Bemba : « je vais surprendre »

Le patron du MLC est l’un des adversaires les plus sérieux de Joseph Kabila à l’élection du 30 juillet. Interview.

Publié le 17 juillet 2006 Lecture : 7 minutes.

Une voix presque fluette dans une grande carcasse. Chez Jean-Pierre Bemba, les apparences peuvent être trompeuses. Prospère homme d’affaires durant les dernières années de Mobutu, le fils de Jeannot Bemba Saolona – l’ancien patron des patrons zaïrois – se lance dans la rébellion en créant en septembre 1998 le Mouvement de libération du Congo (MLC) soutenu par l’Ouganda, soucieux de disposer d’un relais susceptible de faire de l’ombre aux rebelles du RCD-Goma, proche du Rwanda. Cartouchière en bandoulière, le fils de bonne famille qui a fait ses études en Belgique s’improvise, du jour au lendemain, chef de guerre depuis son QG de Gbadolite, le village d’origine du maréchal Mobutu. À la faveur de la transition en juin 2003, il devient vice-président en charge des dossiers économiques et s’impose comme le principal opposant du président Joseph Kabila. L’homme apprend vite et espère que les élections présidentielle et législatives du 30 juillet lui permettront de légitimer sa position.
Sur le chemin qui mène au palais présidentiel, Bemba peut compter, entre autres soutiens, sur celui de Mouammar Kadhafi, qui l’a d’ailleurs reçu à plusieurs reprises en Libye. Les liens entre les deux hommes remontent à l’époque où Ange-Félix Patassé était à la tête de la Centrafrique. Le « Guide » libyen, alors au plus mal avec l’administration américaine, perçoit tout le bénéfice qu’il peut tirer d’une rébellion proche de l’Ouganda et qui se proclame ennemie du Rwanda, un allié de l’Amérique, qui appuie un autre mouvement armé congolais : le RCD-Goma. Tout semble réuni pour rapprocher Kadhafi et Bemba, d’autant que tous deux ont des troupes à Bangui pour appuyer le président Patassé en bute à une rébellion armée.
Mais Bemba sait qu’il en faut davantage que le soutien du « Guide » pour convaincre et rallier une majorité de ses compatriotes à sa cause. Il ne cesse de parcourir le pays et de répondre aux accusations de cannibalisme, d’exactions et autres atteintes aux droits humains dont ses hommes se seraient rendus coupables en Ituri et en Centrafrique. Il ne rate, non plus, aucune occasion pour contre-attaquer sur la couverture partisane de la campagne électorale par la télévision nationale. Tout comme il nourrit des craintes sur la crédibilité du scrutin ainsi que sur le rôle des organes chargés de l’organiser. Et fait montre de réelles qualités dans l’art de l’esquive, notamment sur la « congolité », qui empoisonne le débat électoral.
Réputé autoritaire voire cassant, il a perdu plusieurs de ses proches, qui sont partis chez Joseph Kabila. Mais il a transformé le MLC en une redoutable machine entièrement à son service (voir J.A. n° 2374) pour faire pièce au Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) qui donne le tempo de la campagne électorale du chef de l’État sortant. Non sans un certain savoir-faire. Bemba est habile à la manuvre et sait mobiliser. Quelle que soit l’issue du premier tour, son Regroupement des nationalistes congolais (Renaco), qui revendique vingt-six partis politiques, constituera une force incontournable.

