Bouteflika et les généraux
Trois officiers supérieurs, dont le chef d’état-major, promus au plus haut grade de l’armée. Simple reconnaissance pour services rendus au pays ?
La cérémonie a beau être traditionnelle, elle suscite toujours attentes, commentaires et spéculations. De ce point de vue, le discours que le président de la République a prononcé, la veille de l’anniversaire de l’indépendance, au ministère de la Défense a tenu ses promesses : Abdelaziz Bouteflika y a annoncé son intention d’appeler le corps électoral à se prononcer avant la fin de l’année, par référendum, sur un projet de révision de la Constitution.
S’il a choisi de donner la primeur de l’information à la haute hiérarchie militaire, ce n’est évidemment pas par hasard. Son principal argument pour convaincre les Algériens de la nécessité de changer la Loi fondamentale est que celle-ci a été promulguée en 1996, quand l’Algérie était en pleine tourmente islamiste, ses institutions fragilisées, son économie en pleine déconfiture Or, à l’époque, l’armée jouait encore un rôle central dans la vie politique. Son commandement avait d’ailleurs largement participé à l’élaboration de la Constitution
Curieusement, les Algériens n’ont guère prêté attention à ce projet de révision constitutionnelle. Et encore moins au lieu choisi pour le rendre public. Il est vrai qu’un autre événement survenu quelques minutes auparavant a monopolisé leur attention. Trois généraux-majors ont en effet été promus au grade de général de corps d’armée : Ahmed Gaïd Salah, l’actuel chef d’état-major ; Abbas Ghezaïel, ancien patron de la gendarmerie aujourd’hui conseiller du chef de l’État ; et Mohamed Medienne, alias « Tewfik », l’inamovible chef du Département renseignement et sécurité (DRS, ex-Sécurité militaire) depuis 1989. Seul, jusqu’ici, Mohamed Lamari, l’ancien chef d’état-major mis à la retraite il y a deux ans, avait accédé à ce grade. L’identité des promus a surpris dans la mesure où Bouteflika avait annoncé à plusieurs reprises sa volonté de rajeunir l’encadrement de l’armée. Il avait même fait promulguer un nouveau statut des officiers, subalternes ou supérieurs, qui fixe l’âge de la retraite à 60 ans. Or Gaïd Salah et Ghezaïel sont septuagénaires. Et Medienne a 64 ans. Personnage mystérieux, ce dernier traîne, à tort ou à raison, une réputation de « faiseur de roi » doté de pouvoirs quasi absolus. On le disait pourtant en délicatesse avec le chef de l’État, qui, selon certaines indiscrétions, lui reprochait d’être à son poste depuis « trop longtemps ». À l’évidence, les relations entre Bouteflika et la haute hiérarchie militaire sont toujours aussi compliquées !
« Il n’y a rien de mystérieux dans ces promotions, se défend l’entourage du chef de l’État. Des officiers supérieurs qui ont rendu et rendent encore de grands services à leur pays ont été honorés, voilà tout. » Mais l’âge des nouveaux généraux de corps d’armée ? « La loi donne le droit au président d’accorder, pour des raisons de service, des dérogations aux officiers supérieurs ayant dépassé l’âge de la retraite. » Fermez le ban.
Né à la fin des années 1920, Ahmed Gaïd Salah est un ancien des maquis de la guerre de libération. Au lendemain de l’indépendance, il suit plusieurs cycles de formation dans des académies de guerre soviétiques et françaises. En 1993, il est nommé commandant des forces terrestres, ce qui, par tradition, fait de lui le successeur désigné du chef d’état-major de l’armée algérienne. De fait, il remplace Mohamed Lamari, quand, en 2004, celui-ci fait valoir ses droits à la retraite. Il a alors 74 ans, et personne ne parie sur sa longévité à son poste. On se trompe. Gaïd Salah réussit à mettre en place un partenariat avec plusieurs armées occidentales (soit dans le cadre de l’Otan, soit dans un cadre bilatéral), à accélérer la modernisation des équipements et la professionnalisation de l’armée – cette dernière en est au stade de la finalisation. Aux yeux de Bouteflika, sa promotion ne serait donc rien d’autre qu’une marque de reconnaissance pour le travail accompli.
Abbas Ghezaïel est considéré comme le vrai « père » de la gendarmerie nationale, même si, dans les années 1960, il n’était que le second d’Ahmed Bencherif, le chef « historique » de ce corps. Farouchement hostile à l’islamisme politique, il fut au nombre des généraux qui, en 1991, décidèrent d’interrompre le processus électoral pour empêcher la victoire du FIS. Il passe pour l’un des principaux artisans de la stratégie mise en place contre les maquisards des Groupes islamiques armés (GIA). En 1995, il décide de quitter ses fonctions de chef de la gendarmerie pour occuper un modeste poste de conseiller aux affaires sécuritaires. D’abord au ministère de la Défense, puis à la présidence après le retour de Bouteflika aux affaires, en 1999.
Mohamed Medienne a hérité de la direction des services de renseignement à un moment délicat de l’histoire récente de l’Algérie : l’instauration du multipartisme, en 1989. Après plusieurs opérations de restructuration, la Sécurité militaire se trouvait affaiblie. La nouvelle Constitution allait en outre la priver définitivement de son rôle de police politique. Deux ans plus tard, l’insurrection islamiste éclatait. Ni l’armée ni la police n’étaient préparées à combattre des guérilleros urbains et des maquisards prêts à tout. Avec une discrétion absolue (son visage est inconnu du grand public) et une redoutable efficacité, « Tewfik » parviendra à faire du DRS l’épine dorsale de la lutte antiterroriste. Avec le succès que l’on sait. Comme pour ses deux collègues, sa promotion apparaît donc « naturelle », ses mauvaises relations supposées avec Bouteflika relevant davantage de la spéculation que de l’information.
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