un multilatéralisme où se confondent crédits et expériences diverses, dont les résultats sont difficiles à évaluer. Ainsi, on a abandonné la coopération hospitalière et la lutte contre des affections bien contrôlées, comme la maladie du sommeil par exemple. À la place, on s’est orienté, en compagnie de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), vers les soins de santé primaires qui devaient conduire à « La santé pour tous en l’an 2000 ». On sait ce qu’il en est advenu… Espérons qu’il n’en sera pas de même pour les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Plus limités certes, ceux-ci ne seront cependant pas atteints sans un apport de crédits. Mais une réforme des aides médicales et des structures sanitaires de certains pays africains sera également nécessaire.
Le gouvernement français a entrepris une réorganisation de ses organes de coopération, ce qui a conduit à l’éclatement des centres de décision dans le domaine médical. Alors que l’Agence française de développement (AFD), qui répond désormais à la « logique financière d’une banque », s’occupe des activités de santé publique, le ministère des Affaires étrangères (MAE) a, lui, en charge les personnels de santé et la recherche médicale. Dans le document-cadre de partenariat (DCP) établi par les ambassades, qui sont chargées de coordonner les activités dans les pays bénéficiaires de l’aide, la santé n’est qu’une « matière à option ». Quant à certaines représentations, elles ne disposent même pas d’un conseiller médical expérimenté. La logique est souvent financière et la coopération apparaît « désincarnée, déshumanisée », écrit sévèrement le CES.
Résultat : le corps des assistants techniques expérimentés, civils ou militaires, que beaucoup de pays nous enviaient, disparaît progressivement. Il est passé de plusieurs centaines de personnes dans les années 1970 à quelques dizaines actuellement. Quant à l’APD, 4 % seulement de son montant est consacré à la santé, contre 11 % en moyenne pour les autres pays de l’OCDE. Un rapport qui pourrait être acceptable si la situation sanitaire s’était améliorée. Mais ce n’est pas le cas : même l’hôpital Charles-de-Gaulle construit par la France à Ouagadougou fonctionne difficilement.
Des organisations non gouvernementales (ONG) ont pris, en partie, la relève et assurent en Afrique subsaharienne une présence médicale reconnue.
Elles bénéficient parfois de crédits institutionnels français ou européens et d’une aide militaire dans certains cas. Cependant, l’assistance qu’elles fournissent ne représente que 1,11 % de l’aide globale aux pays pauvres. On note cependant avec intérêt que de grandes institutions maintiennent des programmes de coopération dans leurs secteurs respectifs. C’est le cas de l’Institut Pasteur, de l’École du Pharo, du CNRS, de l’Inserm et de certaines universités ou hôpitaux.
De nombreuses actions de coopération, locales ou régionales, dépendent également de relations personnelles plus que d’études rationnelles. Pleines de bonne volonté et de générosité, elles peuvent néanmoins conduire à des actions sanitaires inadaptées, voire à un simple tourisme sanitaire.
Cette coexistence d’aides diverses se fait sans coordination et sans cohérence, de sorte qu’on ne peut en évaluer les résultats. Aussi le rapport du CES plaide pour la création d’une instance de coordination réunissant tous les acteurs de l’aide au développement sanitaire (société civile y compris, qui y prend part par ses dons), pour rendre plus efficace et plus solidaire la bonne volonté de tous.
Que faire ? Redonner à la santé publique et aux soins aux populations une place majeure dans l’aide au développement paraît être une priorité. Dans le cadre des instances de coopération multilatérale, la voix de la France doit peser plus fortement, en particulier lorsque sa contribution est importante (24,3 % du Fonds européen de développement).
L’Hexagone doit aussi renforcer le bilatéralisme dans les domaines où il dispose d’une expertise reconnue. Par exemple : les maladies infectieuses, la pratique hospitalière tropicale, la formation médicale et les recherches tropicales. Dans les ambassades, la présence de conseillers médicaux expérimentés et disposant de moyens accrus afin de faire de la santé une « matière obligatoire » des DCP est indispensable. La mise en place d’une assistance technique – de soutien et non de substitution – doit aussi être envisagée dans les pays où elle est souhaitée. Il faudrait pour cela former 150 à 300 volontaires ayant déjà une qualification technique au Pharo, ce qui nécessiterait la création d’un service civique de coopération sanitaire.
Évidemment, les fonds destinés à la coopération médicale doivent être accrus. Une part importante de l’augmentation du budget de l’aide publique au développement (APD), qui doit passer de 0,4 % à 0,7 % du budget national, pourrait ainsi lui être consacrée. Mais d’autres financements peuvent être envisagés, comme la taxe sur les billets d’avion, la taxe sur les ventes d’armes (dont l’achat a augmenté de 47 % dans les pays d’Afrique subsaharienne), une participation négociée des grandes entreprises commerciales et pharmaceutiques, voire un « impôt choisi » que chaque citoyen pourrait décider de verser à la coopération médicale. Pour le CES, une augmentation immédiate de 50 millions d’euros doit être « affectée à la part bilatérale de l’APD destinée à la santé afin que son niveau soit relevé à 100 millions ».
Les investissements réalisés avec ces budgets devront faire l’objet d’une évaluation rigoureuse, publique et annuelle, obtenue selon des méthodes précises, fiables et adaptées au contexte africain.
Évidemment, aucune action de coopération n’est envisageable sans que les gouvernements africains n’en aient fait la demande et approuvé les modalités. L’accueil favorable des populations est également indispensable pour éviter les échecs à court ou moyen terme.
Enfin la coopération médicale doit viser à rétablir « la dimension altruiste portée par le concept de coopération » qui a disparu « sous la démarche technico-bancaire de l’APD et la problématique politique du MAE ». Bref, la coopération doit devenir plus humaine et généreuse.

1. Membre correspondant de l’Académie de médecine (France).
2. La Coopération sanitaire française dans les pays en développement (2006), Journal officiel.

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