Lomé, un an après

Après la crise de succession d’avril 2005, le pays a retrouvé son calme. En attendant l’ouvertur du Dialogue intertogolais et les élections législatives prévues d’ici à la fin de 2007.

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 7 minutes.

En arrivant sur Lomé, le boulevard de la Marina, qui longe le littoral, est un peu à l’image du pays. En piteux état. La plage est belle, les cocotiers offrent une ombre protectrice aux marchands ambulants et aux pêcheurs, mais cette artère principale qui traverse la ville, du port jusqu’à la frontière avec le Ghana, a perdu de sa superbe. Par endroits, le bitume s’en est allé. Personne pour reboucher les trous. Dans la capitale du Togo, on ne compte plus les rues ainsi défoncées, tandis que la population constate une détérioration continue de ses conditions de vie depuis une bonne dizaine d’années. La « Suisse africaine » des années 1980 n’est plus qu’un lointain souvenir. Entre-temps, les crises politiques à répétition et la suspension de l’aide internationale depuis 1993 ont plongé le pays dans une lente mais inexorable inertie. L’économie est à genoux, le salaire mensuel minimum ne dépasse pas 15 000 F CFA (23 euros), une grande partie des habitants sans emploi est contrainte à la débrouille pour survivre. À moins d’être militaire, docker ou bien encore fonctionnaire, le quotidien relève le plus souvent de la galère. Le régime du défunt Gnassingbé Eyadéma n’a jamais été en mesure de redresser la barre. En rupture de ban et incapable de se réformer, il a malgré tout sauvé l’essentiel après la mort subite du général, le 5 février 2005. Le 24 avril 2005, jouissant de l’imprimatur du suffrage universel, Faure Gnassingbé a succédé à son père. Après le putsch constitutionnel improvisé pour parer au plus pressé, la succession dynastique a été assurée dans les formes, mais non sans mal. Les violences entre les militants de l’opposition radicale et les forces de l’ordre ont fait des dizaines de morts. Pendant plusieurs jours, le Togo est resté au bord du précipice, faisant craindre le pire. Malgré la vivacité de la contestation, l’élection présidentielle pouvait-elle donner naissance à un gouvernement de progrès ? Tel est le défi lancé aux Togolais, et plus spécifiquement aux nouveaux dirigeants du pays.
Tranquillement assis à la terrasse d’une buvette dans le quartier Bè, où la répression a été la plus violente, Komi, 30 ans, et Rouane, 28 ans, sirotent une bière. Si la peur a disparu, si le calme est revenu, si les militaires ne patrouillent plus, les souvenirs demeurent. « On a été bastonnés le jour de l’élection présidentielle », indique Komi. Les amis partis se réfugier au Bénin et au Ghana ne sont toujours pas revenus, et, pour ceux qui sont restés, la situation n’a pas évolué d’un pouce. Après le temps du combat, voici venu celui des doléances. Au chômage depuis quatre ans malgré un diplôme en télécommunications, Komi ne cache pas sa colère. « Il n’y a pas de travail, et les gens souffrent en silence. Ce sont les relations qui comptent. Et si tu n’as pas le bras long, tu ne trouves pas ton pain quotidien », s’emporte-t-il, avant de se lancer sur le terrain politique. Pour lui, « le père ou le fils, c’est la même chose. Faure est sur la même voie que celle tracée par Eyadéma et le parti au pouvoir, le Rassemblement du peuple togolais (RPT) ». Kabyè du Nord, la région de la famille Gnassingbé, Rouane se montre plus indulgent, mais affiche tout de même certaines exigences. « Les Nordistes veulent aussi du changement. On le souhaite, mais on reconnaît que cela va être difficile. On ne conteste pas l’élection de Faure, mais on lui demande d’améliorer notre situation et de créer des emplois. Mais il est là depuis un an, et on n’a rien vu venir. » Pour l’instant, les deux gaillards s’en sortent en faisant un peu de business.
« Élu dans des conditions dramatiques, le président ne sera vraiment légitime que lorsqu’il aura fait des choses pour la population exsangue. Or, pour l’instant, ce n’est pas le cas, et il reste désespérément silencieux. Au Togo, c’est une constante : le pouvoir n’a pas à se justifier », déplore un journaliste. À défaut de s’expliquer et d’avoir engagé de véritables réformes pour redonner espoir à la rue, le pouvoir envoie des « signes qu’il faut savoir observer, et l’État a perdu de son arrogance », selon l’expression d’un conseiller du Premier ministre, Edem Kodjo. La volonté d’apaisement et de réconciliation ne se décrète pas, elle se démontre. Pour mieux se démarquer du « Vieux » et de son encombrant héritage, Faure Gnassingbé a délaissé la résidence familiale de Lomé II, où officia son père pendant des lustres, pour regagner l’ancien Palais de la présidence, situé sur le front de mer. Une « Commission nationale spéciale d’enquête indépendante sur les actes de violence commis pendant la dernière