Jeune Afrique : Vous menez une campagne très active alors qu’une vingtaine de petits candidats demandent le gel du processus électoral. L’échéance du 30 juillet peut-elle être respectée ?
Jean-Pierre Bemba : Il faut poser la question au producteur et non au consommateur. La Commission électorale indépendante (CEI) est-elle prête techniquement ? Moi, en tout cas, je suis prêt. Mais d’ici au 30 juillet, je plaide surtout pour une véritable « concertation politique » afin que tous les candidats puissent exprimer leurs difficultés.
Lesquelles ?
Des candidats demandent des garanties pour leur sécurité lorsqu’ils se déplacent à l’intérieur du pays. Des responsables politiques ont déjà été arrêtés, des étrangers accusés d’être mercenaires à la solde du candidat Oscar Kashala ont été expulsés, et un pasteur a été interpellé puis jugé par une cour militaire. Ces dérives inquiètent les candidats. Ont-ils la possibilité de mener campagne sans se faire embarquer par les services de sécurité ? Je note par ailleurs que la télévision nationale (RTNC) est monopolisée par le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). Dernièrement, le procureur général de la République et le président de la Cour suprême ont été vus à un congrès du PPRD. L’organe qui est censé trancher les contentieux électoraux est-il indépendant ? Et puis, on parle de tricheries. La CEI doit expliquer avec précision le déroulement du processus électoral. La crédibilité du scrutin est capitale pour la suite. On ne peut pas avoir de doutes sur les prochains dirigeants du pays.
L’autre menace concerne la sécurité des électeurs du fait de la présence dans le pays de groupes armés actifs, notamment dans l’est du pays. Et le MLC ?
Le MLC n’a plus d’hommes armés. Ma résidence privée de Maluku, à 80 kilomètres de Kinshasa, est en sécurité. J’y vais régulièrement, et je n’ai pas besoin d’une escorte de 3 000 ou 4 000 personnes pour cela. Comme tous les ex-belligérants, mes hommes ont intégré les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC).
Et votre garde personnelle ?
Je n’ai que des éléments pour ma sécurité. Ils sont identifiés, contrôlés, et leur nombre est raisonnable. Ils ont un macaron de l’armée nationale et sont payés par le ministère de la Défense.
Si le nombre est raisonnable, pourquoi ne le donnez-vous pas ?
Pourquoi voulez-vous que je donne les effectifs de ma garde en tant que vice-président ? C’est très loin des rumeurs folles qui circulent. Bemba est celui que vous voyez ici. Je suis licencié en sciences commerciales et en économie du développement. J’ai une expérience de gestion des entreprises. J’aurais pu rester dans le confort de mes affaires, mais j’ai choisi de combattre le régime dictatorial des Kabila. J’ai failli y laisser ma peau. Je ne regrette rien.
Votre image de chef de guerre vous poursuit malgré tout, alors que le président Joseph Kabila se présente comme l’artisan de la paix.
J’ai entamé la lutte en 1998 contre le pouvoir de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), et je rappelle que c’est la famille Kabila qui a fait entrer les Rwandais dans le pays. Quant à l’accord sur la transition conclu à Pretoria le 17 décembre 2002, Joseph Kabila n’a pas été le seul à le signer. Un seul acteur ne pouvait rien faire. C’est un gros mensonge. Je réclame aussi la paternité de la paix.
Certains observateurs vous accusent d’utiliser le thème xénophobe de la « congolité » durant cette campagne
C’est faux, nous n’exploitons pas ce thème.
Pas vous directement, mais votre entourage
À la limite, je ne suis pas responsable de ce que disent mes proches. Je suis entouré de cadres, et je fais en sorte qu’ils soient valables. Je défie quiconque de prouver que ce thème fait partie de notre propagande.
Et vos deux chaînes de télévision, Canal Kin TV et CCTV
Le propriétaire d’une télévision peut-il être considéré comme responsable de propos tenus sur l’antenne par des intervenants extérieurs ?
Déplorez-vous ces propos ?
Je déplore beaucoup de choses, la manipulation et les campagnes de diabolisation dont je suis victime. Je déplore les accusations portées contre moi qui sont entretenues par le président Kabila.
Mais avez-vous des doutes sur les origines ?du chef de l’État sortant ?
Ce n’est pas mon problème. Je refuse d’aller sur ce terrain. La candidature de Kabila a été validée par la CEI. Le juge suprême, ce seront les électeurs. Qu’est-ce que je peux dire de plus
Le MLC a enregistré de nombreux départs, votre candidature n’est-elle pas celle d’un homme isolé ?
Ma candidature est soutenue par une large plate-forme, le Renaco, qui regroupe 26 partis politiques. Au sujet d’Olivier Kamitatu, l’ancien président de l’Assemblée nationale qui a rallié le camp présidentiel, comment peut-il être pris au sérieux ? Qui a trahi, trahira. C’était un ami, il ne l’est plus. Vous ne pouvez pas prétendre défendre le peuple quand vous êtes achetable. On a besoin de moraliser la vie politique. Malheureusement, Kabila se comporte comme Mobutu. Mobutu a joué au débauchage, et on voit où cela nous a mené.
Avez-vous noué des contacts avec l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), qui a appelé au boycottage du scrutin ?
Ils veulent un changement, moi aussi. On se voit, on discute, mais je regrette l’absence de l’UDPS. Son président Étienne Tshisekedi est l’un des parrains de la démocratie, c’est dommage qu’il ne soit pas au rendez-vous.
Les voix de l’UDPS vous intéressent, forcément
Comment vont réagir les militants de l’UDPS ? Je n’en sais rien. Mais, en cas de victoire, l’UDPS ne sera pas exclue des institutions
Quel est votre poids électoral au-delà de la province de l’Équateur dont vous êtes originaire ?
Laissons faire les élections. Ce qui m’importe, c’est la vérité du scrutin
Quelle que soit cette vérité ?
Nous allons l’accepter, et ce ne sera pas la fin du monde. Il y aura d’autres élections dans cinq ans. Abdoulaye Wade et François Mitterrand ont attendu vingt ans. J’ai 44 ans.
Vous prenez date
Bien sûr. Perdre les élections, être dans l’opposition, c’est la démocratie. Je suis prêt à reconnaître une défaite. J’ai combattu une dictature, j’ai risqué ma vie pour cela. J’ai dormi dans des huttes, j’ai été bombardé par l’armée de Kabila. J’aurais fait tout cela pour rien ? La démocratie, je l’ai voulue. Mais je vise la majorité, et je vais surprendre.

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