L’Amérique hors la loi

Le scandale des tortures pratiquées par les soldats américains sur des prisonniers irakiens ne cesse de prendre de l’ampleur. D’autant que la responsabilité de la Maison Blanche et du Pentagone ne fait guère de doute.

Publié le 17 mai 2004 Lecture : 15 minutes.

A l’époque où Saddam Hussein, qui la fit construire au milieu des années 1970, régnait sur l’Irak, la prison d’Abou Ghraib – 100 hectares, à 30 kilomètres à l’ouest de Bagdad – était le dernier cercle de l’enfer. Érigée pour abriter 4 500 détenus, elle en compta le triple lors des grandes vagues d’arrestations d’opposants kurdes ou chiites, avec un taux de mortalité souvent effarant. On y torturait avec une application routinière, et les exécutions par pendaison y étaient monnaie courante. Lors de la chute du raïs, en avril 2003, une petite foule de Bagdadis se rendit sur les lieux. Les gardiens avaient fui, les prisonniers aussi. À l’instar de la plupart des bâtiments publics de la capitale, Abou Ghraib fut donc pillée de fond en comble sous le regard indifférent des soldats américains, dans une sorte de défoulement collectif. Puis le silence retomba sur cet endroit maudit. Allait-on le détruire ou le transformer en lieu de mémoire ? Un moment évoquées, ces deux perspectives s’effacèrent bien vite devant la réalité. Débordé par l’afflux de prisonniers de guerre, auxquels s’ajoutent très vite les premiers résistants à l’occupation et les civils raflés au hasard des opérations de ratissage, l’état-major américain décide de rouvrir toutes les prisons du pays afin de désengorger les immenses camps provisoires de tentes entourés de barbelés, qui donnent de la « libération » de l’Irak une si désastreuse image. Hâtivement réhabilitée, Abou Ghraib reprend donc du service le 4 août 2003. Un mois plus tard, Donald Rumsfeld, de passage à Bagdad, visite les locaux comme on visite un musée des horreurs : les fosses communes, les pièces où officiaient les tortionnaires baasistes, les cellules de trois mètres sur quatre où douze détenus étaient entassés à la fois. « Plus jamais ça ! » murmure-t-il devant les caméras. Pour les nouveaux prisonniers qui commencent à arriver, il n’a pas un regard, pas une question à poser.
Visage anguleux, chignon sévère, galons de général de brigade sur la poitrine, la femme empressée qui accompagne le secrétaire à la Défense lors de sa tournée à Abou Ghraib s’appelle Janis Karpinski. Parachutiste émérite – plus de cent sauts – cette quadragénaire, ancienne des Forces spéciales, qui participa à la guerre du Golfe en 1991, voue à l’armée un véritable culte : enfant, elle jouait à la guerre à l’heure où d’autres jouent avec des poupées Barbie. Générale de réserve et consultante dans le privé, Karpinski a répondu avec enthousiasme au rappel sous les drapeaux. Fin juin, elle a été nommée responsable de toutes les prisons d’Irak, un job pour lequel elle n’a strictement aucune espèce d’expérience ni de préparation. Peu importe : Karpinski est la seule femme à occuper un poste de commandement en zone de combat au sein de l’armée des États-Unis – pour elle, c’est tout ce qui compte. Car pour le reste, cette grande émotive, aujourd’hui acharnée à se défendre contre le scandale, fera preuve dans sa tâche d’une aveuglante incompétence. Elle ne contrôlera rien, ne suivra jamais l’exécution de ses ordres et ne se rendra que très rarement en inspection à Abou Ghraib. Cynique ou inconsciente, on ne sait, enthousiaste en tout cas, la générale Karpinski ira jusqu’à prononcer ces phrases surréalistes lors d’une interview recueillie en décembre 2003, alors que la prison était depuis des semaines le théâtre de tous les sévices : « Les détenus vivent ici dans des conditions nettement meilleures que chez eux à la maison ; certains, me dit-on, refusent même de quitter les lieux une fois libérés ! »
