Moubarak contre les mollahs

Le chef de l’État accuse les chiites arabes – et notamment irakiens – d’êtres inféodés à l’Iran.

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Dans la soirée du 8 avril, Hosni Moubarak est l’invité de l’émission Bi-l-Arabi (« En arabe »), que présente la journaliste libanaise Gisèle Khoury sur la chaîne satellitaire Al Arabiya. Le président égyptien multiplie les formules à l’emporte-pièce. « Les chiites (arabes), estime-t-il, sont en général loyaux envers l’Iran, et non envers les pays dans lesquels ils vivent. » Le propos est sans doute politiquement incorrect, mais il manque singulièrement de nuances. Très vite, il provoque un beau tollé dans toute la région
En Irak, où les chiites représentent 65 % de la population, le Kurde Jalal Talabani, président de la République, le chiite Ibrahim Jaafari, Premier ministre, et le sunnite Adnane Pachachi, président du Parlement, mettent un instant de côté leurs différends pour critiquer d’une seule voix les allégations du raïs. « Cette déclaration a suscité le mécontentement de notre peuple, toutes appartenances confessionnelles, ethniques et politiques confondues », lancent-ils au cours d’une conférence de presse commune, dès le lendemain, à Bagdad. À Bahreïn, où les chiites sont également majoritaires (70 %), la protestation prend un tour moins solennel, mais les dignitaires locaux n’en fustigent pas moins Moubarak, à l’instar de leurs coreligionnaires saoudiens (10 % de la population) et koweïtiens (33 %). Quant au Hezbollah et au mouvement Amal, les formations chiites qui revendiquent la représentation d’un bon tiers de la population libanaise, ils exigent de concert que le raïs « rectifie » publiquement ses déclarations.
Dans la tempête, ce dernier choisit de faire le dos rond. Mais le 9 avril, il confie à Souleiman Awad, son porte-parole, la mission d’expliquer que ses propos sans doute un peu rudes – il a également évoqué en termes alarmistes la « guerre civile » en Irak et le rôle régional de l’Iran – par la « vive inquiétude » que lui inspire la dégradation de la situation, par « son attachement à l’unité de l’Irak » et par son désir de voir le calme et la stabilité rétablis rapidement.
Moubarak a indiscutablement commis une maladresse : les chiites arabes ne sont évidemment pas tous, en tous lieux et en tous temps, inféodés aux mollahs de Téhéran. Pendant la guerre Iran-Irak (1981-1988), par exemple, ils sont restés d’une parfaite loyauté et ont combattu en masse dans l’armée de Saddam Hussein. De même, certains d’entre eux furent des pionniers du nationalisme arabe. Reste qu’appliqué au contexte de l’Irak d’aujourd’hui, son propos n’est pas totalement dénué de fondement. Plusieurs formations chiites, telles le parti Ad-Daawa, de Jaafari, ou le Conseil suprême de la Révolution islamique (CSRI), de Baqer al-Hakim, majoritaires au Parlement, sont notoirement des alliés de l’Iran, qui, dans le passé, leur a fourni armes et refuge. L’an dernier, elles ont ainsi participé à la rédaction d’un texte constitutionnel qui occulte toute référence à l’identité arabe de l’Irak, suscitant l’ire des sunnites et, accessoirement, de la Ligue arabe. Par ailleurs, le clergé de Téhéran finance abondamment le Hezbollah libanais et, même s’il a renoncé à « l’exportation de la Révolution » chère à l’imam Khomeiny, ne cesse de renforcer ses positions dans la région.
Son activisme n’inquiète pas uniquement le chef de l’État égyptien, mais l’ensemble de ses pairs arabes. En 2004, Abdallah II de Jordanie avait lancé une mise en garde contre la constitution d’un « arc chiite » allant de l’Iran au Liban, via l’Irak. Les princes saoudiens n’ont quant à eux jamais fait mystère de leur agacement face à la montée en puissance de l’Iran consécutive à l’effondrement du régime sunnite de Bagdad.
Et la récente annonce par Zalmay Khalilzad, l’ambassadeur américain à Bagdad, que son pays n’excluait pas, après la formation d’un gouvernement irakien, d’engager un dialogue avec l’Iran n’est certes pas de nature à apaiser ces inquiétudes. « Cela signifie que les Américains ont renoncé à combattre l’influence iranienne en Irak et qu’ils se sont résignés à faire avec », commente un analyste, qui estime qu’un hypothétique rapprochement entre les deux parties se ferait nécessairement sur le dos des États arabes. « Moubarak a été l’interprète inélégant, sans doute, mais pour une fois sincère, des angoisses arabes », explique-t-il.

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