Rumsfeld s’accroche

Assuré du soutien de George W. Bush et du vice-président Dick Cheney, le secrétaire à la Défense, directement mis en cause, n’est pas près de démissionner.

Publié le 17 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

Même si George W. Bush l’a publiquement félicité, au siège du Pentagone, pour le « superbe travail » accompli du côté de Bagdad, Donald Rumsfeld, l’arrogant secrétaire américain à la Défense, est indiscutablement le grand perdant des derniers développements de la crise irakienne. La révélation des exactions dont ont été victimes les détenus de la prison d’Abou Ghraib fournit aux adversaires des néo-conservateurs au sein de l’administration l’occasion sinon de faire prévaloir leurs vues, au moins de contrarier les projets du Pentagone en Irak. Après tant de couleuvres avalées, Colin Powell, le secrétaire d’État, George Tenet, le directeur de la CIA, et l’état-major des forces armées peuvent enfin croire que le vent a tourné.
Depuis des mois, les généraux Sanchez, Abizaid et quelques autres réclament à cor et à cri l’envoi de renforts qui leur sont systématiquement refusés pour des raisons qui tiennent moins aux réalités du terrain qu’à l’idéologie. Obtiendront-ils enfin satisfaction ? La réponse à cette question fournira une bonne indication sur l’évolution des rapports de forces au sein de l’équipe Bush. De même, on voit mal comment le Pentagone pourrait conserver de facto, comme le souhaite Rumsfeld, le contrôle de la gestion de l’Irak après le 30 juin, date du transfert du pouvoir aux Irakiens. Et encore moins réorganiser à son profit les services de renseignements américains.
La plupart des grands journaux anglo-saxons ont condamné sans ambiguïté les sévices infligés aux prisonniers irakiens. Certains, comme l’hebdomadaire britannique The Economist ou Armed Services, un quotidien indépendant très populaire chez les militaires américains, sont allés jusqu’à réclamer ouvertement la démission de Rumsfeld. L’establishment républicain lui-même paraît ébranlé. C’est notamment le cas du sénateur John McCain, qui n’a pas ménagé Rumsfeld lors de la comparution de celui-ci devant le Congrès, le 7 mai. L’ennui est que l’opinion américaine – surtout les franges les plus populaires de l’électorat républicain – n’a apparemment pas de tels états d’âme. Le 7 mai, selon un sondage, seules 20 % des personnes interrogées se déclaraient favorables au départ de « Rummy ».
Pour Bush, que la situation en Irak et l’hypothétique démocratisation du Moyen-Orient préoccupent moins que sa réélection au mois de novembre, la situation est évidemment embarrassante. Dans un premier temps, incertain des réactions de l’électorat, il a fait savoir qu’il avait admonesté son secrétaire à la Défense pour le comportement de ses hommes. De même, à la suite de « fuites » opportunément distillées, certains médias ont fait état des relations « enflammées » (Newsweek) entre la Maison Blanche et le Pentagone, et suggéré que Condoleezza Rice, la patronne du Conseil national de sécurité, ne serait pas forcément désespérée par le limogeage de Rumsfeld – ce qui n’est pas faux. En réalité, on sait aujourd’hui que le président a dîné au domicile du secrétaire à la Défense dès le lendemain de la diffusion par CBS des premières images de sévices. Et qu’à cette occasion il ne lui a pas ménagé ses encouragements. Quant à Rice, elle a très vite corrigé le tir : la Maison Blanche apporte à Rumsfeld « tout le soutien possible ».
Dans cette sourde lutte d’influence, ce dernier dispose d’un atout maître : le soutien inconditionnel de Cheney. Depuis trente-cinq ans, les deux hommes sont sur la même longueur d’onde, presque inséparables. C’est le vice-président qui imposa Rumsfeld au Pentagone, alors que celui-ci n’était pas le premier choix de Bush. Aujourd’hui encore, il le juge, sans rire, comme « le meilleur secrétaire à la Défense de l’histoire des États-Unis ». Or Cheney est lui, à coup sûr, le vice-président le plus puissant de l’Histoire. Il a mis en place une véritable administration parallèle à sa dévotion, qui dicte sa loi dans presque tous les domaines. Avant de se débarrasser de Rumsfeld, il faudra lui passer sur le corps. Ce ne sera pas facile…
En toute occurrence, Bush, qui s’est toujours efforcé d’imposer de lui-même l’image d’un « commandant en chef » impavide sous la mitraille, ne peut sans doute se permettre, à six mois de la présidentielle, de sacrifier l’un de ses lieutenants au premier vent contraire. L’unité de son camp n’y résisterait probablement pas.

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