Tout change, même le Maroc !
Pris dans le carcan des traditions et d’un système politique quasi féodal, le royaume chérifien a longtemps évoqué celui de la Belle au bois dormant. Depuis l’accession au trône de Mohammed VI, le réveil est spectaculaire.
Et si, n’en déplaise aux esprits chagrins, le Maroc était en train de changer ? Si, en dépit des incertitudes et de nombreuses hypothèques – la culture du Makhzen, la montée de l’islamisme, le poids de l’analphabétisme -, ce pays si longtemps immobile, pour ne pas dire bloqué, s’était enfin mis en mouvement ? Depuis des lustres, le royaume produisait sur le visiteur une impression mitigée, où la fascination le disputait à la répulsion. Fascination pour une civilisation millénaire, pour une culture (et une gastronomie) d’un extrême raffinement, pour les ors de sa monarchie et la qualité de ses élites urbaines Répulsion pour l’extrême misère des campagnes, les bidonvilles à perte de vue ceinturant les grandes villes comme Casablanca ou Tanger, le fléau de l’analphabétisme, l’archaïsme de ses lois et de ses codes symbolisé par cette Moudawana d’un autre âge qui niait les droits de la femme… Fascination teintée d’effroi à la seule évocation de son système de gouvernement à la fois féodal et absolutiste, capable du meilleur comme du pire, charriant les fantômes des disparus des années de plomb et des morts-vivants du bagne de Tazmamart, dominé par la figure ambiguë d’un monarque tout à la fois génie politique et impitoyable despote…
Pourtant, en dépit du risque – bien réel – de voir les islamistes « modérés » du Parti de la justice et du développement (PJD) triompher aux prochaines législatives, le Maroc est aujourd’hui en proie à une irrépressible dynamique de réformes. La liberté de la presse est en net progrès et les fameuses « lignes rouges », ces sujets tabous qu’il était interdit d’évoquer, reculent. C’est ce que Robert Ménard, le secrétaire général de Reporters sans frontières, qui revient du Maroc, a pu constater. Pour la première fois, il a pu s’entretenir avec les autorités, en l’occurrence Nabil Benabdallah, le ministre de la Communication. Certes, le code de la presse, qui sanctionne de peines de prison ferme le délit de diffamation, est « mauvais » et doit être remanié en profondeur, mais le patron de RSF estime qu’il y a « plus de libertés au Maroc que dans n’importe quel autre pays arabe ou musulman ».
« Le Maroc de Mohammed VI n’est pas celui d’Hassan II, explique un ancien dissident. Le nouveau roi a commencé par chercher ses marques, d’où le désenchantement qui a suivi l’état de grâce des années 1999-2000. Ensuite, il y a eu le choc des attentats du 16 mai 2003, à Casablanca, et la crainte d’une reprise en main sécuritaire qui aurait pu étouffer dans l’uf les velléités de changement. Au contraire, l’élan réformateur du souverain a été conforté par cette tragédie. Il a repris l’initiative, mis en place l’Instance Équité et Réconciliation (IER) et entrepris de réformer la Moudawana. » Ces initiatives ont pourtant été accueillies avec une pointe de scepticisme par les faiseurs d’opinion, qui reprochent aux autorités de ne pas aller assez loin. Les tortionnaires des « années de plomb », par exemple, n’ont pas été inquiétés, et la polygamie reste théoriquement possible. « Tout cela est vrai, concède l’ancien dissident, mais l’IER a débouché sur une impressionnante catharsis nationale. Et la polygamie a été assortie de tellement de restrictions qu’il est presque impossible de la pratiquer. La vérité est que le roi a habilement soldé les comptes du passé et exercé avec finesse et retenue son droit d’inventaire. Dans cet esprit, il a confié à une équipe d’une centaine de chercheurs et d’universitaires indépendants la tâche de rédiger un rapport critique sur les cinquante ans d’indépendance du Maroc. C’est une manière de dire : voilà, le diagnostic est établi, nous savons où nous en sommes, maintenant agissons. »
Le « pragmatisme compassionnel » : telle est la marque de fabrique de Mohammed VI, son style, aux antipodes de celui de son père. Le « roi des pauvres », comme on l’a surnommé après son accession au trône, est très concerné par la question sociale. Il est vrai que le Maroc est le royaume des inégalités. L’opulence des villas de Casa Anfa ou du Souissi, à Rabat, y côtoie la misère la plus insupportable. Comparé à la Tunisie, il fait, de ce point de vue, pâle figure : taux d’analphabétisme record (43 % des Marocains de plus de 10 ans), assurance maladie presque inexistante, encadrement médical insuffisant (1 médecin pour 1 800 habitants, contre 1 pour 1 000 en Tunisie), enclavement et sous-équipement des campagnes (seuls 70 % des ruraux ont accès à l’eau potable, contre, il est vrai, 18 % en 1994)
Longtemps, l’élite dirigeante et l’administration se sont accommodées de cette terrible situation. Comme si, implicitement, le choix avait été fait de privilégier le Maroc « utile », urbain, littoral ou touristique, au détriment de l’écrasante majorité d’une population qui, de toute façon, n’avait pas voix au chapitre. Cela aussi est en train de changer. La lutte contre la pauvreté est désormais une grande cause nationale, le « chantier du règne ». Annoncée par le roi l’an dernier, l’Initiative nationale de développement humain (INDH) a pour ambition déclarée de corriger les déséquilibres sociaux et territoriaux.
