Le Seuil, pionnier de la francophonie

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 2 minutes.

Sans le savoir, les éditions du Seuil ont inventé la « littérature francophone ». Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, Jean Bardet et Paul Flamand, les fondateurs de la maison, publiaient des auteurs originaires des aires géographiques les plus diverses dont le point commun était l’utilisation de la langue française. Ces deux hommes n’avaient jamais voyagé en dehors de l’Europe. Ils n’étaient ni des révolutionnaires ni des tiers-mondistes avant l’heure, mais faisaient montre d’une ouverture d’esprit exceptionnelle.
C’est avec Léopold Sédar Senghor que s’ouvre l’histoire des littératures francophones chez cet éditeur. Le futur président du Sénégal s’était lié d’amitié avec Paul Flamand dès la création de la maison en 1935. Pendant la guerre, les deux hommes se rencontraient régulièrement, et c’est tout naturellement qu’en 1945 Senghor fait paraître Chants d’ombre, son premier recueil, au Seuil. Il y sera bientôt rejoint par le Guyanais Léon-Gontran Damas et le Martiniquais Aimé Césaire, ses deux compères du mouvement de la négritude.
À partir du début des années 1950, Le Seuil édite notamment le Martiniquais Frantz Fanon, les Algériens Mohammed Dib et Kateb Yacine. Ces écrivains, dont on sait la célébrité qu’ils connaîtront, sont publiés dans la collection « Cadre rouge », où ils côtoient les meilleurs romanciers français de la nouvelle génération, et non, comme le feront d’autres éditeurs, dans une collection particulière qui pourrait s’apparenter à un ghetto.
À l’occasion de l’Année de la francophonie en France, Le Seuil diffuse un document présentant tous les auteurs répondant, faute de mieux, à cette définition – à laquelle appartiennent également, bien entendu, les Canadiens, les Belges, les Vietnamiens, etc. – qu’il a publiés depuis 1945. Les écrivains sont présentés par ordre chronologique selon leur date d’entrée dans le catalogue de la maison. Ainsi l’Algérien Mouloud Feraoun apparaît-il en 1953, le Martiniquais Édouard Glissant en 1958, le Guinéen Tierno Monénembo en 1979, le Marocain Abdelhak Serhane en 1983, le Congolais Henri Lopes en 1990, le Togolais Kossi Efoui en 1998 Certains sont aujourd’hui décédés, comme le Malien Yambo Ouologuem, l’Algérien Tahar Djaout, le Congolais Sony Labou Tansi ou l’Ivoirien Ahmadou Kourouma ; d’autres ont quitté la maison, à l’instar du Marocain Tahar Ben Jelloun, « passé » chez Gallimard l’an dernier. Mais de nouvelles figures sont venues les remplacer. Depuis 2001, par exemple, les Algériens Abdelkader Djemaï et Leïla Marouane, la Libanaise Yasmine Khlat ou encore le Marocain Abdellah Taïa (voir p. 117) ont rejoint l’écurie du Seuil. Sans oublier le Congolais Alain Mabanckou, dont le roman Verre Cassé a été l’une des meilleures surprises de l’année littéraire 2005 en France.
D’autres grands éditeurs français, entre-temps, et heureusement, ont relayé l’action du Seuil. Gallimard, Albin Michel, Grasset, Stock, Fayard, Flammarion, etc., publient de plus en plus d’auteurs « francophones ». Dans le sillage de Présence africaine, de petites maisons spécialisées sur l’Afrique ou le monde noir comme Dapper ont vu le jour. Mais les liens tissés entre la « maison de la rue Jacob » et les littératures en langue française des quatre coins du monde ne s’effaceront pas de sitôt.

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