Les grandes manoeuvres

Le secteur financier connaît de profonds bouleversements. En cours de fusion avec Wafabank, la Banque commerciale du Maroc a rattrapé la Banque centrale populaire, l’autre poids lourd du pays.

Publié le 17 mai 2004 Lecture : 4 minutes.

De Casablanca à Paris, la métamorphose du paysage bancaire marocain surprend. Par son ampleur et aussi par la rapidité des mutations en cours. Fin novembre, le « rachat surprise » de 36,4 % de Wafabank par son concurrent, la Banque commerciale du Maroc (BCM), a sonné le coup d’envoi de la recomposition du secteur, propulsant le nouvel ensemble en tête du palmarès des principaux établissements financiers du pays, avec une taille de bilan globale de 94 milliards de dirhams (8,6 milliards d’euros). En attendant la fusion imminente des deux entités, Khalid Oudghiri, l’insatiable président de BCM – qui dirigera le futur groupe -, est également sur les rangs pour s’emparer de 33,5 % de la Banque du Sud, sixième banque tunisienne en cours de privatisation. Le but ? Créer un « superchampion » maghrébin capable de rivaliser avec les grands groupes occidentaux. Mais la BCM n’est pas seule à tenir la dragée haute à la concurrence étrangère. Elle doit notamment compter avec Banque centrale populaire (BCP), un réseau mutualiste qui doit ouvrir 21 % de son capital en Bourse au mois de juin.
Voilà donc le visage du secteur bancaire marocain de demain. En tête, deux poids lourds nationaux. L’un, privé, la BCM, fer de lance de la finance marocaine à l’international, et l’autre, semi-public, la BCP, vouée à satisfaire une mission de service public, grâce, notamment, à une bonne captation de la rente que constituent les dépôts des expatriés. Ce partage des tâches semble durable et reste à l’abri des appétits étrangers. Actionnaire de la BCM, l’espagnol Banco Bilbao Viscaya Argentaria (BBVA) serait sur le départ. Quant au français Calyon, fruit de la fusion entre le Crédit agricole Indosuez et le Crédit Lyonnais, il a troqué sa participation dans Wafabank contre les actions que ce dernier détient dans le Crédit du Maroc (CDM). Dans ce cas, le tour de table de la BCM nouvelle version serait verrouillé par des intérêts strictement nationaux. Quant au capital de la BCP, il ne peut pas être statutairement détenu à plus de 5 % par un actionnaire autre que l’État. De quoi tenir durablement en respect les banques françaises BNP Paribas, Société générale et Calyon, respectivement positionnées sur le marché marocain via la Banque marocaine pour le commerce et l’industrie (BMCI), la Société générale de banque au Maroc (SGBM) et CDM.
Cette redistribution des cartes est toutefois loin d’être achevée. Si le nombre de banques ne cesse de se réduire depuis plusieurs années, six établissements pourraient bientôt se partager l’essentiel du marché, guère plus. « Le secteur est dominé par des banques commerciales en compétition sur les mêmes créneaux, constate Adama Konate, économiste chez BNP Paribas. En l’absence de relais de croissance suffisamment dynamique, une poursuite de cette concentration est inéluctable. » D’une façon ou d’une autre, les anciens canards boiteux – aujourd’hui en cours de restructuration – devront donc rejoindre le camp des deux superchampions nationaux ou celui des filiales de banques étrangères.
La BMCE-Bank, l’ancienne banque publique privatisée en 1995, devrait notamment recevoir du sang neuf. Éconduite l’an dernier par des autorités, la Caisse nationale des Caisses d’épargne (CNCE) française serait en train de revoir sa copie en concertation avec le ministère des Finances et de la Banque centrale pour s’inviter au capital de la BMCE-Bank. D’autres établissements étrangers seraient également sur les rangs.
Restent la Caisse nationale du crédit agricole (CNCA) et le Crédit immobilier et hôtelier (CIH), deux banques publiques, il y a peu au bord de l’asphyxie. Si les mesures de restructuration entreprises ont amélioré la solvabilité des clients de la première, le sort du second, plus problématique, est en cours de négociation. Les autorités font preuve d’une grande discrétion sur ce dossier.
Mais pour ces deux établissements l’issue devrait être une remise à niveau, soit par recapitalisation, soit en agrégeant les créances douteuses dans une structure dite de « défaisance » (dont la vocation est d’épurer leur passif), préalable à une inévitable privatisation. À chaque fois, l’activité des deux entités devrait être globalement préservée. Structurellement tournés vers le financement des secteurs du tourisme, de l’hébergement et de l’immobilier, ces établissements servent des intérêts nationaux trop stratégiques pour être dépecés ou liquidés.
L’heure est donc à la libéralisation, même si elle reste prudente. Décisionnaire dans la nomination du conseil d’administration des banques publiques, l’État est aussi un actionnaire de référence de la BCM, via le holding de l’ONA. Il serait même le principal inspirateur du rapprochement avec Wafabank et du veto opposé à la CNCE dans sa tentative de prise de participation dans BMCE-Bank. À la fois chef d’orchestre, juge et partie, le gouvernement est aujourd’hui le principal gardien de l’indépendance nationale du secteur bancaire marocain, prompte à le défendre contre les convoitises excessives des établissements financiers français.
Légitimement saluée dans les milieux économiques, cette modernisation ne peut toutefois se suffire de seuls effets d’annonces médiatiques. Certes moins prolifiques que dans le reste de l’Afrique du Nord, les créances douteuses représentent en effet entre 17 % et 18 % du bilan des banques locales, voire près d’un tiers pour certains établissements publics. Un niveau élevé au regard des standards des pays développés. Résultat, les programmes d’octroi de crédits sont conservateurs et ne participent que faiblement à la « bancarisation » de l’économie. Par ailleurs, les établissements marocains pâtissent d’une conjoncture économique très volatile excessivement liée aux aléas du secteur agricole. Enfin, le dernier rapport sectoriel de l’agence de notation Standard & Poor’s prévient que « la diversification progressive vers d’autres métiers, comme le crédit à la consommation et le leasing, si elle est mal maîtrisée, peut fragiliser les banques marocaines ». Les défis à relever sont donc nombreux. Et ils devront l’être impérativement avant 2012, lorsque l’actuel dispositif de protection de ce secteur d’activité disparaîtra définitivement dans le cadre des accords de libre-échange avec l’Union européenne. Les banques marocaines n’ont pas encore gagné leur pari. Elles ont juste pris un peu d’avance.

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