Percée continentale

Des établissements 100 % africains concurrencent les filiales des groupes occidentaux en zone franc. Leur recette ? Souplesse et africanité.

Publié le 17 mai 2004 Lecture : 5 minutes.

Ecobank, Bank of Africa, Afriland First Bank… Peu connus en dehors du continent, ces noms accaparent peu à peu les devantures des agences bancaires d’Afrique subsaharienne. Jusque-là, rien d’extraordinaire. Mais en dépit de consonances anglo-saxonnes, c’est bien de la zone franc que sont issus ces établissements, véritables multinationales bancaires à capitaux et management essentiellement africains. Leur percée n’est pas anecdotique. Confidentiel il y a quelques années, le bilan de Ecobank Transnational Inc., le holding du groupe éponyme, frôle le milliard de dollars. Bank of Africa (BOA) Bénin, pièce maîtresse du réseau BOA, est la première banque sur son marché domestique. Quant à Afriland First Bank, elle pourrait occuper dès l’année prochaine la troisième place d’un marché camerounais jusqu’ici verrouillé par les « françaises ». Rien d’étonnant. Ébauche d’un capitalisme régional intégré, ces réseaux sont nés dans les années 1980 sur un créneau laissé vacant par les établissements internationaux, totalement accaparés par une clientèle haut de gamme, composée de filiales de multinationales et de particuliers fortunés. « Les filiales des banques occidentales sont tenues de suivre des directives édictées dans leur pays d’origine, explique Paul Kammogne Fokam, président d’Afriland First Bank. Nous profitons d’une souplesse dont elles ne disposent pas. »
Voilà donc l’atout de ces réseaux : pouvoir proposer des produits adaptés aux caractéristiques de l’économie africaine, et non recycler des offres conçues à l’origine pour des pays développés. C’est du moins leur discours. Même si la réalité est plus nuancée et laisse une large place aux administrations et aux grandes entreprises dans leur portefeuille de clients, l’approche commerciale fait la part belle aux PME locales. C’est d’ailleurs ce qui les différencie d’autres banques d’initiative africaine, comme la gabonaise BGFI Bank, qui fonctionne davantage sur le modèle des banques internationales. À ce jeu, la palme de la proximité avec le tissu économique local revient sans conteste à Afriland First Bank. Connue jusque récemment sous le sigle CCEI Bank, cet établissement camerounais s’est donné pour mission d’accompagner les entrepreneurs de l’économie informelle à une structure formelle, préalable à la constitution d’une entreprise moderne. L’argent circule dans un environnement informel et « sous-bancarisé » ? L’établissement propose Flash Cash, un outil bancaire qui permet de remplacer l’argent liquide par des contre-valeurs certifiées. Les entreprises manquent de financement à long terme ? Afriland First Bank se positionne dans le microcrédit et le capital-risque. Une partie significative de ses concitoyens est musulmane ? Un service d’épargne « spécial pèlerinage » est créé à leur intention. Résultat, cette banque « caméléon » est aujourd’hui citée en exemple sur tout le continent.
Et ce positionnement peut se révéler juteux. Afriland First Bank offre un rendement proche de 20 %, une performance difficilement accessible sur les marchés concurrentiels développés. Preuve du bien-fondé de leur approche, ces banques aiguisent l’appétit de leurs concurrents occidentaux. Tête de pont du groupe belgo-néerlandais Fortis en Afrique, la Belgolaise s’apprête à monter à hauteur de 20 % dans le capital d’Africa Financial Holding, holding du groupe BOA. Certes, le bilan cumulé de ces réseaux reste difficile à comparer avec celui d’une grande banque occidentale, comme BNP-Paribas. Toutefois, leur activité moyenne progresse à un rythme nettement plus élevé que le reste du secteur, à mesure que les états-majors ajoutent de nouvelles filiales à leur tableau de chasse. Car qu’ils soient originaires d’Afrique de l’Ouest ou d’Afrique centrale, ces réseaux se sont initialement développés en se focalisant sur une même stratégie : étendre leur présence sur un nombre toujours plus important de pays.
