Quand Histoire rime avec espoir

Publié le 17 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

J’ai 85 ans, bientôt 86, et être encore en vie pour célébrer dix années de démocratie en Afrique du Sud est une expérience et un privilège extraordinaires, que les mots sont impuissants à décrire. Plusieurs générations de nos combattants de la liberté, de nos militants antiapartheid et de tous ceux qui ont subi oppression, exploitation et conditions de vie dégradantes ont vécu dans l’espoir de connaître un jour la liberté. Cet espoir les encourageait, les motivait et leur donnait la force de continuer.
Un peuple en lutte et ses mouvements de libération doivent s’accrocher à l’espoir de la liberté même dans les circonstances les plus dures, face aux obstacles les plus difficiles à surmonter et dans les heures les plus sombres. Nous, les peuples d’Afrique du Sud, et nos mouvements de libération, sommes passés par de nombreuses phases d’abattement profond lorsqu’il nous semblait que nous ne serions jamais libres, ou du moins que nous ne serions plus là pour voir ce jour que nous attendions tant.
Dix ans de démocratie !
Dix ans de démocratie, après plusieurs siècles de domination coloniale et de dépossession. Après plusieurs décennies passées sous le joug de l’apartheid, la forme la plus structurée de domination et de discrimination raciales que le monde ait connue après la Seconde Guerre mondiale.
Dix ans peuvent sembler bien peu dans l’histoire de l’humanité. En tant que peuple, nous, Sud-Africains, savons que ces dix années où nous avons vécu ensemble dans la paix, dans la reconnaissance de notre humanité commune, dans l’accommodement démocratique de nos différences au sein de notre unité nationale, représentent un accomplissement humain dont l’importance et l’impact, en le transcendant, font oublier qu’il est si récent.
Je nous ai souvent entendu décrire dans le monde entier comme une nation miracle. Le monde pensait que nous étions voués à nous autodétruire dans une sanglante guerre civile et raciale. Or, non seulement nous avons évité une telle conflagration, mais nous avons créé l’un des ordres démocratiques non racistes et non sexistes les plus exemplaires et les plus progressistes du monde contemporain.
Nous n’apprécions peut-être pas toujours à sa juste valeur l’importance de cet accomplissement, ni à quel point il peut être source d’inspiration pour notre monde à cheval sur deux siècles, en quête d’espoir et de sens. Comme nous le rappelle un poète célèbre en parlant du miracle de notre transition et de notre démocratie, pour une fois histoire a rimé avec espoir.
Ce gouvernement, le gouvernement d’unité nationale, a montré que le peuple sud-africain et ses dirigeants élus avaient la volonté et la capacité de faire fonctionner la démocratie. Il a rassemblé trois mouvements politiques historiquement opposés dans la vaste entreprise consistant à mener notre pays vers la réussite, à mettre en place et affermir notre démocratie, et à unir notre peuple dans sa diversité.
Lorsque je pense à cette première décennie de démocratie, et plus particulièrement aux cinq premières années fondatrices, je ne peux que rendre hommage à la sagesse et au bon sens des leaders des partis impliqués et de tous les membres de ce premier cabinet. J’imagine qu’ils auront tous l’occasion – et ils auront raison – de rapporter mes moments d’impatience, de colère, de folie et d’irrationalité dans les Mémoires qu’ils ne manqueront pas d’écrire. Je garde pour ma part le souvenir du travail d’équipe, du patriotisme partagé et de la fierté que nous inspirait notre pays.
La dignité humaine est la première valeur évoquée dans les fondements de notre Constitution. Mais il nous reste encore beaucoup à faire avant de pouvoir affirmer que chacun des habitants de notre pays vit mieux. Le chômage, la pauvreté et la maladie – en particulier cette menace terrible qu’est le sida – nous rappellent chaque jour l’ampleur des défis qui nous attendent à l’aube de notre deuxième décennie de démocratie. Et ce n’est pas minimiser ces défis ou la souffrance des individus que de souligner que nous affrontons le futur avec une dignité intégralement restaurée.
J’ai voté en démocratie pour la troisième fois cette année, la quatre-vingt-sixième de ma vie. Je l’ai fait en célébrant le dixième anniversaire de notre démocratie. Dix ans de dignité retrouvée. Et je me suis souvenu de mes camarades et compatriotes disparus, qui, comme moi, se sont obstinés à avoir foi dans la liberté.

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