Banquier du développement

Avec une cinquantaine de bureaux à travers le monde et quelque 1 200 collaborateurs, l’opérateur pivot de la coopération française a rejoint le peloton des grands acteurs mondiaux de l’aide.

Publié le 18 juillet 2006 Lecture : 6 minutes.

Comme c’est une agence de développement, des photos de villages africains trônent dans les couloirs du siège parisien. Et comme il s’agit aussi d’une banque, les sièges en cuir sont des plus confortables. Quant au hall d’accueil, il n’a rien à envier à ceux des institutions internationales les plus réputées. Avec une cinquantaine de bureaux à travers le monde, dont plus de la moitié en Afrique, et près de 1 200 collaborateurs, l’Agence française de développement (AFD) voit grand. Et s’en réjouit. « Nous avons rejoint le peloton des grands acteurs mondiaux de l’aide en élargissant notre zone d’intervention, sans que cela nuise à la rive sud de la Méditerranée et à l’Afrique subsaharienne », se félicite Jean-Michel Severino, le directeur général. De fait, en cinq ans, les engagements de l’agence ont doublé. En 2005, le montant total des financements accordés dans les pays étrangers (prêts et dons) s’est élevé à 1,67 milliard d’euros, soit plus de 50 % de croissance par rapport à l’année précédente. Principal bénéficiaire, l’Afrique, avec 905 millions d’euros (+ 21 %). Juste derrière, même si l’écart tend à se réduire, l’Asie et le Moyen-Orient, qui en ont obtenu 633 millions (+ 90 %). Quant aux territoires français d’outre-mer, ils ont reçu 537 millions d’euros (+ 40 %).
Les chiffres sont à première vue convaincants. Le continent fait toujours figure de priorité et l’agence est devenue « l’opérateur pivot de la coopération française ». L’augmentation des concours destinés à l’Afrique a commencé avec la réforme de 1998, qui a entraîné l’absorption de la Coopération par le ministère des Affaires étrangères. Maintenue sous la tutelle de l’État, l’AFD est en première ligne et concentre près de 10 % de l’aide publique au développement (APD). En 2005, deuxième étage de la réforme. Le pilotage stratégique des politiques de développement reste à la charge du Quai d’Orsay et du ministère de l’Économie et des Finances. Mais, sur le terrain, l’agence voit son rôle conforté. Ses champs d’intervention sont étendus. En plus des compétences historiques (infrastructures, agriculture, sécurité alimentaire, eau, secteurs productifs), elle hérite de la santé et de l’éducation, secteurs auparavant dévolus au ministère de la Coopération. Après avoir subi des compressions d’effectifs pendant une dizaine d’années, les services de la Coopération dans les différentes capitales africaines font grise mine. L’AFD la joue modeste et en appelle au partage des expériences. Le ministère sauve la face et rappelle que les ambassadeurs sont les coordinateurs du dispositif afin d’en assurer la cohérence. « L’AFD est l’élément le plus dynamique de l’aide française », reconnaît un haut fonctionnaire.
« Ces réformes successives ont réduit la palette des instruments de coopération. L’AFD est devenue incontournable, mais l’approche bancaire a pris le dessus sur la logique de partenariat, qui est à présent escamotée », déplore Henri Rouillé d’Orfeuil, le président de Coordination Sud, un collectif d’ONG qui dénonce principalement la taille excessive des programmes retenus par l’agence. « Cela exclut les petits projets locaux menés par des organisations paysannes ou des regroupements d’habitants, explique Rouillé d’Orfeuil. Ces initiatives à petite échelle sont pourtant très efficaces dans la lutte contre la pauvreté. » Le montant moyen des projets financés sur prêts est passé de 7 millions d’euros en 2001 à 29 millions en 2005. « Dans les prochaines années, cette enveloppe devrait se stabiliser autour de 25 millions », précise Michel Jacquier, le directeur exécutif chargé des opérations. Pour les dons, le montant moyen a été de 5,8 millions en 2005. Avant leur transfert à l’AFD, les projets soutenus par la Coopération tournaient autour de 1,7 million d’euros. « Nous voulons avoir de l’impact et éviter le saupoudrage dans nos actions », répond Jacquier. Et d’ajouter, sur la question du partenariat : « On commence à travailler sur un projet uniquement lorsque nous avons une demande très claire exprimée par nos partenaires du Sud, et ce sont eux qui en assurent la maîtrise d’ouvrage. Nous apportons seulement le financement et les compétences en cas de besoin. » Exemples d’interventions sous forme de dons en 2005 : au Tchad, 12,5 millions d’euros