Au tour du Maroc

« Cinémas du Maghreb » Revue CinémAction

Publié le 17 mai 2004 Lecture : 4 minutes.

Le Festival de Cannes, généralement considéré comme le meilleur baromètre de la cinématographie mondiale, témoigne hélas depuis la fin des années 1990 de la mauvaise passe que traverse le cinéma africain. Aucun film en compétition pour la Palme d’or depuis sept ans pour le sud du Sahara, et depuis encore plus longtemps pour le Nord. Même dans les sections non compétitives, en particulier celles dites « parallèles », destinées à révéler des premiers films (la Semaine de la critique) ou des films d’auteur exigeants (la Quinzaine des réalisateurs), la présence de longs- ou courts-métrages du Continent, notamment du Maghreb, est devenue rare. Dans cette dernière région, seul le Maroc a réussi ces deux dernières années à faire projeter des oeuvres de ses réalisateurs sur les écrans de la Croisette : deux en 2003 et un en 2004.
Dans ce contexte de difficulté sinon de crise, on ne peut que se féliciter qu’une revue comme CinémAction ait consacré en 2003 un numéro spécial au cinéma d’Afrique noire (« Cinémas africains »). Elle récidive aujourd’hui avec « Cinémas du Maghreb », un ensemble réalisé sous la direction de l’universitaire Michel Serceau(*).
Côté sud du Sahara, les auteurs soulignaient que cette activité, pour l’essentiel financée et exploitée hors d’Afrique (notamment à travers les festivals), souffrait d’un manque de légitimité. Tout en trouvant des raisons d’espérer. Dans l’apparition d’un certain pragmatisme : aux grands engagements idéologiques d’hier s’est substituée la prise en compte des réalités économiques. Et dans la vitalité d’un nouveau « médium » de réalisation et de diffusion des films avec la vidéo, en particulier dans les pays anglophones.
Les évolutions les plus marquantes semblent avoir été différentes au Maghreb, où la transformation la plus spectaculaire, depuis vingt ans, porte sur la prééminence successive des cinématographies de l’un ou l’autre pays. Les années les plus glorieuses du cinéma militant et épique de l’après-guerre, dont le symbole fut la Chronique des années de braise de Lakhdar Hamina, avaient beau appartenir au passé, l’Algérie occupait encore la position dominante au milieu des années 1980. Son modèle étatique continuait de faire des envieux, même si l’on voyait arriver des cinéastes qui allaient confirmer leur talent et leur originalité après la disparition de ce système centralisé de production, tels Mohamed Chouikh ou Merzak Allouache.
Ce n’est qu’ensuite, au moment de l’effondrement progressif des structures qui assuraient la suprématie du voisin de l’Est, libéralisation de l’économie et montée de l’islamisme aidant, que l’on vit apparaître au premier plan les réalisateurs tunisiens. Grâce aux films remarqués par la critique mais aussi récompensés par un succès public des Nouri Bouzid, Ferid Boughedir et autres Moufida Tlatli, la Tunisie devint le porte-drapeau du cinéma de l’Afrique du Nord pendant les années 1990. Puis, pour des raisons que les auteurs de ce numéro de CinémAction n’éclairent qu’en partie en évoquant des entraves dans la liberté d’expression, on a assisté au déclin de cette cinématographie, malgré l’apparition de jeunes cinéastes prometteurs, comme Raja Amari, l’auteur de Satin rouge en 2001.
À cette date, comme si son tour était venu, le Maroc avait pris l’ascendant sur ses voisins, notamment grâce au succès rencontré par Nabil Ayouch (Mektoub, Ali Zaoua). Jusqu’à connaître aujourd’hui cette consécration cannoise que nous avons signalée. Une émergence qui ne doit rien au hasard puisqu’elle résulte d’un essor spectaculaire du nombre de films produits dans le royaume, favorisé, depuis deux décennies, par un soutien permanent et déterminé des pouvoirs publics. Or de la quantité naît parfois la qualité. Surtout lorsque les aides apportées aux créateurs ne conduisent pas à une étatisation du secteur, dont le caractère artisanal, quand il s’agit de cinéma d’auteur, ne représente pas nécessairement un handicap.
D’autres tendances – le développement d’un cinéma berbère en Algérie, le retour de plus en plus fréquent pour tourner « au pays » de réalisateurs émigrés dans tout le Maghreb – paraissent porteuses d’avenir, si l’on en croit les analystes de CinémAction.
Le dernier numéro de la revue a en outre le mérite de traiter, au-delà des questions actuelles, de thèmes divers : les raisons pour lesquelles l’industrie cinématographique égyptienne, la seule d’importance naguère dans la région, n’a pas servi de modèle lors de la naissance de ses soeurs d’Afrique du Nord ; l’image de la femme dans le cinéma maghrébin ; les aventures peu banales et méconnues des pionniers des cinémas marocain et tunisien avant les années 1960 ; l’étonnante faiblesse du cinéma de genre au Maghreb, malgré l’énorme succès des rares comédies proposées au public (Omar Gatlato, de Merzak Allouache, en Algérie, À la recherche du mari de ma femme, de Mohamed Tazi, au Maroc…) De quoi passionner les cinéphiles mais aussi tous ceux qui pensent, à raison, que le septième art est devenu l’un des meilleurs révélateurs de l’état et de l’évolution des sociétés. Au Maghreb comme ailleurs.

* « Cinémas du Maghreb », revue CinémAction, 2e trimestre 2004, 225 pp., 20 euros.

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