Un pays à reconstruire

Assainir les finances publiques, régler la dette, relancer l’agriculture et l’industrie… les chantiers sont multiples, mais les atouts ne manquent pas.

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 5 minutes.

« Le Togo peut très vite remonter la pente. [] Il faut pour cela renouer avec l’Union européenne, c’est la priorité des priorités. Il faut assainir les finances publiques, reconstruire notre industrie délabrée, régler la dette intérieure qui étrangle nos entreprises, relancer l’agriculture, mettre en place une usine d’engrais phosphatés, scolariser les filles, créer une Cour des comptes pour lutter contre la corruption, et bien d’autres choses encore » Il y a tout juste un an, une semaine avant son élection à la tête de l’État, Faure Gnassingbé énumérait dans Jeune Afrique les chantiers à mettre en uvre pour réanimer l’économie togolaise. Sa longue liste témoigne du délabrement de l’édifice.
Après quelques années de très forte croissance – aux alentours de 15 % -, les 6 millions de Togolais commencent à s’enfoncer dans le marasme en 1997. Le déclin s’aggrave, pour aboutir aux années de récession, en 1998, 2000 et 2001. Avec une croissance de 3,7 % en 2005 contre 2,9 % en 2004, le Togo connaît aujourd’hui une légère reprise. Mais il part de très bas, et il ne suffit ni d’un claquement de doigts ni d’une volonté politique pour qu’il reprenne des couleurs.
Ses caisses étant à sec, comment l’État peut-il relancer les deux secteurs qui traditionnellement portent l’économie, la petite exploitation agricole et la production de phosphate ? L’explication de son indigence est simple. Le taux de pression fiscale est le plus bas d’Afrique de l’Ouest, de l’ordre de 13 % du PIB. Ce laxisme à l’égard des contribuables, conséquence notamment de l’importance du secteur informel, se conjugue avec une autre fragilité. Depuis 1993, le pays doit se passer de l’aide étrangère, la communauté internationale lui ayant coupé les vivres pour sanctionner les manquements à la démocratie. Treize ans plus tard, l’embargo sur l’aide est toujours en vigueur. Pour la bonne conscience et en vertu du principe de « non-pénalisation » des populations, l’Union européenne ne finance que les opérations à caractère social. Les projets nécessitant des investissements importants – rénovation des infrastructures routières et portuaires, électrification – attendent dans les tiroirs. Le gouvernement vient toutefois d’obtenir une satisfaction : son emprunt obligataire, destiné à financer un programme d’infrastructures, a reçu un accueil favorable, puisque 41 milliards de F CFA (76 millions de dollars) ont été récoltés, soit 11 milliards de plus que prévu.
Dans l’immédiat, en l’absence d’argent frais, l’État continue de payer les fonctionnaires, mais il demeure accablé par les remboursements. Écrasé par une dette extérieure de 1,7 milliard de dollars, presque équivalente au PIB, il accumule les arriérés, estimés à 13,2 milliards de F CFA (24,1 millions de dollars) en 2004. Les intérêts de la dette ont représenté environ 10 % de ses dépenses en 2004.
Le pouvoir togolais cultive toutefois un espoir : que le pays soit « qualifié » par les bailleurs de fonds pour l’annulation partielle du stock de sa dette. Le rêve n’a rien de fou, puisque, dans le jargon du FMI, le pays est déjà « éligible » à l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés), condition sine qua non sur le chemin qui mène à l’allègement. Mais il y a un autre impératif : le pays doit se réconcilier avec l’Union européenne. C’est le déclic qui donnera confiance aux bailleurs et enclenchera la machine de l’aide internationale.
Le mal essentiel dont souffre l’économie togolaise est bien le manque de financements. L’agriculture, qui emploie 67 % de la population active et contribue à hauteur de 45 % au PIB, pourrait mieux faire. Composée surtout d’exploitations familiales de café, de cacao et de coton, elle est peu mécanisée et très extensive. Les cultivateurs togolais, faute de moyens et d’habitude, n’utilisent que rarement les intrants : seuls 15 % des terres en bénéficient. Mais, preuve des capacités du secteur primaire, la production augmente sensiblement lorsque les conditions climatiques sont favorables. Conscient de cette lacune, le gouvernement a mis la modernisation du secteur primaire au rang de ses priorités.
Des possibilités gâchées faute de moyens : on retrouve l’équation dans l’industrie. Entre 2003 et 2004, la production de phosphate est passée de 1,4 million à 1,1 million de tonnes, soit une baisse de 24 %. L’exploitation du minerai, dont la bonne qualité fait l’unanimité, souffre de la vétusté de l’appareil de production. Des problèmes de gestion interne viennent aggraver les défaillances.
Le tableau de l’économie togolaise serait désespérant sans le Port autonome de Lomé (PAL) et sa zone franche, poches d’espoir. Le malheur des uns fait le bonheur des autres : le site togolais, le seul qui soit en eaux profondes dans toute l’Afrique de l’Ouest, a très nettement bénéficié de la crise ivoirienne. Saisissant l’opportunité de la défaillance d’Abidjan, dont le climat tendu fait fuir entrepreneurs et armateurs, il a vu son trafic (composé pour moitié de conteneurs) passer de 3,9 millions à 5 millions de tonnes entre 2002 et 2005. Le PAL a accordé deux concessions pour la manutention des marchandises conteneurisées, l’une à la SE2M (filiale du groupe franco-espagnol Progosa), et l’autre au français Ecomarine International. Pour le fret conventionnel, deux autres licences ont été attribuées, à Manuport et SE3M. Autre avantage, le port de Lomé profite de sa situation de passage vers les pays de l’intérieur, Burkina, Mali et Niger. Le Togo et ses voisins ne produisant quasiment pas de biens d’exportation, le Port autonome de Lomé est tourné vers les importations, qui comptent pour 70 % de son trafic. Pour augmenter sa capacité d’accueil, un troisième quai ainsi qu’une plate-forme de transbordement doivent être construits. « La crise en Côte d’Ivoire a été une aubaine, explique Fogan Adegnon, le nouveau directeur général du PAL. Mais nous voulons fidéliser cette nouvelle clientèle par une gestion rigoureuse. Pour améliorer nos performances, nous prévoyons la création d’un guichet unique d’ici à six mois ou un an. »
Complémentaire et située à proximité du PAL, la zone franche de Lomé décolle, elle aussi, « grâce » aux remous ivoiriens. Lorsqu’elle est née en 1989, l’objectif affiché était la création de 12 000 emplois. On en compte 9 000 aujourd’hui. Attirées par les exonérations fiscales les dix premières années, l’absence de droits de douane à l’import comme à l’export et le dédouanement de moitié des véhicules utilitaires, des entreprises basées en Côte d’Ivoire sont venues s’installer dans la zone franche pour porter à 60 le nombre de sociétés. S’ils sont tous les deux prometteurs, le PAL et la zone franche dépendent de la conjoncture régionale. Au Togo de transformer l’essai avant qu’elle ne se retourne.

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