Le bakchich de A à Z

Le rapport 2004 de l’ONG Transparency International passe au crible ce phénomène mondial dont des pays africains souffrent particulièrement.

Publié le 17 mai 2004 Lecture : 4 minutes.

Faire sauter une contravention, passer plus vite ou discrètement une frontière ? S’assurer un vote, un permis de construire, un laissez-passer, une licence d’import ou d’export, une exemption fiscale ? Englobant un large éventail de crimes et délits, la corruption n’épargne aucun pays. Il y a mille et une manières de corrompre, et ce depuis des temps immémoriaux. La différence par rapport au passé, c’est que, au XXIe siècle, vous en entendrez plus souvent parler !
Dernier scandale en date, celui qui concerne l’ancien président kényan Daniel arap Moi, en fonction de 1978 à 2002. Les autorités de Nairobi ont annoncé, le 28 avril, qu’elles tentaient de récupérer au moins 1 milliard de dollars détournés par des membres de l’ancien régime. Elles ont d’ores et déjà demandé à la Suisse et au Royaume-Uni de geler les premiers actifs identifiés : comptes bancaires et biens immobiliers. Des cabinets d’experts et des juristes ont été chargés de traquer tous les « repères » de la corruption kényane en Australie, aux États-Unis, en Afrique du Sud, à Bahrein, à l’île de Jersey et autres territoires « offshore »… La bataille de la probité publique ne fait que commencer !
Mais cela semble bien peu de choses devant les scandales français, africains ou irakiens… Le nouveau rapport mondial sur la corruption, publié le 27 avril par l’organisation non gouvernementale Transparency International, donne le vertige : 440 pages d’informations, d’analyses, d’enquêtes et de tableaux sur ce fléau mondial qu’est la corruption (voir ci-dessous).
Selon l’institut de recherche de la Banque mondiale, le seul coût des pots-de-vin représenterait 3 % du Produit intérieur brut mondial, soit plus de 1 000 milliards de dollars par an. Sans compter les détournements de deniers publics, inestimables, selon la Banque. Le plus grand scandale africain, celui qui a marqué le règne du général Sani Abacha de 1993 à 1998, a coûté aux contribuables nigérians 10 % des recettes annuelles d’exportation de pétrole brut, soit environ 5 milliards de dollars. Seule une somme dérisoire de 825 millions de dollars a été recouvrée, et les autorités essaient toujours de récupérer 1,3 milliard gelés en Suisse, au Luxembourg et au Liechtenstein. Le reste s’est évaporé, comme d’ailleurs le produit des détournements et autres malversations des régimes antérieurs à celui de Sani Abacha et des généraux, dont certains sont encore en poste.
Le même régime odieux a sévi, un peu plus au Sud, dans le pays de l’ex-président Mobutu Sese Seko. Pendant son long règne, de 1965 à 1997, les experts ont évalué les sommes détournées par les membres de sa famille ou de son entourage à 5 milliards de dollars au minimum. Selon le rapport de Transparency, « le nouveau régime n’a pas pu donner une suite favorable à la requête des autorités suisses demandant d’élucider la question de savoir à qui appartiennent les sommes manquantes et qui, en grande partie, ont été transférées dans des banques suisses par des canaux occultes. Ainsi lesdites sommes n’ont toujours pas été rapatriées. »
Officiellement dix fois moins volumineuse (457 millions de dollars), l’affaire Elf a permis d’accuser et de condamner des dizaines de personnalités françaises pour enrichissement personnel ou versement de pots-de-vin entre la fin des années 1980 et le début des années 1990.
Mais une « version africaine » de l’affaire Elf n’est pas encore du domaine du possible en raison des carences de l’arsenal législatif et de l’appareil judiciaire dans la plupart des pays du continent. Vu la difficulté de mise en oeuvre et même d’élaboration des lois anticorruption, les pilleurs ont encore de beaux jours devant eux ! En Afrique du Sud par exemple, le financement privé des partis politiques « bénéficie » d’un véritable vide juridique. « L’absence de contrôle permet aux personnes fortunées « d’acheter » influence et ouvertures par le biais de dons occultes », écrit Transparency.
Au Sénégal existe le projet d’un Office national anticorruption (Ofnac). Mais le président Abdoulaye Wade lui préférerait un « Conseil de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption », que la société civile réprouve, jugeant qu’il serait moins efficace et moins indépendant.
Autre exemple, en Zambie, les autorités ont refusé de réglementer le financement des partis politiques au prorata du nombre de leurs représentants au Parlement. En attendant, le vide juridique arrange bien des personnes. En Ouganda, les élus et les hauts cadres de l’administration sont obligés de déclarer leur patrimoine et revenus au moment de leur nomination sous peine de sanctions. Mais la constitutionnalité de cette mesure est controversée…
Ici ou là, les rares progrès sont freinés ou bloqués par les voleurs de tout acabit. Mais toutes les mesures et autres précautions prises par les institutions internationales ne pourront pas empêcher une fuite. Plus un État crée d’« autorisations administratives », plus il favorise les occasions de piquer dans la caisse ou de solliciter un pot-de-vin. Le programme des Nations unies « pétrole contre nourriture » était entouré de tous les contrôles… Il n’empêche que le régime de Saddam Hussein en a profité pour détourner en sept ans (1996-2003) plus de 10 milliards de dollars, à son profit ou en « honoraires » pour ses intermédiaires, sous forme de contrebande de pétrole, de surfacturation, etc. Cela a représenté l’équivalent de 15 % du programme onusien, destiné officiellement à soulager la souffrance des Irakiens et à alimenter un fonds d’indemnisation pour les dommages de guerre.
L’espoir est cependant toujours permis avec les deux grands chantiers juridiques en cours. En premier lieu celui de la Convention des Nations unies contre la corruption, adoptée en décembre 2003 et dont l’entrée en vigueur est prévue en 2006, le temps qu’un minimum d’une trentaine de pays la ratifient. Ensuite celui de l’Union africaine, dont la Convention sur la prévention et la lutte contre la corruption a été adoptée le 11 juillet 2003 au sommet africain de Maputo, au Mozambique. On verra son état d’avancement à Addis-Abeba, en Éthiopie, où du 6 au 8 juillet se tiendra le 3e sommet de l’Union africaine.

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