L’ajustement, dix ans après

En avril 1994, sous la pression du FMI, un programme d’ajustement structurel est mis en place. Sur fond de terrorisme et de contestation sociale. Une décennie plus tard, le bilan apparaît mitigé.

Publié le 17 mai 2004 Lecture : 6 minutes.

Depuis 1990, l’Algérie tentait d’échapper à l’étreinte de sa dette, dont le service absorbait une part de plus en plus importante des recettes d’exportations. Sous la pression du Fonds monétaire international (FMI), le gouvernement de Mouloud Hamrouche (1989-1991) avait engagé une opération de « reprofilage » qui avait permis d’obtenir des banquiers italiens plusieurs milliards de dollars de crédits de refinancement destinés à honorer les annuités de la dette des années suivantes. D’autres négociations devant avoir lieu avec les Français, on pouvait raisonnablement espérer que l’Algérie parvienne à surmonter sans trop de dommage cette crise conjoncturelle de liquidités. En attendant une revalorisation des prix des hydrocarbures.
Depuis 1994, les autorités proclament leur volonté de favoriser l’émergence d’un secteur privé digne de ce nom. Malheureusement, le processus de privatisation des entreprises publiques n’a pas véritablement commencé. Certes, quelques opérations ont eu lieu, mais elles ne concernent, pour l’essentiel, que de petites entreprises à vocation locale. Seules deux ou trois unités industrielles d’importance, dont le complexe sidérurgique d’el-Hadjar, ont été cédées au privé. Pourquoi ?
Il est certain que les dispositions restrictives contenues dans les textes législatifs de 1995 ont joué leur rôle. Ceux-ci accordaient à l’État un droit de veto au nom de la défense de « l’intérêt national » et excluaient des privatisations le secteur bancaire et financier. On comprend que, jusqu’en 1997, les investisseurs se sont montrés très circonspects. Depuis, des amendements ont été votés : la totalité des entreprises publiques est aujourd’hui « éligible à la privatisation ». Mais les investisseurs attendent un signal fort : la promulgation d’une loi sur les hydrocarbures qui déciderait des modalités de privatisation de la Sonatrach. Il est vrai que le fleuron de l’économie algérienne représente à lui seul 37 % du PIB ! En 2002, un projet de loi a été bloqué, puis retiré sous la pression de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), la principale centrale syndicale, et de plusieurs partis politiques au premier rang desquels le FLN d’Ali Benflis.
3. LA RÉFORME FONCIÈRE
Le système foncier en vigueur a également contribué à réduire la portée de l’ajustement. Bien que la propriété privée soit reconnue par la Constitution, l’obtention d’un titre de propriété est, aujourd’hui encore, presque impossible. Et l’adoption d’une nouvelle loi foncière définissant le caractère cessible des terres est toujours en instance.
Pour des raisons historiques, la plupart des terrains à vocation d’investissement restent propriété de l’État. La rareté des terrains disponibles et la concurrence féroce qui s’ensuit entre les secteurs du logement, de l’industrie et de l’agriculture compliquent encore la situation. Force est de reconnaître qu’acheter des terres agricoles relève du parcours du combattant. Il faut en effet négocier avec une multitude de partenaires : wilaya (préfecture), service des domaines, ministère de l’Agriculture, bénéficiaires de la révolution agraire, etc. Sans aucune certitude d’aboutir.
Toutes les constructions sont entreprises sans permis de construire, puisque, pour obtenir celui-ci, il faut naturellement un titre de propriété. Et les banques sont plus que réticentes à accorder des crédits tant que la propriété n’est pas dûment établie. C’est ce qui explique que seules 38 % des entreprises affirment avoir cherché à acquérir des terrains. La moitié des terrains viabilisés sont inutilisés, soit parce qu’ils appartiennent à des entreprises publiques en faillite, soit qu’ils sont la propriété de particuliers qui les conservent à des fins spéculatives.
Le marché foncier sous contrôle de l’État est confronté aux mêmes problèmes, encore aggravés par le manque de transparence des transactions et par la corruption. Enfin, les parcs industriels et les zones d’activités sont insuffisamment équipés et mal gérés.
La modernisation du secteur bancaire continue de se faire attendre. Les grandes banques publiques gèrent encore plus de 80 % des dépôts et actifs des entreprises et des particuliers. Depuis une dizaine d’années, le gouvernement a dépensé des sommes colossales (près de 45 % du PIB) pour couvrir le déficit chronique des entreprises et des banques publiques.
Avec la libéralisation, ces dernières ont octroyé davantage de financements pour les activités commerciales à court terme, sans se montrer suffisamment regardantes sur la solvabilité de leurs clients. Du coup, elles disposent aujourd’hui d’un stock de créances non recouvrables estimé à 200 milliards de dinars (2,3 milliards d’euros). Le ratio de pertes sur prêts dépasse les 60 %. Dans ces conditions, les banques publiques se trouvent dans l’incapacité de faire face aux besoins du secteur productif solvable. Lorsqu’elles y parviennent néanmoins, c’est, dans plus de 50 % des cas, pour des opérations de crédit à court terme, avec des taux d’intérêts élevés. Dans ces conditions, il est normal que les banques ne participent que pour 18 % au financement de l’investissement.
Quant aux banques privées, elles n’ont généralement pas les moyens de rivaliser avec les consoeurs du public. Quelques-unes, très rares, ont réussi à se faire une place au soleil en mettant en place des méthodes de travail professionnelles. C’est notamment le cas de Trust Bank. Mais d’autres ont développé leurs activités hors de tout contrôle réel. Parmi elles, la banque du groupe Khalifa et la BCIA, qui ont largement défrayé la chronique en 2003, au point d’apparaître comme les premiers grands scandales de l’ajustement dans le secteur privé.
Le marché financier intérieur n’a pas les moyens de mobiliser les capitaux attendus par les opérateurs. À la Bourse d’Alger, par exemple, seules trois entreprises sont cotées : Eriad Sétif, EGH El-Aurassi et Saïdal. Désormais autorisées à exercer l’intermédiation financière, les banques publiques tardent à s’y impliquer. Quant aux investisseurs étrangers, ils ne se bousculent pas aux guichets des banques, sauf, depuis deux ans, pour y placer leurs capitaux (2 milliards de dollars en 2003) – essentiellement (90 %) dans le secteur énergétique et la téléphonie mobile. Tout cela explique la faiblesse de l’investissement, dont la progression (+ 5,7 % en 2003) est inférieure à celle de la croissance.
5. LA CRISE SOCIALE
Pendant des années, le taux de chômage a avoisiné les 30 % de la population active. En 2003, il est retombé à 24 %, ce qui signifie qu’environ 1,8 million d’emplois ont été créés en quatre ans. Mais il reste l’un des plus élevés du Bassin méditerranéen. En plein boom pétrolier, on recense encore plusieurs millions de chômeurs, principalement des jeunes. Les récentes manifestations de Ouargla et de Touggourt, au Sahara, ont mis en lumière l’ampleur du problème. C’est dire que les créations d’emplois plus ou moins durables de ces dernières années, financées par le plan de relance économique de 2001, n’ont pas compensé les licenciements massifs des années 1994 à 1998.
Le salaire minimum garanti est par ailleurs passé de 6 000 dinars à 8 000 dinars (de 70 euros à 93 euros) par mois en 2001, l’inflation est à peu près maîtrisée (moins de 3 % en 2003) et les salaires des fonctionnaires ont augmenté de 10 % l’an dernier. Pourtant, la consommation (+ 4,1 %) est à la traîne de la croissance (+ 6,8 %). Principale cause de ce décalage : la stagnation des revenus hors administration.
En dépit des efforts déployés en matière de construction (à la suite du séisme de mai 2003), les tensions sur les marchés de l’emploi, du logement et de la santé restent très fortes. L’accord conclu en octobre 2003 entre le patronat et l’UGTA devrait permettre de porter le SMIG mensuel à 10 000 dinars (117 euros) dans le courant de l’année, ce qui devrait avoir un effet d’entraînement sur les autres salaires, apaiser les revendications sociales et avoir un effet favorable sur la consommation. En revanche, il faut sans doute s’attendre à un ralentissement de la croissance agricole, à la stagnation du secteur manufacturier et donc à un retour de l’inflation. n

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