Pour gérer le système carcéral américain en Irak, une demi-douzaine de prisons en dur et autant de camps de toile, Janis Karpinski dispose, en cette mi-2003, des effectifs de la 800e brigade de la police militaire, soit 3 500 hommes en tout, ainsi que de la 205e brigade de renseignement militaire du colonel Thomas Pappas, chargée d’interroger les détenus. Plus un nombre indéterminé de fonctionnaires et d’agents de la CIA (des traducteurs égyptiens et jordaniens notamment), ainsi que des employés de sociétés privées. Ces derniers sont le plus souvent d’anciens membres des Forces spéciales américaines, mais aussi britanniques, sud-africaines, brésiliennes, voire chiliennes, rémunérés plus de 100 000 dollars par an et dont le savoir-faire va de la protection des plates-formes pétrolières au debriefing musclé des présumés terroristes. Leur statut, presque totalement extrajudiciaire, est extrêmement flou. Début juin, donc, dès sa réouverture, la prison d’Abou Ghraib est placée sous la responsabilité d’un bataillon appartenant à la 800e brigade, le 320e. Cinq cents hommes et femmes, originaires de Virginie, du Maryland et de Pennsylvanie, précédemment affectés à la garde des sept mille détenus de Camp Bucca, à la frontière koweïtienne. Tous traînent avec eux une triple frustration : simples réservistes, ils ne participent pas aux combats et sont donc considérés comme des soldats de seconde classe ; policiers militaires, ils sont a priori exclus des tâches « nobles » que sont les interrogatoires et la recherche du renseignement. Enfin, on leur avait promis qu’après Camp Bucca ils rentreraient au pays. Or voici qu’on les mute à Bagdad.
Début septembre 2003, Abou Ghraib compte 5 800 détenus répartis en trois catégories. Les femmes (200 à 300), les droits communs, pour l’essentiel entassés dans des tentes plantées entre la prison proprement dite et l’enceinte, et les « terroristes ». Ces derniers, auxquels sont réservés les blocs 1A et 1B, sont d’anciens militaires passés à la résistance et leurs « complices » civils, quelques islamistes, des suspects et de simples quidams. Beaucoup, entre 70 % et 90 % selon la Croix-Rouge, ont été arrêtés par erreur, sur dénonciation abusive ou par simple précaution. Pour faciliter le quadrillage de la prison, le colonel Phillabaum et le capitaine Reese, qui dirigent Abou Ghraib, ont recruté parmi les droits communs deux cents informateurs irakiens, des « kapos » qui surveillent leurs camarades en échange de menus avantages. Fin septembre, deux de ces collaborateurs sont égorgés. Une émeute s’ensuit. La police militaire tire : quatre morts, douze blessés. Janis Karpinski ne bouge pas, n’ordonne aucune enquête – et pour cause. Deux semaines auparavant, le général-major Geoffrey Miller, son collègue et supérieur, s’est rendu en Irak en visite d’inspection, tout auréolé de sa fonction de commandant de la base de Guantánamo, où il obtient, dit-on, d’excellents résultats. Objet de la mission Miller : conseiller l’état-major du général Ricardo Sanchez, chef des troupes américaines sur le sol irakien, en matière de lutte antiterroriste. Sa recommandation, qui équivaut à un ordre aux yeux de Karpinski, est claire : il faut réorienter la tâche de tous les surveillants de prison, y compris les policiers militaires, vers la recherche à tout prix du renseignement. Sans lésiner sur les moyens, comme à Guantánamo. Première conséquence du « rapport Miller », la hiérarchie s’inverse à Abou Ghraib. Des officiers du renseignement militaire, des agents de la CIA et des contractuels privés, tous en civil, prennent de facto la direction de la prison, et les policiers militaires deviennent leurs assistants, en charge de « préparer » les détenus avant les interrogatoires proprement dits. Seconde conséquence : le chaos s’installe.
Octobre, novembre et décembre 2003 sont des mois terribles. Alors que s’embrase le « triangle sunnite », que des véhicules piégés explosent à Bagdad, que le chiffre des GI’s morts au combat grimpe brusquement et que chaque nuit ou presque des roquettes tirées par des groupes de fedayin tombent sur Abou Ghraib, l’atmosphère intra-muros devient irrespirable. Au rythme de 250 entrants par jour, le nombre des détenus passe à 7 000, puis à 8 000 fin décembre, soit la moitié du nombre total des prisonniers de la coalition en Irak. C’est pendant ces trois mois que le déchaînement de violence et de tortures atteint son paroxysme, que 25 détenus au minimum perdent la vie – et que sont prises ces photos abjectes qui feront le tour du monde. Trois mois au cours desquels une poignée de red necks, citoyens américains ordinaires, populaires, exemplaires et patriotes, appartenant à la 372e compagnie du 320e bataillon de la 800e brigade de la police militaire, vont s’en donner à coeur joie. Comme dans une orgie.
