Le prix du sang
L’État français a enfin revalorisé les pensions des soldats de la Coloniale. Mais, par comparaison avec leurs frères d’armes métropolitains, ils n’auront droit qu’à des miettes.
Les péripéties judiciaires d’hier – dont la décision de novembre 2001 du Conseil d’État français ordonnant l’alignement des pensions – et les procédures engagées aujourd’hui n’y ont donc rien fait : les anciens combattants étrangers ne percevront pas le même traitement que leurs frères d’armes français. Ils se contenteront d’une revalorisation de 20 % au lieu des 300 % à 400 % escomptés. Soit, en tout et pour tout, moins de 90 euros par semestre ! Ainsi en a décidé, le 5 mai, le gouvernement de Jacques Chirac, dont la générosité et l’esprit de justice vont jusqu’à consentir la réversion des pensions aux veuves. Et à offrir à ceux qui le souhaitent la possibilité de refuser cet aménagement en contrepartie d’un… capital fixé en fonction de l’âge et de la situation de famille. Tant pis pour les vieux nègres morts plus tôt ! Leurs ayants droit feront leur deuil de ces nouvelles largesses hexagonales et vivront du confort honorifique de la médaille laissée en héritage. Maigre consolation après le fol espoir né de la décision de « décristalliser » – un joli mot pour une triste réalité – la pension de retraite des « tirailleurs sénégalais » et autres spahis maghrébins.
Qu’il vive à Mopti au lieu de traîner sa canne à Barcelonnette, et le mutilé de guerre n’a plus droit à la même réparation, la même considération, la même reconnaissance. La dette de sang ne peut être pareillement honorée. Même en ces jours où la France célèbre le cinquantenaire de la bataille de Dien Bien Phu et le soixantième anniversaire du débarquement en Normandie, deux moments qui ont vu les troupes coloniales s’illustrer particulièrement dans la défense de la « mère patrie ». Il y a deux ans, la retraite annuelle versée à un Français qui a passé quatre-vingt-dix jours dans une unité combattante était de 427 euros (2 800 FF), 175 euros à un Centrafricain, 83 euros à un Malien, 56 euros à un Algérien. Les invalides de guerre français recevaient mensuellement 687 euros, contre 229 euros pour les handicapés ou mutilés sénégalais, et moins de 76 euros pour les Tunisiens ou les Marocains. L’injustice était là. Elle n’est pas encore corrigée. Au contraire, ce qu’on offre aujourd’hui arrive trop tard et demeure trop peu. Même pour des ressortissants de l’ex-empire colonial.
L’État français se montre ingrat et mesquin, qui perpétue un traitement discriminatoire en se fondant cette fois-ci non plus sur la nationalité, mais sur le lieu de résidence. Tant il est vrai pour lui que si le sang est partout rouge, le niveau de vie n’est pas le même sous toutes les latitudes. Les pays d’Afrique francophone, du Maghreb ou de la péninsule Indochinoise doivent se le tenir pour dit. Ce n’est rien de moins que ce que d’autres, non sans une certaine dose de mépris, appellent prosaïquement « l’adaptation au niveau de vie locale ». Avant de préciser doctement que si la France déversait d’un coup plusieurs centaines de millions d’euros, « les économies des pays africains seraient gravement déstabilisées ».
Le raisonnement est par trop court pour s’exonérer de toute responsabilité, de toute quête de la plus élémentaire justice, mais rares sont ceux des dirigeants du continent à l’avoir relevé et dénoncé comme manquement à une obligation morale. Seuls les intéressés eux-mêmes ont véritablement porté – et portent encore – la revendication avec certains relais français dont le moindre n’est pas celui de leurs frères d’armes.
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