Mangez ce qu’il vous plaît

Apprécier la nourriture, c’est plus que de l’hédonisme, c’est un comportement sain et une bonne politique. Cela peut même s’apprendre

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Le plaisir de manger peut être nourrissant. C’est ce que suggère une expérience menée dans les années 1970. Les chercheurs ont pris deux groupes, l’un constitué de femmes thaïlandaises, l’autre de femmes suédoises. À chacun, ils ont proposé un plat thaï épicé. Les « cobayes » thaïlandaises, censées aimer le mets plus que leurs congénères nordiques, en ont retiré 50 % de fer de plus qu’elles. Lorsqu’il a été servi sous forme de bouillie pâteuse, elles en ont au contraire absorbé 70 % de moins que la fois précédente.

Conclusion des scientifiques : les plats dont on n’a pas l’habitude, ou qui n’ont pas l’air appétissants, sont moins nourrissants que les bonnes préparations alléchantes. L’explication est dans le processus digestif, dans la relation entre le « cerveau qui mange », l’intestin, et l’autre, celui qui pense. Imaginez-vous dans votre restaurant japonais favori, attablé devant un plat de sushis avec les baguettes croisées comme il convient. Vous humez le parfum, vous appréciez la fine découpe du poisson, la forme parfaite du dôme de riz et des rouleaux de poisson. Délectables, ce spectacle et cette odeur indiquent à votre cerveau que le repas sera bon. Ce dernier répond en faisant passer vos glandes salivaires à la vitesse supérieure et sécréter davantage de sucs gastriques à votre estomac.
Résultat, vous ingurgitez une charge nutritionnelle plus forte que devant un plat répugnant. Dans ce dernier cas, votre cerveau enverra probablement moins de messages positifs à vos papilles et à votre estomac, et ce dernier mettra donc moins d’application à digérer et à métaboliser les aliments.
Faut-il en conclure que nous ne devrions nous nourrir que de beignets et laisser tomber le chou-fleur cru ? Non, car ce qui compte avant tout, c’est la valeur nutritive des aliments.

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Mais les Américains pourraient prendre une leçon chez les Français, chez qui la fréquence d’accidents cardiaques est plus faible en dépit d’un régime alimentaire plus riche. Les Français savourent le goût et la texture ; pour eux, le repas est un rituel. Les Américains mangent sur commande (vous ingurgitez tant de choux-fleurs), ou en quatrième vitesse (sans regarder ce qu’ils avalent) ou par réaction en se jetant sur une boîte de gâteaux après en avoir été trop longtemps privés.
En fait, nous sommes programmés pour apprécier la nourriture, c’est un réflexe vital. En 1946, dans le cadre d’une étude sur la famine à l’université du Minnesota, des volontaires ont passé six mois à ne se nourrir que de demi-portions. Ils ont développé toute une série de rituels autour de l’acte de manger. Ils consacraient des heures à des repas qui ne devaient durer que quelques minutes, coupant une tranche de pain en bouts minuscules avec un couteau et une fourchette, arrangeant les morceaux dans leur assiette, mâchant chaque bouchée 200 fois. Bref, tous leurs comportements visaient à prolonger le repas et à décupler le plaisir d’une nourriture disponible en quantité limitée.

Le spécialiste des questions de santé Lawrence Lindner rapporte qu’en 1995 un comité s’est réuni pour définir la terminologie à employer dans le guide diététique du département américain de la Santé. Un participant a suggéré de commencer par « Dégustez des plats variés ». Proposition rejetée parce que « trop hédoniste ». In fine, poursuit Lindner, « le comité a opté pour une formule apparemment moins dangereuse, mangez des plats variés ».
Nous devons donc apprendre à apprécier nos repas, et surtout à ne pas les engloutir au volant de la voiture avec un sentiment de culpabilité en plus. Appelez ça le « manger lent », le « manger responsable » ou le « manger français », c’est une seule et même chose. Bien manger et en tirer satisfaction, c’est plus que de l’hédonisme, c’est un comportement sain et une bonne politique. Bon appétit !

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