À ces hommes, à ces femmes qui s’apprêtent à comparaître en cour martiale et dont les visages sont désormais synonymes de souillure et de dépravation, on donnerait pourtant le bon Dieu sans confession. Certes, le sergent Ivan « Chip » Frederick, 37 ans, dont vingt d’armée, gardien de prison dans le civil, ancien de Bosnie et considéré comme le meneur du groupe, a la réputation d’être un dur. Certes, le caporal Charles Graner, 35 ans, ex-marine, traîne derrière lui une histoire de violence conjugale qui lui a valu les réprimandes d’un juge. Mais aucun condamné, aucun psychopathe ne figure parmi eux. Jeremy Sivits, 24 ans, est un mécanicien sans problème. Javal Davis, 26 ans, le seul Noir du groupe, est un fervent fidèle de l’Église baptiste de sa localité et le père exemplaire de deux enfants. La soldate Megan Ambuhl, 29 ans, a le visage poupin d’un angelot joufflu. Sabrina Harman, 26 ans, ex-livreuse de pizzas dans le civil et que l’on voit sur certaines photos sauter sur des pyramides de corps avec ses rangers, poser aux côtés de cadavres ou attacher des fils électriques sur les corps nus de détenus, « n’a jamais de sa vie écrasé un insecte », selon sa mère, qui précise : « Au contraire, elle les recueillait dans ses mains et les mettait à l’abri. » Lynndie England, 21 ans, amante du caporal Graner, célèbre pour ce cliché où elle tient un prisonnier en laisse, se passionne pour les cyclones et les tornades et « distribue son argent à tout le monde, selon ses proches, tant elle a le coeur sur la main ». Altruiste sans doute au point de forcer des détenus irakiens à se masturber devant elle, au point aussi de faire l’amour devant eux avec Graner… Là-bas, sur les contreforts des Appalaches, loin de l’enfer d’Abou Ghraib, entre une bière et un karaoké, nul n’imagine que le gars du voisin d’en face et la fille du pompiste, celui qui vit dans le mobile home, aient pu faire de telles choses. Sauf s’ils ont agi sur ordre.
Sur ordre ? Dans tous les sens du terme, ce fut assurément le cas. Il suffit d’observer les photos pour voir à quel point elles rappellent celles des chasseurs posant devant leurs trophées de safari ou, pour rester dans le contexte américain, celles des petits Blancs souriant face à l’objectif aux côtés d’un Noir pendu à un arbre, dans le Mississippi des années 1940. Les regards de Graner, England, Harman et les autres ne trahissent ni haine ni violence particulières, mais une sorte de mépris joyeux envers des sous-hommes, des animaux, des objets. Un regard colonial au sens propre du terme. En cela, les tortures d’Abou Ghraib n’ont rien en commun avec le lynchage des quatre Américains de Fallouja ou avec l’atroce décapitation de l’otage Nicholas Berg par le groupe d’Abou Moussab el-Zarqawi. D’un côté, la négation même du statut d’humain, de l’autre la rage et la haine envers l’occupant. Dans cette guerre, les chiffres des victimes civiles ne sont ni publiés ni même établis par l’état-major américain. S’il en est ainsi, c’est que les Irakiens, morts ou vivants, ne comptent guère. Inconsciemment, dans la tête des policiers militaires du 372e, dont aucun n’avait entendu parler des Conventions de Genève, tout était donc permis avec ces corps dénudés réduits à l’état de jouets et de matricules.