élection présidentielle » a été créée. Près de huit mille personnes ont été auditionnées sur l’ensemble du territoire. À l’issue de ces travaux, le bilan est de 153 morts, selon un rapport remis aux autorités. Les Nations unies avancent le chiffre de 400 à 500 victimes, contre 800 à 1 000 pour l’opposition radicale. En septembre dernier, le chef de l’État a mis sur pied une autre « Commission de réflexion pour la réhabilitation de l’histoire du Togo » afin de rendre hommage à tous les dirigeants du pays, vivants ou décédés : anciens chefs d’État, de gouvernement et hauts dignitaires. Le 13 janvier dernier, pour la première fois, une messe a été célébrée en l’honneur du président togolais Sylvanus Olympio, assassiné le 13 janvier 1963. Si cette journée – commémorée avec faste sous Eyadéma – demeure la fête de la Libération, l’anniversaire de l’indépendance du pays, le 27 avril, fait cette année un retour remarqué dans le calendrier officiel des festivités nationales. Voilà pour les symboles et le travail de mémoire. Mais le plus laborieux est à venir, à savoir le Dialogue intertogolais.
Figurant parmi les 22 engagements pris par le Togo auprès de l’Union européenne, ces discussions politiques doivent déboucher sur une sortie de crise et des élections législatives anticipées avant la fin du mandat de l’Assemblée nationale en 2007. Avec, à la clé, une reprise de la coopération internationale. Depuis huit mois, le RPT et le principal parti de l’opposition radicale, l’Union des forces du changement (UFC) dirigée par le chef historique Gilchrist Olympio, poursuivent en vain des discussions à Rome sous la houlette de la communauté Sant’Egidio. Quant au dialogue à Lomé, qui doit théoriquement réunir toutes les forces du pays, on en est encore aux conditions préalables malgré l’implication récente du président burkinabè Blaise Compaoré, venu au Togo le mois dernier. « Nous voulons un médiateur, et les discussions doivent porter sur la réforme de l’armée. C’est une question fondamentale, et on ne blaguera plus avec cela. Discuter pour discuter, cela ne nous intéresse pas », prévient le secrétaire général de l’UFC, Jean-Pierre Fabre. Pour l’instant, personne ne parvient à s’entendre sur l’identité de ce médiateur. Le pouvoir a proposé l’ancien Premier ministre sénégalais Moustapha Niasse. L’UFC plaide pour le diplomate onusien Lakhdar Brahimi. Quant à la réforme de l’armée, après trente-huit années de régime militaire, la tâche paraît immense, voire incertaine. Moins intransigeants ou plus pragmatiques, les deux autres leaders de l’opposition radicale, Yawovi Abgoyibo et Léopold Gnininvi, semblent plus accommodants et paraissent prêts à dépasser ces divergences pour entamer les discussions. « L’UFC a du mal à se démarquer de son histoire, et Gilchrist Olympio est avant tout animé par une vendetta personnelle depuis l’assassinat de son père. Les conditions préalables sont des manuvres dilatoires », estime un observateur. « L’UFC n’est intéressée que par une seule chose, l’élection présidentielle. Ce parti ne s’intéresse pas au redressement du pays. Il mise sur notre échec », déclare le Premier ministre Edem Kodjo, dont la formation, la Convergence patriotique panafricaine (CPP), appartient à l’opposition modérée. « Le durcissement observé durant les années 1990 n’a rien apporté », conclut-il. « On ne fait pas de caprice. Mais quand on me vole un buf, j’ai du mal à me contenter d’un pigeon », réplique Fabre, faisant allusion à la défaite du candidat de la coalition de l’opposition, Emmanuel Akitani Bob, qui n’a obtenu ?que 38,2 % des voix en avril dernier.
Seules des élections législatives libres, sincères et transparentes permettraient de départager tout le monde. L’opposition radicale, d’un côté, tentée par la stratégie d’obstruction, et l’aile dure du clan Eyadéma, de l’autre, qui a conservé quelques leviers, vont-elles accepter de se prêter à ce jeu très risqué ? Celui de la démocratie, de la vérité des urnes et de la volonté du peuple ? « En cas d’échec du dialogue, les faucons du régime pourraient être tentés de reprendre la main. Le président Faure a donc intérêt à réussir. Avec des cartes rebattues, il aurait une plus grande marge de manuvre et plus de légitimité. En attendant, il doit composer avec sa mouvance présidentielle très composite », analyse un observateur. Avant de conclure : « Mais il faut dès à présent évacuer les questions politiques pour entamer les réformes économiques. »
L’ouverture, en janvier, d’un dialogue social a permis de calmer les impatiences. Le recrutement d’enseignants et le paiement d’arriérés ont donné un peu de grain à moudre. Mais en toile de fond, le champ économique demeure dévasté. Quant aux réformes annoncées pour relancer l’activité et assainir les finances publiques, elles se conjuguent encore au futur.

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