ont été affectés à la distribution d’eau potable à N’Djamena ; à Madagascar, 15 millions ont été versés pour renforcer la production agricole et 17 millions pour améliorer le taux de scolarisation ; au Bénin, 10 millions sont allés à l’hydraulique villageoise et 15 millions à l’éducation ; au Niger, une contribution de 13 millions cofinance un programme de santé publique ; au Mali, plus de 15 millions ont été débloqués pour assurer la sécurité alimentaire La plupart du temps, l’État est le partenaire. Concernant les ONG, l’AFD semble consciente de ses lacunes. « Nous voulons travailler avec la société civile », assure Severino en présentant un projet pilote qui vient d’être lancé au Niger. Il s’agit d’un « appel à propositions » face à la crise alimentaire, exclusivement destiné aux ONG. Le montant ne dépassera pas 1,5 million d’euros sur trois ans.
L’autre reproche concerne la progression des prêts aux dépens des dons. Ce qui n’est pas sans conséquence pour bon nombre de pays africains, surendettés et insolvables. A contrario, les économies émergentes d’Asie constituent un « nouveau marché ». En 2001, les dons représentaient 32 % des engagements de l’AFD. En 2005, cette proportion n’était plus que de 19 %, soit 269 millions d’euros, dont 80 % destinés à l’Afrique. En hausse constante, les prêts s’élèvent à 1,265 milliard d’euros, dont plus de 180 millions au bénéfice de la Chine, qui se place directement en pole position avec l’électrification d’une ligne ferroviaire et la construction d’une centrale électrique à Wuhan, dans le centre du pays. « La Chine, seule, ne parviendra pas à régler le défi de l’environnement qui nous concerne tous », martèle le patron de l’AFD. « Globalement, et toutes zones confondues, cela ne veut pas dire que nous réduisons nos dons, mais ils augmentent moins vite que les prêts », reconnaît le directeur des opérations. De fait, l’AFD ne peut donner que ce qu’elle reçoit de l’État au titre de l’APD. Pour doper ses activités, elle est donc dans l’obligation d’obtenir des liquidités. Comment ? En diversifiant ses ressources. Ce qu’elle fait avec une certaine réussite. Pour 1 euro obtenu du Trésor public, ces « banquiers du développement » en génèrent 3 grâce aux fonds qu’ils lèvent sur les places financières. Le plus souvent sans la garantie de l’État. Quand le grand capital participe à la lutte contre la pauvreté « Nous faisons plus, moins cher et mieux, se réjouit Severino. Cet effet de levier de 1 à 3 est la meilleure façon d’utiliser l’argent confié par le contribuable. »
Appuyés sur ces financements privés, les crédits délivrés par l’AFD ont des taux d’intérêt oscillant entre 1 % et 5 %. En 2005, sur le continent, les principaux programmes ainsi financés se trouvent en Afrique du Sud (eau et logement social), au Maroc (routes et chemin de fer), en Tunisie (métro et hôtellerie), au Kenya (eau, assainissement et réseau électrique), au Gabon (routes) et au Ghana (développement urbain). « La logique financière l’emporte, se désole Coordination Sud. L’allocation d’un prêt répond avant tout à la capacité de remboursement de l’emprunteur et, en général, à la rentabilité de l’investissement concerné. » Cette accusation vise notamment la filiale Proparco, spécialisée dans le secteur privé, dont les engagements ont atteint 370 millions d’euros (+ 70 % par rapport à l’année dernière). Principaux domaines d’activité : le soutien des petites entreprises et le financement d’infrastructures.
Si cette logique bancaire suscite un débat à caractère idéologique sur les missions de l’AFD, elle apporte certainement plus de garanties. « L’intervention des milieux financiers est un gage de réussite puisque l’obligation de résultat l’emporte. On a rarement vu un investisseur privé soutenir un projet en pure perte ! » estime Jean Missinhoun, un gestionnaire de fonds intervenant sur le continent. Est-ce la fin des « éléphants blancs » ? C’est en tout cas l’engagement de l’AFD, qui insiste sur les notions de « qualité et de productivité ». « Nous suivons de façon précise nos projets, qui font l’objet d’une cotation en cours d’exécution et d’une évaluation une fois achevés », précise Severino. Les projets « à problèmes » sont ainsi passés de 26 % en 2001 à 23 % en 2005. Si l’avancée est minime, la démarche se veut exemplaire avec l’intervention de consultants extérieurs au cours du processus. De quoi satisfaire les banquiers, rassurer les contribuables, mais aussi respecter les partenaires du Sud.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires