Un VRP nommé Konan Banny

La visite à Paris du Premier ministre a été un franc succès politique et médiatique. Mais le plus dur est à venir. À Abidjan.

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 7 minutes.

Le 13 avril dans l’après-midi, Charles Konan Banny semblait fort détendu alors que s’achevait sa première visite officielle à Paris en tant que Premier ministre de Côte d’Ivoire. Affable, la blague facile et le rire sonore, c’est un homme manifestement ravi qui a rencontré la rédaction de Jeune Afrique. Entouré d’une trentaine de collaborateurs parmi lesquels Martine Studer Coffi, la ministre déléguée à la Communication, et Léon Konan Koffi, son conseiller spécial, il a passé plus d’une heure et demie dans nos bureaux, dépassant allègrement l’horaire prévu.
Konan Banny est satisfait, et on le serait à moins. Venu chercher un soutien au processus de paix dans son pays, il a été reçu partout avec tous les honneurs, de l’Élysée à Matignon et de la Rue Monsieur à la Place Vendôme, en passant par le siège du Medef (patronat), celui du groupe Bouygues et le très chic Hôtel Park Hyatt, rue de la Paix. Bref, la France a déroulé pour lui le tapis rouge. « L’empereur », comme l’avaient naguère surnommé ses collaborateurs de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, dont il fut le gouverneur pendant quinze ans, a pu repartir pour Abidjan le cur (presque) léger. Et les batteries rechargées à bloc.
Du 10 au 14 avril, au fil des déclarations de soutien des responsables français, on se serait presque cru revenu au temps de Félix Houphouët-Boigny, quand « l’amitié » entre les deux pays paraissait éternelle. Cinq jours durant, le « VRP » de la Côte d’Ivoire n’a cessé de marteler sa détermination, d’évoquer ses espoirs et, surtout, d’exalter le lien « indestructible » tissé au fil du temps entre son pays et l’ancien colonisateur. Aux grands patrons, qui, par le biais du Medef, protestaient contre le « harcèlement fiscal » dont ils s’estiment victimes dans son pays, il a tenu un discours rassurant : la réforme en cours des impôts a été conçue pour faciliter l’investissement. Aux rapatriés français de Côte d’Ivoire, ses « frères », qu’il a rencontrés le 13 avril, il a promis un prochain retour à Abidjan. À ceux dont les biens ou les entreprises ont été détruits, Konan Koffi, son conseiller, a expliqué qu’une structure avait été mise en place à la primature pour accélérer le traitement des dossiers d’indemnisation.
Cela signifie-t-il que les sanglants affrontements de novembre 2004 entre les « Patriotes » et les hommes de la force Licorne sont désormais oubliés, de même que le rapatriement précipité de milliers de ressortissants français ? En Côte d’Ivoire, certainement pas. Mais la méthode Coué présente certains avantages, et Konan Banny ne s’est pas privé d’en user. Opération séduction réussie : le président Jacques Chirac s’est déclaré impressionné.
Reste à savoir si, de retour au pays, « CKB » ne risque pas de payer sa lune de miel parisienne. Depuis sa nomination, le 4 décembre 2005, certains sont en effet convaincus qu’il est le cheval de Troie de la France à Abidjan. Mais l’ancien élève de l’Essec, la prestigieuse école de commerce française, à qui il arrive de parler de lui à la troisième personne, ne doute décidément de rien – et sûrement pas de lui-même. « Il faut arrêter les plaisanteries, maintenant : je ne suis l’homme de personne », répète-t-il.
À la question « êtes-vous toujours proche du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) ? », il répond par un grand rire, avant de se reprendre : « Plus j’avance et moins m’importent les étiquettes. Je suis houphouétiste. S’il revenait, Houphouët serait-il pour le PDCI, pour le RDR ou pour Gbagbo ? Je vous laisse en décider. Je m’impose de me tenir à distance des partis. Je suis un mutant [il s’esclaffe], pas un partisan. »
Résumons : CKB n’est ni l’homme de la France ni celui du PDCI. Serait-il alors celui de Gbagbo, avec lequel, s’il faut en croire la rumeur, il aurait conclu un pacte secret ? « Non, il n’y a pas de pacte, de même qu’il n’y a jamais eu entre nous de relation de sujétion. Nous sommes sur un tandem, fermement cramponné au guidon. Si l’un tombe, l’autre tombe aussi. Mais nous nous connaissons depuis vingt ans, ça aide. On me prête une alliance avec lui ? Ai-je vraiment besoin de vous dresser la liste de tous ceux qui, un jour ou l’autre, ont approché Laurent Gbagbo ? Sérieusement, j’ai simplement décidé de ne pas entrer en conflit avec lui. Ni avec les autres, d’ailleurs. »
Henri Konan Bédié ? Il l’appelle par son prénom et entretient avec lui « d’excellentes relations », même si, reconnaît-il, il ne « l’embrasse pas sur la bouche tous les matins ». Guillaume Soro ? Il pourrait être son fils « si je m’étais mis plus tôt à faire des enfants ». D’ailleurs, celui-ci l’appelle « tonton »… « Il me respecte, et j’ai de la considération pour lui. Je suis réaliste : il est un élément incontournable pour sortir de la crise. »
