Une bataille, pas la guerre

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Quel raid ! 800 km en trois jours. Quand il était rebelle lui-même, le colonel Déby Itno n’avait pas tant d’audace « Je n’ai jamais vu ça », confie un officier français du dispositif Épervier. En bien ou en mal, la chevauchée des quelque cinquante véhicules du FUC (Front uni pour le changement démocratique) de Mahamat Nour restera dans les annales militaires.
Tout commence le 30 mars. Le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Abakar Youssouf Itno, est tué au combat avec plusieurs officiers, à une centaine de kilomètres au sud d’Adré. Il était le neveu du chef de l’État. Le moral des troupes est atteint. Le 9 avril, Mahamat Nour lance sa grande offensive. Il n’attaque pas à Adré, comme le 18 décembre dernier. Trop de forces gouvernementales. Il contourne ce verrou par le Sud. L’une de ses colonnes s’empare de la ville de Goz-Bëida, non loin de la frontière soudanaise. Mais surtout, belle ruse de guerre, une autre de ses colonnes, composée d’une trentaine de véhicules tout au plus, n’hésite pas à passer clandestinement par le territoire centrafricain et part à l’assaut des villes du Salamat, Haraze-Mangueigne et Am Timan. L’effet de surprise est total. Les garnisons se débandent.
Coup de tonnerre dans le ciel tchadien. Le 11 avril, les deux colonnes rebelles font jonction et prennent Mongo, la capitale du Guéra, à 400 km à l’intérieur du territoire. Plus rien ne semble pouvoir arrêter les rebelles. La route de N’Djamena est ouverte.
Seule rencontre dans la matinée du 12 : à la hauteur de Ngama, un avion Mirage français tire un projectile à quelques centaines de mètres de la colonne. « Un coup de semonce », dit-on à Paris. La progression continue, irrésistible. Dourbali, puis Ligna, à seulement une trentaine de kilomètres de la capitale. À la tête des assaillants, un combattant aguerri, Mahamat Issa. Il a fait l’École de guerre à Paris. Face à lui, un homme tout aussi déterminé, Idriss Déby Itno. Il décide de rester au Palais. Hinda, sa nouvelle épouse, refuse d’évacuer. « On va se battre », dit-il à un interlocuteur le 12 au soir. Pas d’émotion perceptible dans sa voix.
C’est à ce moment-là que commence la bataille de N’Djamena. L’armée tchadienne contre-attaque à Ligna. Les rebelles subissent des pertes, mais n’abandonnent pas la partie. Le 13 à l’aube, leur avant-garde arrive devant l’Assemblée nationale, à l’entrée est de la capitale. Nouveaux combats. Les N’Djaménois sont réveillés par le canon. Panique en ville. Vers 7 heures du matin, l’armée prend le dessus. Plusieurs morts dans les rangs du FUC. Quelques véhicules détruits. Le président tchadien se rend sur place. À 8 h 30 locales, il annonce d’une voix métallique sur RFI : « La situation est sous contrôle. »
Certes. Mais, on retient de ce raid éclair que les rebelles de Mahamat Nour ont fait preuve d’une audace incroyable. L’explication est sans doute sur leur site Internet. Ils s’affichent avec armes et uniformes tout neufs. Ils portent même des gilets pare-balles. Leur parc de 4×4 est impressionnant. Plusieurs centaines de véhicules. Bref, les amitiés soudanaises sont précieuses.
Le problème, c’est que les lignes de communication se distendent sur 800 km. Combien de rebelles se sont repliés à l’est de N’Djamena après les batailles du 12 et du 13 avril ? Combien de temps vont-ils tenir aussi loin de leurs bases ? « Leur stratégie est suicidaire », affirme Idriss Déby Itno. « C’est un dérapage stratégique », dit de son côté Timane Erdimi, l’un des chefs rebelles du Scud. « On ne peut pas quitter la frontière soudanaise sans être soutenu par sa base arrière et foncer tout droit sur N’Djamena. » Pour une fois que les deux frères ennemis zaghawas sont d’accord
Pour autant, le chef de l’État tchadien n’a pas de quoi triompher. Certes, dans cet affrontement, il a montré sang-froid et savoir-faire. Après quelques heures d’hésitation dans la soirée du 11, il a décidé de ne pas dégarnir le front de l’Est pour renforcer la défense de la capitale. Une stratégie risquée, mais payante. Il a sauvé à la fois Adré et N’Djamena. Mais pour combien de temps ?
Après le rezzou de Mahamat Nour, l’armée tchadienne paraît bien mal en point. Elle tient deux places fortes, à l’Est et à l’Ouest. Mais sur le reste du territoire, rien ou presque. La preuve, cette déferlante rebelle sur le Salamat, le Guéra et le Chari Baguirmi. La défection des frères Erdimi en octobre 2005 a coûté très cher au régime. Idriss Déby Itno a gagné une bataille, qui aurait fait près de 400 morts, selon N’Djamena. La guerre, c’est autre chose

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires