Un nouvel eldorado : la propriété intellectuelle

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Me Emmanuel Pierrat est l’un des meilleurs spécialistes en France du droit d’auteur et du droit de l’information, sujets sur lesquels il a publié de nombreux ouvrages. Dans le dernier d’entre eux, il fait le point sur les combats qui se déroulent actuellement autour de la propriété intellectuelle, qu’il s’agisse du piratage de la musique sur Internet, de la contrefaçon de vêtements, du débat sur le droit de prêt en bibliothèque ou encore des tentatives de breveter le génome humain. Une guerre des copyrights dans laquelle les pays du Sud sont de plus en plus engagés.

Le droit sur le folklore

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Les revendications du « Sud » portent aussi sur des sujets inattendus tels que les savoirs traditionnels, les ressources génétiques ou encore le folklore. L’Office européen des brevets s’est ainsi penché, en mai 2000, sur le cas de l’arbre neem. Par ailleurs, le dépôt par une société hollywoodienne du nom de domaine « yanomami.com » a été contesté par les Indiens directement concernés. Quant à la notion de partage équitable des ressources naturelles et des savoirs traditionnels, elle a été prise en compte dans un article de la Convention de Rio sur la biodiversité, signée en 1992, elle-même suivie de différentes déclarations internationales, reposant plus sur la bonne volonté des acteurs et les vux pieux que sur la coercition.
Le droit sur le folklore est plus avancé. La revendication a été initiée et portée par plusieurs pays du Sud – ou même du Nord, quand ces derniers « abritent » une population « aborigène ».
Le professeur Folarin Shyllon affirme que « presque toutes les anciennes colonies […] devenues indépendantes sans que leur culture traditionnelle et populaire ait jamais été protégée par la loi […] ont vu, avec un sentiment d’amertume croissant, les compositeurs étrangers arriver sur leur sol, étudier minutieusement et, parfois, enregistrer leur musique traditionnelle et populaire, puis rentrer vite chez eux en utiliser les rythmes et les harmonies dans des chansons à succès ou des symphonies dûment protégées au titre du droit d’auteur ».

En matière musicale, il n’est qu’à en juger par le succès international de Johnny Clegg chantant sur une mélodie et avec des churs zoulous. Ou encore, bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler de folklore traditionnel, de rappeler les condamnations records subies par certains producteurs de tubes de l’été à consonance latino ; comme par les productions Disney, dont un hymne phare a été simplement volé à un compositeur sud-africain. Ces deux affaires sont exemplaires de tels pillages caractérisés. En 1989, la « Lambada » a fait danser une grande partie de la planète. Ses créateurs, Los K’jarkas, des musiciens reconnus, originaires de Bolivie, en avaient composé la mélodie, la jouant avec succès depuis 1981. Un producteur français a tant apprécié cette sérénade qu’il a lancé le groupe Kaoma sur toutes les ondes, sans plus se soucier des Sud-Américains. Il a fallu une bataille judiciaire pour que leurs droits soient enfin reconnus.
Quant au vacher sud-africain Solomon Linda, il avait enregistré, en 1939, « Mbube » (« le lion », en zoulou), devenu Le Lion est mort ce soir, après avoir vendu sa chanson pour une somme forfaitaire ridicule. Disney s’en est allègrement servi pour son Roi lion, qui a envahi les écrans mondiaux en 1994… Les descendants de Solomon Linda, résidant à Soweto, ont décidé de passer à l’action en 2004. Ils se sont, sans surprise, heurtés à l’opposition du studio américain, arguant des nombreuses versions jouées ultérieurement par d’autres interprètes, mais aussi de la tardiveté du procès.

Le mouvement de grogne a gagné dans certains État occidentaux, dont la façon d’agir avec leurs propres « indigènes » ne saurait être citée en exemple. [] Aux États-Unis, il faut désormais procéder à une demande officielle expliquant le but poursuivi avant d’entreprendre une « collecte » dans une réserve indienne. La Cour fédérale australienne a, à plusieurs reprises, sanctionné ceux qui contrefaisaient des peintures d’artistes aborigènes sous forme de posters, tee-shirts et publications diverses.
[] Indéniablement, ces revendications sont aussi légitimes – au regard des pillages passés -, qu’elles remettent en cause la propriété intellectuelle qu’elles utilisent sous un nouveau jour.

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