Bien sûr, la réussite de l’INDH nécessite la mobilisation de tous les acteurs sociaux : usagers, administration locale, associations de quartiers Ce qui suscite le scepticisme de certains. Abdallah Zaâzaâ, un militant associatif de Casa, refuse, par exemple, de « servir de caution » et attend des actes concrets. Mais l’important est peut-être ailleurs. « Depuis le séisme d’Al-Hoceima, en janvier 2004, on voit apparaître de nouvelles formes de solidarité, explique Zaâzaâ. La société civile s’est mobilisée de façon exceptionnelle pour venir en aide aux sinistrés. Son élan a contrasté avec la lenteur des services de l’État. Des synergies nouvelles se dessinent entre associations de quartier et entrepreneurs progressistes. La société devient moins égoïste, plus solidaire. J’entends de jeunes patrons me dire : Un voyage en première classe sur le Titanic, ça ne n’intéresse pas. À quoi bon être riche, si, demain, le Maroc doit couler ? » Le même type de démarche anime la direction et les étudiants d’Al Akhawayne, à Ifrane. Dans cette université d’élite où les cours sont dispensés en anglais, des « ateliers de solidarité » et des projets concrets d’aide aux populations pauvres du Moyen-Atlas ont été mis en place et intégrés au cursus académique.
« Au Maroc, gouverner, c’est pleuvoir » : et si la célèbre formule prêtée au maréchal Lyautey devenait, elle aussi, bientôt caduque ? L’économie reste encore étroitement dépendante de la pluviosité, mais les choses évoluent. Le royaume met les bouchées doubles pour accrocher son wagon au train de la mondialisation : autoroutes, infrastructures, plan Azur (pour le tourisme), port de Tanger, plan Émergence (pour l’industrie)… Sous l’impulsion d’une nouvelle génération de technocrates sortis des grandes écoles françaises et des universités anglo-saxonnes, l’État, jadis tentaculaire et inefficace, tend à se transformer en « stratège », qui lance de grands travaux et s’efforce de planifier le développement. Une vraie révolution. Des pans entiers de l’économie ont été libéralisés, enseignes et franchises étrangères fleurissent dans les rues des grandes villes. La compétition dicte sa loi, et malheur au plus faible. Après avoir longtemps vécu en vase clos, cramponnées à leurs rentes et à leurs privilèges, les entreprises chérifiennes n’ont eu d’autre choix que s’adapter et se moderniser. Un choc brutal, mais salutaire. « L’environnement a changé, s’enthousiasme un golden boy qui préfère ne pas être nommé pour ne pas susciter de jalousies – les vieux réflexes ont la vie dure. Les règles du jeu sont désormais les mêmes pour tous. Le règne du copinage, c’est fini. Et tant pis pour ceux qui ne l’ont pas encore compris. Peu à peu, nos diplômés et nos talents rentrent au pays pour se lancer dans le business ou rejoindre un groupe, qui leur offrira de vraies opportunités de carrière et une échelle de rémunération attractive. Maintenant, c’est ici que ça passe ! »
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