Savoir prendre des risques
Si l’économie africaine se développe mal, c’est notamment parce que les petites et moyennes entreprises (PME) ne sont pas assez nombreuses. Quand elles existent, elles ne sont pas assez financées pour croître. Or les banques du continent portent dans cette affaire une responsabilité écrasante.
Interrogez un banquier. Demandez-lui à combien de PME sa banque accorde des crédits. Vous obtiendrez deux genres de réponses. Si ce professionnel est du style feutré, il vous dira : « La clientèle des PME ne constitue pas notre coeur de cible. » S’il est plus direct : « On ne travaille plus avec ces gens-là, on a eu trop de problèmes d’impayés à cause de types qui se sont envolés avec la caisse… »
Si vous lui êtes sympathique, il vous confiera, sous le sceau du secret évidemment, qu’il accepte de travailler avec quelques petites entreprises triées sur le volet. Avec de jeunes managers bien recommandés, « de la famille du président, vous voyez ». Ou avec des entrepreneurs expérimentés, dont la fortune repose déjà dans des coffres discrets, outre-mer : « C’est une garantie, vous comprenez. » Nous comprenons. Les banquiers ne sont pas des philanthropes. L’argent qu’ils font travailler n’est pas le leur. Ils doivent fournir bénéfices et dividendes à leurs actionnaires. Ils ne peuvent pas se permettre d’accumuler les comptes insolvables.
Certes. Mais en se réfugiant derrière toutes ces excellentes raisons, les banques du continent se sont dévoyées. Hormis quelques brillantes exceptions, elles ont renoncé à jouer leur rôle d’intermédiation, c’est-à-dire à emprunter de l’argent sur les marchés financiers pour le prêter ensuite aux entrepreneurs.
Désespérant ? Pas tant que cela. L’économie, comme la nature, a horreur du vide. Cette mission, que les banques ne veulent pas assumer, est désormais remplie par d’autres institutions financières : les sociétés de capital-risque.
Leur secret ? Il n’y en a pas. Les sociétés de capital-risque ne prêtent pas d’argent. Elles apportent du capital à un entrepreneur, qui lance un projet viable, ou à une PME, qui cherche à se développer. Elles détiennent ainsi une part, en général minoritaire, de l’entreprise. Elles exercent activement leurs droits d’actionnaire, allant jusqu’à conseiller et à former le chef d’entreprise. Quand l’entreprise a grandi et qu’elle est devenue rentable, les « capital-risqueurs » vendent leurs actions. Avec une grosse plus-value. Mais ils savent être patients. En Europe et en Amérique, ils restent présents en moyenne cinq ans dans le capital des PME. En Afrique, huit à dix ans sont des durées plus courantes. Pas plus que les banquiers, les « capital-risqueurs » ne sont des philanthropes. L’un d’entre eux confie n’accepter qu’un seul dossier de PME sur vingt présentés, en moyenne. Mais l’entrepreneur choisi n’a pas besoin d’avoir de parent haut placé. Il lui suffit d’être compétent et de disposer d’un projet solide sur un créneau de marché rentable.
Ce métier se développe à grande vitesse. Lors de l’assemblée annuelle de l’Association africaine de capital-risque (ou Avca), qui s’est tenue du 18 au 21 avril dernier à Marrakech, au Maroc, 500 professionnels ont échangé leurs expériences. Ils n’étaient qu’une centaine trois ans plus tôt. Les pionniers Tuninvest et Marocinvest pour le Maghreb, EFG-Hermes en Égypte, Cauris en Afrique de l’Ouest, Cenainvest en Afrique centrale, Equity Africa et Zephyr Africa en Afrique du Sud ont été rejoints par des nouveaux membres venus du Sénégal, du Mali, du Nigeria, du Mozambique ou du Botswana.
Les banques vont-elles pouvoir bâiller en paix, maintenant que la difficile clientèle des PME est entre de bonnes mains ? Certainement pas. Ces petites entreprises innovantes et rentables sélectionnées par les sociétés de capital-risque ont aussi besoin de crédits. Elles seront les moyennes entreprises de demain et les grandes d’après-demain. Quant aux banques assoupies sur leurs matelas de francs CFA, d’euros et de dollars, qui ne voient pas bouger l’Afrique, elles n’auront que le sort qu’elles méritent : elles seront balayées.
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