Luc Montagnier : « Une contamination accidentelle »
Le Pr Luc Montagnier, codécouvreur du virus du sida, et son collègue italien Vittorio Colizzi ont témoigné, en septembre 2003, lors du second procès des accusés bulgares.
J.A./L’INTELLIGENT : Comment êtes-vous intervenu dans cette affaire ?
LUC MONTAGNIER : À la demande des autorités libyennes et, plus particulièrement, de la Fondation que dirige Seif el-Islam, l’un des fils de Mouammar Kadhafi. Nous avons été sollicités dans le courant de 2002 pour tenter de déterminer l’origine de l’épidémie et de savoir quelles mesures devaient être prises. Après nous être rendus à plusieurs reprises à l’hôpital de Benghazi, nous avons remis un rapport écrit à la Fondation, en avril 2003. En attirant l’attention des autorités sur le fait que les règles d’hygiène étaient mal respectées.
À la demande de la partie bulgare, nous avons fait une déposition lors du second procès, en septembre 2003. Le Pr Colizzi et moi-même avons témoigné séparément. Nos deux témoignages ont duré l’un et l’autre trois heures, compte tenu des problèmes de traduction de l’arabe à l’anglais.
JAI: Quelles ont été vos conclusions ?
LUC MONTAGNIER : Nous les avons confirmées dans une lettre envoyée aux autorités libyennes en octobre 2003, avec copie au directeur général de l’Organisation mondiale de la santé. Pour nous, il est tout à fait improbable qu’il s’agisse d’un complot bioterroriste. En réalité, d’après notre enquête fondée sur les archives de l’hôpital, au moins vingt et un enfants avaient été infectés dès 1997, avant la venue du personnel médical bulgare.
Les Africains ont facilement accès au territoire libyen. Il est probable qu’une Ouest-Africaine soit venue à l’hôpital de Benghazi avec un enfant porteur du virus et qu’à partir de là l’infection s’est répandue en chaîne, à la suite de perfusions, de tubulures non stérilisées, de seringues réutilisées, etc. Cette hypothèse est confortée par le fait que nous avons constaté une forte présence d’une souche de VIH 1 très répandue en Afrique de l’Ouest.
On nous a refusé l’accès à des flacons de plasma saisis chez les Bulgares. Les Libyens prétendent y avoir retrouvé des anticorps contre le VIH. La présence de ce virus aurait pu être facilement infirmée ou confirmée par des techniques de biologie moléculaire. Pour nous, il s’agit bien de transmissions nosocomiales accidentelles. D’ailleurs, les travaux de notre collègue Luc Perrin, à Genève, où certains de ces enfants ont été accueillis, ont montré que la moitié d’entre eux étaient co-infectés par plusieurs souches du virus de l’hépatite C. Ce qui a été confirmé par des études sur place à l’hôpital de Benghazi. Or ce virus est lui aussi hautement transmissible par voie sanguine. Le fait qu’il y ait plusieurs souches de virus de l’hépatite C chez les enfants prouve qu’ils n’ont pas pu être infectés par une préparation unique contenant à la fois VIH et HCV. Par conséquent, l’accusation d’une injection délibérée ne peut être retenue.
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