Leur « boulot », on l’a vu, était de conditionner les prisonniers avant qu’ils soient interrogés par des spécialistes. Les privations de sommeil et de nourriture étant jugées insuffisantes, c’est très vraisemblablement sur ordre des officiers du renseignement que les policiers militaires sont passés à un stade supérieur. Celui des coups et des simulacres d’exécution. La scène choc du prisonnier cagoulé debout sur une caisse, les bras en croix et les parties génitales connectées à du fil électrique n’est pas sortie de l’imagination diabolique d’une Sabrina Harman ex-vendeuse chez Papa John Pizza. Il s’agit là d’une technique de « professionnels » déjà en vigueur au sein de la Gestapo allemande, du NKVD soviétique et plus récemment de la police politique brésilienne. Pratiquée un peu plus tard et toujours certainement sur ordre, la sexualisation de la torture n’est pas non plus une « création » perverse de ces gars et filles de Virginie transplantés en Irak, mais bien d’une stratégie pensée par d’autres et mise en oeuvre avec une excitation sadique par des esprits sans repères convaincus de leur impunité. « Pour faire cracher un renseignement, il faut identifier chez chaque individu son point de rupture », répètent les théoriciens des Forces spéciales américaines. Pendant la guerre du Vietnam, avec les détenus des « cages à tigres », c’était l’exposition au froid, à la limite de l’hypothermie, dans des conteneurs convertis en congélateurs. En Irak, chez les Arabes, c’est le sexe et tout ce qui tourne autour, filmé de surcroît. D’où ces hommes humiliés, féminisés, sodomisés, compactés, abâtardis, qui apparaissent sur les photos. D’où ces enfants violés et ces femmes contraintes d’exhiber leurs seins qui figureraient sur les clichés non (encore) publiés. D’où cette violence inouïe faite contre des individus, leur famille, leur tribu, leur peuple, leur nation et au-delà contre toute la communauté des musulmans et que représentent ces images aux conséquences incalculables dans le registre de la vengeance. Si, comme l’ont relevé certains observateurs, les Irakiens et la « rue arabe » ont finalement peu réagi à ces révélations, ce n’est pas là le fruit d’une quelconque « habitude » de la torture, mais celui d’une conviction unanimement partagée : les Américains sont ainsi, et ces photos ne font que confirmer ce qu’il sont.
Avant que les médias américains se rachètent de leurs trop nombreux reportages « embarqués » avec l’armée et de leurs sempiternels comptes-rendus unilatéraux des briefings de l’état-major en accordant une très large place à ce scandale, la vérité doit à deux hommes d’avoir éclaté. Joseph Darby, 24 ans, policier militaire au sein de la 372e compagnie tout d’abord : c’est lui qui, écoeuré par les clichés que son copain Graner lui avait fait parvenir, a prévenu sa hiérarchie, le 13 janvier 2004. Le général-major Antonio Taguba ensuite : ce fils d’immigrant philippin, dont le père fut emprisonné par les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, a mené en février une enquête dévastatrice sur les conditions de détention à Abou Ghraib, dont les résultats ont été tenus secrets sur ordre du Pentagone, avant d’être dévoilés dans le New Yorker sous la plume de Seymour Hersh. S’ils sont l’honneur (ou ce qu’il en reste) de l’armée américaine, Darby et Taguba ne peuvent cependant masquer l’existence d’une chaîne de responsabilité qui remonte jusqu’aux bureaux de Donald Rumsfeld et de George W. Bush eux-mêmes. Rien de ce qui s’est passé à Abou Ghraib n’aurait en effet été possible sans un contexte précis : celui de l’après-11 septembre 2001 et du concept de guerre sans règles contre le terrorisme voulu et défini par le clan au pouvoir à Washington. Depuis le début de 2002, sur ordre de Rumsfeld, approuvé par Bush, les détenus arrêtés et emprisonnés dans le cadre de cette lutte du bien contre le mal – dont, par extension, la plupart des pensionnaires d’Abou Ghraib – ne sont plus considérés comme des prisonniers de guerre relevant des Conventions de Genève. Pour les qualifier, le Pentagone a inventé une nouvelle catégorie : les « combattants illégaux » dont les droits sont déterminés uniquement par leurs geôliers. À plusieurs reprises, le même Donald Rumsfeld a rédigé des directives à l’intention des généraux présents sur le terrain, en Irak et en Afghanistan, leur enjoignant de se montrer plus « agressifs » contre l’ennemi. Enfin, on sait désormais que, informé dès le 16 janvier de ce qui se passait à Abou Ghraib, le secrétaire à la Défense en a averti le président quelques jours plus tard et que tous deux se sont contentés, après qu’Antonio Taguba eut remis son rapport le 26 février, de remplacer le général Karpinski par le général Miller – et de placer le reste sous le coude au nom du moral des troupes.
