Maurice Rives: « Nous voulons une parité complète »

Le président de l’association Frères d’armes s’indigne.

Publié le 17 mai 2004 Lecture : 4 minutes.

A 80 ans, le colonel français Maurice Rives a des enthousiasmes de jeune homme. Après la libération de la France et la guerre d’Indochine, il mène aujourd’hui une dernière bataille. Au Conseil national pour les droits des anciens combattants d’outre-mer de l’armée française, il se bat pour ses frères d’armes du Burkina, du Niger ou d’Algérie. Et même après la revalorisation de leurs pensions, il continue de ferrailler. « De toute façon, dit-il l’oeil pétillant, l’indignation, ça maintient en vie. »

J.A./l’intelligent : La revalorisation des pensions des vétérans de la Coloniale est-elle pour vous une victoire ?
Maurice Rives : Pas encore. La victoire n’est pas totale. Il est vrai que, depuis 1959, c’est la première fois que le gouvernement français apporte aux anciens combattants du Maghreb et d’Afrique noire une preuve tangible de son attention. Il est vrai que cette preuve est conséquente, puisque les allocataires bénéficieront d’un rappel d’au moins quatre ans. Mais, pour nous, le combat n’est pas fini. Nous voulons une parité complète entre les allocations perçues par les anciens combattants d’outre-mer et ceux de France. Nous allons mener une campagne en ce sens auprès des parlementaires français avant le vote du budget 2005. Il n’est pas normal qu’un ancien combattant malgache ne touche que le tiers de la retraite perçue par un Français de souche. C’est un traitement discriminatoire.
Quand nous sommes entrés dans l’armée, on ne nous a pas dit que les uns étaient noirs et que les autres étaient blancs. En mars 1954, à Dien Bien Phu, c’est une batterie du 4e régiment d’artillerie coloniale qui a réussi à retarder de deux mois la chute du camp retranché. Alors je crois vraiment que la meilleure façon de rappeler la fraternité d’armes qui nous a unis sur le champ de bataille c’est d’instaurer la même retraite pour tous. Ce serait le signe le plus fort de l’affection que porte la République à ses anciens serviteurs.

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J.A.I. : Les nouvelles mesures ne sont-elles pas mieux que rien ?
M.R. : Bien sûr. Mais il a fallu attendre quarante-cinq ans ! Pendant tout ce temps, des milliers d’anciens combattants ont été oubliés et, de plus, les veuves ont été délaissées. En ce jour, j’ai une pensée particulière pour le Sénégalais Bourama Diémé. Il fut dans l’armée française le seul adjudant – toutes nationalités confondues à être promu commandeur de la Légion d’honneur pour fait de guerre. Il avait combattu héroïquement sur la Somme en 1940. Il est mort il y a quatre ans sans avoir reçu cette marque de reconnaissance.

J.A.I. : Le secrétaire d’État français aux Anciens Combattants, Hamlaoui Mékachéra, affirme : « Payer les Africains comme les Français créerait une injustice au détriment de ces derniers »…
M.R. : Oui, je sais que le niveau de vie n’est pas le même. Je sais que, pour dénoncer la parité, les autorités françaises donnent l’exemple d’un adjudant burkinabè amputé des deux jambes. Étant donné qu’il touche à la fois une retraite de combattant et une pension d’invalidité, une mesure de parité peut lui permettre de gagner plus qu’un ministre de son pays. Mais d’abord je vous rappelle qu’en Afrique une pension fait vivre toute une famille. Ensuite, je crois que les Maghrébins et les Subsahariens sont fiers de leurs anciens combattants. Certes, ils n’ont pas fait d’études aussi poussées qu’un ministre, mais ils ont connu l’épreuve du feu. Enfin, j’affirme que c’est une question de dignité. Les goumiers marocains qui ont enlevé Monte Cassino [NDLR : sur la route de Rome en 1944] et les Tunisiens qui ont passé le Rhin sont des soldats d’élite qui n’ont jamais marchandé leur sang. En revanche, ils ont toujours été intraitables sur leurs droits. C’est pourquoi les tirailleurs sénégalais se sont révoltés au camp de Thiaroye [NDLR : Le 1er décembre 1944, des tirailleurs qui réclamaient leur solde manifestèrent dans un camp militaire près de Dakar. La répression fit trente-cinq morts].

J.A.I. : Les nouvelles mesures n’arrivent-elles pas trop tard ?
M.R. : Pour ceux qui sont morts, bien sûr. Mais étant donné que ceux qui sont vivants vont bénéficier d’un rappel de quatre ans, nous souhaitons que les veuves de ceux qui sont décédés il y a moins de quatre ans touchent les arriérés au prorata de la durée d’existence de leur ayant droit. Nous attendons la réponse du gouvernement français sur ce point précis. Hamlaoui Mékachéra est un brave homme, très bienveillant, qui s’occupe de ce problème avec beaucoup de coeur. Comme officier français, il a commandé des tirailleurs algériens en Indochine. Il est donc « de chez nous ». Malheureusement il ne tient pas les cordons de la bourse. Autre handicap, nos camarades d’outre-mer ne sont pas électeurs en France. Si nous étions des intermittents du spectacle, nous descendrions dans la rue avec nos médailles. D’ailleurs nous y avons pensé il y a dix ans, avec Pierre Messmer et Jacques Massu. Mais à l’époque le président de notre association, le général Lemoine, n’a pas voulu. Vous savez, nous les militaires, nous sommes un peu timides ! [rires].

J.A.I. : Combien de personnes vont bénéficier des nouvelles mesures ?
M.R. : Au moins 80 000, peut-être 100 000. Les chiffres ne sont pas définitifs car, en Algérie et au Vietnam, des anciens combattants de l’armée française qui avaient peur de se montrer au grand jour profitent de la libéralisation de leurs régimes pour sortir de l’anonymat et faire valoir leurs droits.

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J.A.I. : Les tirailleurs sénégalais n’ont-ils pas été longtemps victimes de l’indifférence de l’opinion française ?
M.R. : Je ne crois pas. Il y a dix ans, plusieurs d’entre eux sont venus à Paris pour participer à un défilé du 11 novembre. Et quand ils sont descendus dans le métro avec leurs boubous et leurs décorations, plein de gens sont venus leur serrer la main et les embrasser.

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