Le but n’est pas tant d’accompagner les échanges commerciaux transfrontaliers, comme la direction d’Ecobank s’en est fait le chantre. En dépit de leur proximité, le commerce régional est encore trop timoré pour générer des besoins bancaires significatifs. L’objectif de ces réseaux est plutôt de créer des synergies, de profiter d’un même environnement légal et monétaire, et surtout de mutualiser les dépôts des différentes filiales. Explications : la structure des économies subsahariennes diffère fortement d’un pays à l’autre. Certains souffrent d’une absence de projets « bancables », tandis que d’autres, plus rares, pâtissent de dépôts insuffisants. L’abondance des liquidités dans les caisses de certaines filiales est ainsi opportunément utilisée pour financer des projets ou des entreprises via les filiales situées dans des pays plus industrieux.
« Jusqu’en 2002, les filiales béninoise, burkinabè, sénégalaise ou malienne finançaient souvent les prêts accordés par la filiale ivoirienne lors des récoltes de cacao », se souvient un associé d’Ernst & Young à Abidjan. Pour preuve, les prêts accordés par Ecobank Côte d’Ivoire en 2002 étaient supérieurs aux dépôts, alors que les établissements situés dans les autres pays de la sous-région étaient systématiquement « surliquides » (dépôts supérieurs aux crédits). Même constat du côté de BOA Côte d’Ivoire, dont les créances dépassaient de 11 % les dépôts fin 2001. Cette pratique est d’autant plus usitée que la trésorerie des réseaux est de plus en plus centralisée au niveau de leurs maisons mères respectives, facilitant les transferts de fonds.
Mais la crise ivoirienne est passée par là, menaçant ce fragile équilibre et raréfiant les opportunités de financement au sein de la zone franc. Aujourd’hui, l’heure est donc à une diversification géographique encore plus poussée. Une bonne façon de mutualiser et, ainsi, de neutraliser les risques régionaux. Résultat, les réseaux débordent peu à peu de leur zone d’influence traditionnelle. Historiquement positionnée en Afrique de l’Ouest, Bank of Africa est en train d’hériter des filiales de la Belgolaise en Ouganda, en Tanzanie, au Ghana et au Togo. Et le Kenya et le Nigeria figurent sur les écrans radars. En dépit de quelques problèmes de gestion, Ecobank, déjà présent à Lagos et Accra depuis une quinzaine d’années, a récemment pu compenser la dégradation du climat des affaires en Côte d’Ivoire par le dynamisme de l’Afrique centrale, où le groupe est présent via son implantation à Douala. Enfin, Afriland First Bank est récemment sorti de sa chasse gardée camerounaise et de son implantation en Guinée équatoriale pour s’étendre au Congo-Brazzaville ou encore à São Tomé e Príncipe. La banque vient même d’ouvrir un bureau à Pékin ! Histoire de capter les courants d’affaires entre la Chine et le golfe de Guinée, à l’heure où l’empire du Milieu cherche à diversifier ses approvisionnements pétroliers.
Mais l’ambition de ces réseaux ne se résume pas à planter des drapeaux sur la carte de l’Afrique subsaharienne.
Le leasing et l’assurance font d’ores et déjà partie des priorités stratégiques. Autre axe de développement, la banque d’affaires. Mais à la différence de la banque de détail, cette activité de conseil en fusion et acquisition ou d’accompagnement dans l’obtention de financements complexes reste l’apanage des grands acteurs internationaux, ces banques panafricaines manquant encore d’une expertise suffisamment poussée. Pour indispensables qu’ils soient à l’émergence d’un secteur privé africain, ces réseaux ne feront pas de miracle.
Faute d’un environnement adapté, leur mission d’intermédiation, qui consiste à transformer des dépôts en crédits à moyen ou long terme, n’est que partiellement remplie.

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