Le pire sans doute est qu’Abou Ghraib n’est qu’un maillon dans une chaîne de non-droit, la partie émergée et médiatique d’un iceberg hors la loi. Dans une quinzaine de pays à travers le monde, dans des bases aériennes sophistiquées ou de simples conteneurs, directement ou via des sous-traitants, les États-Unis détiennent en ce moment près de 20 000 prisonniers (dont 14 000 en Irak) sans inculpations, procès ou avocats. Certains sont plus ou moins connus et répertoriés, comme les six cents présumés djihadistes de Guantánamo ou encore les dignitaires de l’ancien régime irakien détenus, dit-on, dans un hangar non loin des pistes de l’aéroport de Bagdad. Le plus célèbre d’entre eux, Saddam Hussein, est entre les mains de la CIA, quelque part à la périphérie de la capitale. Mais la plupart sont des anonymes, simplement portés disparus aux yeux de leur famille. En Afghanistan, ils seraient ainsi un millier répartis entre la base aérienne de Bagram, celle de Kandahar, les prisons de Jalalabad et d’Asadabad, non loin de la frontière pakistanaise, ainsi que le centre d’interrogatoire secret de la CIA, surnommé « The Pit » (« la Fosse »), en plein coeur de Kaboul. Beaucoup de choses s’y passent, et tout récemment, encouragé sans doute par le scandale d’Abou Ghraib, un ancien colonel afghan qui y fut détenu a témoigné des sévices sexuels dont il fut victime de la part des militaires américains : sodomies répétées, menaces de viol sur sa femme et sa fille, etc. Enfin, nul n’ignore désormais que les États-Unis ont organisé le transfert de détenus considérés comme particulièrement « intéressants » – car proches ou membres d’el-Qaïda – vers des pays tiers et clients où il est plus aisé (et plus discret) de les faire « avouer ». Le Pakistan, le Yémen, la Jordanie, l’Égypte, le Maroc et l’Arabie saoudite ont ainsi reçu leur lot de « terroristes » à faire parler coûte que coûte. Le plus souvent, les spécialistes locaux opèrent en présence d’agents du FBI et de la CIA (le supplice de la baignoire aurait été pratiqué sur l’un des chefs d’el-Qaïda, Khaled Cheikh Mohamed, par des Américains eux-mêmes au Pakistan), en y ajoutant leurs propres techniques endogènes. En Arabie saoudite, les interrogatoires musclés alternent ainsi avec les visites d’imams chargés de ramener le détenu dans le droit chemin, en fonction d’une subtile gradation correspondant à l’état d’assouplissement du « sujet ». Le premier religieux est un intégriste aux idées guère éloignées de celles de Ben Laden, le second est un traditionaliste, le troisième un moderniste proaméricain…
Jeudi 13 mai au matin, Donald Rumsfeld a fait, en hélicoptère et en véhicule blindé, la visite guidée de ce haut lieu de l’Amérique carcérale et transnationale qu’est désormais Abou Ghraib. Objectif de celui qui se qualifie lui-même de spécialiste de la survie : se défausser de ses propres responsabilités sur « une poignée de soldats qui ont trahi les valeurs et souillé la réputation de notre pays ». En faisant ce qu’ils ont fait, Graner, England, Harman et les autres croyaient portant obéir à ses ordres, et à ceux du président. Ils le disent aujourd’hui et le répéteront sans doute à leur procès. Mais Rumsfeld, conforté par les derniers sondages – 64 % des Américains estiment que ces tortures ne sont que des incidents isolés et 56 % pensent que leurs auteurs ont agi de leur propre chef -, n’en a cure. D’ailleurs, de son propre aveu, il a cessé de lire les journaux (tout comme Bush) depuis que le scandale a pris de l’ampleur. « À un certain stade, il faut se préserver », a conclu Rumsfeld, sourire en coin, devant les journalistes. Terrifiant. Terrifiant et vomitif.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires