Nord-Sud: le dégel?

Publié le 17 mai 2004 Lecture : 5 minutes.

Le cycle de Doha sur le commerce et le développement sera-t-il bouclé d’ici à la fin de l’année ? C’est en tout cas le voeu le plus cher de Pascal Lamy, commissaire européen au Commerce, et de Robert Zoellick, secrétaire américain au Commerce, qui ne ménagent pas leurs efforts pour achever ce processus, lequel doit se traduire par une plus grande libéralisation des échanges agricoles et financiers.
Globe-trotters infatigables, ils ont multiplié les voyages et les déclarations dans les pays en développement ainsi que les consultations avec leurs partenaires des nations développées depuis début 2004. Leur dernier déplacement en date les a menés, début mai, à Londres pour rencontrer des représentants des pays du G20, une coalition des pays émergents, et du G90, représentant les États les plus pauvres. Leurs objectifs : stabiliser la position de ces deux groupes et les convaincre de signer des accords… Et, pour y parvenir, les deux hommes se disent prêts à faire de nouvelles concessions. Pascal Lamy, dans une lettre envoyée le 9 mai aux 148 pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a proposé d’éliminer totalement les subventions européennes à l’exportation – qui concernent le sucre, les viandes et le lait. Ces aides, bien qu’en constante diminution ces dernières années, représentent encore 3 milliards d’euros par an.
L’Union européenne (UE) est par ailleurs disposée à se montrer plus flexible avec les pays les moins avancés (PMA) sur les questions de Singapour (facilitation du commerce, investissements, concurrence et transparence des marchés publics), l’autre volet, avec l’agriculture, des discussions de Doha.

En février, Bruxelles avait déjà présenté une initiative coton – bien accueillie par les pays africains – qui prévoit le découplement des aides à la production cotonnière en Europe et un appui renforcé aux producteurs du continent. L’objectif de l’UE est de conclure la moitié du cycle de négociations d’ici au mois de juillet. Du côté de Paris, l’initiative du socialiste Lamy a provoqué des remous à quelques semaines des élections européennes, le gouvernement français et le président Jacques Chirac s’étant engagés à préserver les intérêts des agriculteurs hexagonaux. Le ministre de l’Agriculture Hervé Gaymard a clairement accusé le commissaire d’outrepasser son mandat. Mais le soufflé est retombé très vite, la France étant isolée sur ce dossier et la proposition – suppression des subventions à l’export – ayant toutes les chances d’être acceptées en cas de vote du Conseil européen.

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« Il revient désormais aux autres pays qui subventionnent largement leur agriculture, notamment les États-Unis, de montrer de l’ambition, du courage, et de suivre la direction de l’UE », expliquait, le 10 mai, le commissaire Lamy. Le secrétaire américain au Commerce n’a pas tardé à emboîter le pas à son homologue européen.
Robert Zoellick s’est félicité, le 11 mai, de l’annonce européenne et a répété que les États-Unis étaient prêts à réduire leurs aides à condition que l’Europe et le Japon en fassent de même. Washington pourrait ramener la durée de ses crédits à l’exportation de plusieurs années à six mois et revoir son programme d’aide alimentaire, dont les fonds publics servent à absorber les surplus de production des agriculteurs américains.
Assisterions-nous à la fin d’un dialogue de sourds ? Une chose est sûre, les pays du G20 et du G90 souhaitent dorénavant des deux grands ensembles des propositions concrètes. « Leurs intentions vont dans le bon sens, mais nous attendons des engagements fermes. Notamment des États-Unis sur les subventions cotonnières », explique Jean-Robert Goulongana, le secrétaire général de la représentation des pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) à Bruxelles. Les aides publiques aux producteurs de coton américains ont provoqué 311 millions de dollars de perte pour les planteurs africains en 2001.

Les pays du G90 défendront bec et ongles leurs intérêts et vont demander des explications aux deux grands sur les engagements précis qui les concernent sur la consolidation des tarifs douaniers agricoles et les questions de Singapour. Plusieurs réunions des représentants des pays ACP, des États africains et du G90 sont programmées fin mai et en juin (Guyane, Maurice, Rwanda). « Nous étudierons les propositions européennes et américaines, et nous verrons si nous pouvons infléchir nos positions », ajoute le secrétaire général des ACP. Robert Zoellick pourra-t-il faire des propositions concrètes sur l’épineux dossier du coton à l’approche de l’élection présidentielle américaine ? Beaucoup en doutent, les suffrages des familles de farmers de l’Amérique profonde étant importants pour un George W. Bush en perte de vitesse dans les sondages.

La partie est donc loin d’être jouée. Malgré le forcing opéré des deux côtés de l’Atlantique, les pays pauvres, qui ont étonné en septembre dernier à Cancún par leur capacité de blocage des négociations, ne s’en laissent pas conter. Ils rappellent que, pour le moment, les États-Unis n’ont pas dépassé le stade des bonnes intentions et que l’Europe ne parle que de supprimer 3 milliards d’euros d’aides agricoles sur plus de 43 milliards. Les subventions agricoles à l’exportation sont particulièrement préjudiciables aux pays pauvres. Mais celles accordées à la production ou à l’exploitation le sont aussi. Car elles entravent les règles du marché en maintenant un niveau élevé de production, ce qui a des répercussions à la baisse sur les cours mondiaux des produits de base. Selon la Banque mondiale, quelque 300 milliards de dollars d’aides agricoles sont accordés chaque année par les pays de l’OMC, soit près de six fois le montant attribué en aide au développement aux nations les plus pauvres. La Chine, le Japon et l’Inde font partie des États subventionnant leurs agriculteurs et protégeant leurs marchés agricoles. Pour parvenir à un accord, ils devront également faire des concessions. L’Inde paraît, pour le moment, hésiter à libéraliser son marché, les responsables politiques étant obsédés par l’autosuffisance alimentaire dans un pays dont la population a dépassé le milliard d’habitants en 2001.

Si les pays de l’OMC parviennent à un accord sur la réduction de leurs aides agricoles, il restera à établir un calendrier de démobilisation. « Si celui-ci intervient sur dix ou quinze ans, nos pays continueront longtemps d’en subir les effets », estime-t-on au secrétariat des pays ACP, lesquels demandent des compensations financières. Les discussions des prochains jours promettent d’être animées.

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