Le prix de la peur

Pourquoi la flambée actuelle des cours n’aura qu’un impact limité.

Publié le 17 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

Quand le baril a franchi la barre des 40 dollars, le vendredi 7 mai à New York, d’aucuns ont été pris de panique. Le prix de l’or noir n’avait pas atteint un tel niveau depuis les années 1980 (second choc pétrolier) ou le début des années 1990 (première guerre du Golfe). Mais il faut savoir raison garder : le marché pétrolier actuel, même avec une croissance de 10 % de la consommation chinoise, ne souffre d’aucune pénurie. Les derniers chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) – qui ne dépend pas du « cartel » de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), mais des pays consommateurs occidentaux – montrent :
– que l’offre dépasse la demande d’au moins 2 millions de barils par jour (b/j) ;
– que les stocks des pays riches ont atteint 2,4 milliards de barils (produits bruts et raffinés), soit cinquante-deux jours de leur consommation (trois jours de plus qu’en 2003) ;
– que les capacités de production utilisables rapidement sont estimées au moins à 3 millions de b/j, dont 2 millions au sein de l’Opep.
Donc, selon la loi de l’offre et de la demande, le prix du baril devrait logiquement diminuer ou se stabiliser. Pourquoi alors une telle flambée des cours (une progression de 30 % par rapport à 2003, où ils étaient de 31 dollars en moyenne) ?
Le prix de 40 dollars est, en réalité, celui du pétrole léger du Texas, le plus rare et le plus cher au monde. Il sert de référence aux autres pétroles, plus abondants et donc moins chers, produits ailleurs. Exemple : quand le Texas est à 40 dollars, le Brent de la mer du Nord est à environ 36, le Bonny Light du Nigeria à 33, le Cabinda d’Angola à 32, le Light iranien à 31, le Dubaï à 30, le Suez d’Égypte à 28… Il y a autant de prix que de qualités de brut et autant de contrats à terme que de délais et de lieux de livraison (le brut livrable en 2010 se vend aujourd’hui en Bourse à 28 dollars).
Sur le prix à la pompe, la part qui revient au producteur, au raffineur et au distributeur est de l’ordre de 30 %, le reste étant constitué par diverses taxes à la consommation perçues par les États importateurs. L’essence est, à cause précisément de la fiscalité, deux fois plus chère en Europe qu’aux États-Unis, raison pour laquelle ces derniers sont le plus gros consommateur au monde. Conséquence : les Américains sont d’autant plus sensibles à la hausse du brut, tout particulièrement en période électorale.
Pour Washington, il est donc impératif de calmer le marché et d’exiger de l’Opep d’augmenter officiellement sa production. Ce sera chose faite, a promis, le 10 mai, le ministre saoudien Ali el-Naïmi, soutenu le jour même par ses homologues koweïtien et iranien. Lors de sa prochaine réunion « extraordinaire », le 3 juin, à Beyrouth (Liban), l’Opep décidera, sans aucun doute, de relever son quota de 1,5 million de b/j (de 23,5 millions à 25 millions), alors que ce niveau est allègrement dépassé depuis janvier (28 millions, selon l’AIE). Il n’empêche. Ce geste de bonne volonté du cartel des exportateurs permettra de tranquilliser les spéculateurs (dès l’annonce de ce relèvement, le prix est redescendu sous la barre des 40 dollars à New York et a disparu de la une des journaux le lendemain). Explication : ce prix inclut une prime de « sécurité », estimée entre 6 dollars et 10 dollars par baril, due aux incertitudes qui pèsent sur les approvisionnements en provenance d’Irak et d’Arabie saoudite. Et prend en compte la dépréciation du dollar américain, qui a perdu 30 % de sa valeur en trois ans. Pour tous les pays à forte monnaie (livre sterling, euro et franc CFA), l’impact réel de la hausse du baril est donc faible (+ 1 % à 2 % selon l’AIE).

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