Sur la ligne de fracture

Le massacre de plus de six cents musulmans par des chrétiens surarmés dans l’État du Plateau n’est pas le produit des seules tensions religieuses.

Publié le 17 mai 2004 Lecture : 4 minutes.

AKano (nord du pays) les 11 et 12 mai, des émeutes ont fait plusieurs centaines de morts en réplique aux combats interethniques de l’État du Plateau (Ouest). Le 2 mai, autour de la localité de Yelwa, les affrontements entre agriculteurs taroks de religion anglicane et éleveurs fulanis (peuls) de confession musulmane, avaient été particulièrement meurtriers. La Croix-Rouge internationale, qui a inspecté plusieurs fosses communes, a évalué à au moins six cent trente le nombre des victimes de ce drame.
Taroks et Fulanis s’affrontent sporadiquement depuis près de deux mois dans la région. Selon un témoin, cette fois-ci les Taroks se sont attaqués à leurs adversaires avec au moins deux Jeep armées de mitrailleuses lourdes et ont poursuivi les fuyards, femmes et enfants compris, avec des fusils d’assaut jusque dans leurs maisons. Afin d’éviter que des expéditions punitives ne viennent alourdir le bilan humain, le gouverneur par intérim Michael Botmang a décrété un couvre-feu, et l’inspecteur général de la police fédérale, Tafa Balogun, a dépêché sur place six cents policiers antiémeutes avec ordre de tirer à vue.
Vu l’armement impressionnant des assaillants et leur accoutrement paramilitaire, des témoins et la presse nigériane ont parlé de « milices chrétiennes » aux objectifs génocidaires. Un raccourci contesté par le père Félix Ajakaye, responsable de la communication pour la Conférence épiscopale du Nigeria. Après avoir fermement condamné les violences, le prêtre a affirmé qu’aucune coordination paramilitaire n’avait jamais été mise sur pied par une communauté chrétienne dans cette région, où le poids des deux confessions est à peu près équivalent.
L’origine du drame serait plutôt à chercher dans les conflits fonciers récurrents, litiges sur des terres ou cultures détruites par du bétail mal surveillé. Des conflits dont le point de départ remonte à plus d’un siècle, lorsque les éleveurs venus du Nord se sont sédentarisés dans la région. S’est greffé à cela le vieil antagonisme religieux entre chrétiens et musulmans, mal géré par les autorités. « Jusqu’à présent, nous avions confiance dans le pouvoir local. Mais, depuis mars, on nous traite d’indésirables, notre statut de résident est remis en question, au point que nous nous sentons presque dans l’illégalité », a commenté le secrétaire général de l’organisation musulmane Jama’atu Nasril Islam. Ce dernier a été chargé par les imams locaux, dont trois mosquées ont été incendiées, de trouver de nouvelles terres dans un État plus au nord, afin de réinstaller les rescapés des tueries de Yelwa. Car la communauté fulanie de la localité a décidé, au lendemain de la tuerie, de s’exiler.
À la charnière entre la zone Nord, où la majorité de la population est musulmane et où la charia régit la vie quotidienne, et le Sud, principalement chrétien, l’État du Plateau, par sa diversité religieuse et culturelle, est comme un Nigeria en miniature. Quelque deux cent cinquante ethnies – et autant de langues vernaculaires – se répartissent sur le territoire. Mais sa devise, « Terre de paix et de tourisme », a été mise à mal en 2001 lorsque les émeutes interreligieuses ont fait mille morts et vu des dizaines d’églises et de mosquées brûler dans sa capitale, Jos.
À cette époque, on s’est interrogé sur les raisons de cette violence – d’ailleurs pas circonscrite au Plateau -, dont on ne parlait guère avant l’arrivée au pouvoir en 1999 d’Olusegun Obasanjo, et l’avènement d’un régime moins opaque que la dictature qui l’avait précédé. Et les spécialistes n’ont pas manqué de souligner la responsabilité des autorités locales, observant que, dans le Plateau comme dans l’État de Kaduna, qui appartient aussi à la « ceinture du milieu » et a connu des problèmes similaires, les politiciens cèdent facilement à la tentation d’instrumentaliser les passions pour consolider leur pouvoir. Il n’est pas rare qu’ils soufflent sur les braises du mécontentement afin de se poser ensuite en « sauveurs »… au risque de voir la situation leur échapper et les morts joncher les rues. Les potentats du Nord ont ainsi canalisé la colère populaire pour faire pression sur le pouvoir central et stigmatiser au passage l’avènement de la démocratie. Puis la mise en place de la charia, opportune vitrine de l’ordre moral, leur a surtout permis d’encadrer la population et d’influer sur ses choix.
L’État du Plateau, frontière culturelle, religieuse mais également économique entre le Nord agricole et le Sud minier et industriel, avait donc été placé sous haute surveillance lors de l’élection présidentielle du 19 avril 2003. Un scrutin dont les principaux adversaires furent Olusegun Obasanjo, un chrétien du Sud, et le musulman nordiste Muhammadu Buhari. Le scrutin s’était déroulé calmement dans l’ensemble, et la situation politique est équilibrée dans la région. Son gouverneur par intérim, Michael Botmang, est membre du parti au pouvoir, le People’s Democratic Party (PDP), qui, lors des dernières élections législatives a fortement reculé au profit du All Nigeria People’s Party (ANPP), la formation de Buhari. Mais la reprise des violences intercommunautaires démontre la persistance des tensions. Ni l’envoi massif de soldats ou de policiers, ni le déplacement de populations ne règlent quoi que ce soit. Au contraire, si elles ramènent l’ordre sur le moment, ces mesures ne peuvent que creuser le fossé entre chrétiens et musulmans. On a beaucoup reproché au président Obasanjo, au terme de son premier mandat, de s’être davantage occupé de politique étrangère que des problèmes internes du pays. Les cruels événements du Plateau le rappellent à ses responsabilités premières.

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