Mais celui que le Premier ministre juge essentiel au retour de la paix, c’est, d’abord et avant tout, lui-même. Comme il s’y est engagé en devenant chef du gouvernement, il ne devrait pas être candidat à la prochaine présidentielle. Initialement, celle-ci devait avoir lieu en octobre 2005. Il a fallu y renoncer. Du coup, on se prend à douter : la nouvelle échéance fixée par le Conseil de sécurité de l’ONU – le 31 octobre 2006 – sera-t-elle, cette fois, respectée ? Konan Banny a été mandaté pour cela et il y travaille activement. De toute façon, il sait qu’il ne lui revient pas de modifier l’échéance. Il n’est, dit-il, « ni naïf ni Dieu non plus ». Par conséquent : « Si nous parvenons à entrer dans une dynamique de paix, est-ce que ça ne vaudra pas la peine d’accorder à ces élections un délai supplémentaire ? »
Mais n’a-t-il vraiment aucune intention de se présenter ? Réponse : « Quand comprendrez-vous que je suis un homme de mission ? » De toute façon, ajoute-t-il, l’air malicieux, quel sera l’homme qui entrera dans l’Histoire ? Celui qui ramènera la paix dans le pays. Si je réussis à être cet homme-là, ça me suffit amplement ! » On en connaît à qui cela n’a pas suffi. Et d’autres qui en sont morts. « Le pouvoir, je sais déjà ce que c’est, élude-t-il. Depuis trente ans, j’exerce des fonctions d’autorité. Laissez donc d’abord les Ivoiriens sortir de leur situation difficile. »
En d’autres termes : croyez en ma capacité à rétablir le dialogue et à ramener la confiance. Même s’il n’a pas les coudées aussi franches qu’il l’aurait souhaité : « Nous sommes dans une situation de crise, où l’important est de sauver l’essentiel. C’est une négociation permanente : du compromis sans compromission. »
Pour réussir cet exercice d’équilibriste bien plus dangereux qu’il n’affecte de le croire, Konan Banny s’est mis au travail « à un rythme maximal ». Non sans s’être au préalable assuré du contrôle des postes clés du pouvoir. En plus de la primature, le ministère de l’Économie et des Finances et celui de la Communication relèvent directement de sa compétence. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Charles Diby Koffi et Martine Studer Coffi, les ministres délégués, se trouvaient à ses côtés lors de son séjour parisien.
Sur le premier dossier, le banquier de haut vol qu’il n’a jamais cessé d’être est évidemment à son affaire. Avec un arriéré de dettes auprès de la Banque mondiale avoisinant 150 milliards de F CFA (230 millions d’euros), il va devoir aller plaider la cause de son pays à Washington, puis à Bruxelles, à la fin de ce mois. Il tentera d’obtenir que les programmes d’aide soient débloqués avant le remboursement des arriérés. La Banque a promis d’affecter quelque 97 millions de dollars au programme désarmement-démobilisation-réinsertion (DDR), à condition que le service de la dette soit honoré. Aux dirigeants des institutions de Bretton Woods et de l’Union européenne, il expliquera qu’il a déjà défini des méthodes de gestion de la manne cacaoyère et pétrolière parfaitement transparentes. Et qu’il est en train de les mettre en uvre. « Dans ce domaine, faites-moi la gentillesse de croire que je sais m’y prendre. »
Reste la communication. « C’est un élément essentiel du succès de ma politique. D’ailleurs, tous les partis voulaient ce ministère. Je les ai mis d’accord en me le réservant. » Évoquant l’agression dont a été victime Martine Studer Coffi, au mois de janvier, au siège de la Radiotélévision ivoirienne [la ministre a été molestée par un journaliste, tandis qu’un officier de gendarmerie proche de Gbagbo refusait de la protéger], le Premier ministre conclut : « Si j’avais réagi de manière primaire, je serais allé m’en expliquer à la télévision. J’ai préféré laisser faire. C’est là que vous comprendrez que je suis un grand homme ! »
À Paris, en revanche, il n’a boudé ni les plateaux télé ni les micros. TF1, France 3, France Info, Le Monde, Le Figaro, L’Express, Le Parisien Son plan médias était à l’évidence très au point. Difficile d’ignorer que CKB se trouvait dans la capitale française ! Dans nos locaux de la rue d’Auteuil, confronté à une demi-douzaine de membres de la rédaction, ce grand communicateur s’est prêté avec un plaisir non dissimulé au jeu des questions-réponses. « Je me suis bien amusé », nous a-t-il confié en partant.
Il a bien fait d’en profiter : son retour à Abidjan s’annonçait sous des auspices nettement moins gais. Sur son bureau l’attendaient un certain nombre de dossiers pour le moins ardus. Entre autres, l’amorce de dialogue entre l’état-major des Forces rebelles et la hiérarchie des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci). Et puis, à la veille de la réunion du Groupe de travail international (GTI), le 20 avril, il va lui falloir contrôler les « Patriotes » proches du président Gbagbo, qui, une fois encore, risquent d’exprimer leur mécontentement dans la rue. Et sans retenue.

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