« Il faut que la presse fasse son autocritique »

Peter Dogbé, secrétaire général de l’Union des journalistes indépendants du Togo (Ujit), analyse les travers de la profession.

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 4 minutes.

Une trentaine de journaux, 86 radios et 7 chaînes de télévision, le paysage médiatique togolais est quantitativement très riche. Mais la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Pressions de toutes sortes, manque de professionnalisme, militantisme déguisé, journaux inféodés, objectivité aléatoire, fragilité économique… la presse fait face à de nombreux handicaps. Consciente de ces difficultés, la profession s’est donné rendez-vous, les 27 et 28 mars dernier à Lomé, pour tenter de baliser le chemin vers une « presse libre, indépendante et respectée ». Le secrétaire général de l’Union des journalistes indépendants du Togo (Ujit), Peter Dogbé, nous livre son sentiment sur cette rencontre au regard de son expérience comme directeur de la radio Nana FM.

Jeune Afrique : Pourquoi avoir organisé cette rencontre ?
Peter Dogbé : C’est la première fois que toutes les associations de la presse publique et privée togolaise se retrouvent pour permettre à la profession de faire son autocritique. Il y avait urgence à le faire. La presse libre a percé au début des années 1990. Mais, depuis, les conditions de travail ont changé. À l’époque, il y avait des abus, la liberté de presse était à conquérir, il fallait combattre le régime. Aujourd’hui, la situation des droits de l’homme s’est améliorée, le général Eyadéma n’est plus et, enfin, la liberté de la presse existe. Maintenant, cette presse doit se professionnaliser, se responsabiliser. C’est la condition pour être respectée et pour que les relations avec le pouvoir se normalisent.
Comment y parvenir ?
Les journalistes doivent prendre conscience que la donne a changé. Nous ne sommes plus dans les années 1990 et on ne va pas continuer à faire du journalisme de combat. Si on veut des entreprises de presse rentables, il faut changer de stratégie. Sinon, la précarité, la gestion au jour le jour vont se perpétuer, et les journalistes vont vieillir sans gagner correctement leur vie. Il faut que les entreprises de presse se structurent. Sinon, certains d’entre nous continueront à monnayer leurs services pour écrire un article. Si on impose un minimum d’exigences, les animateurs d’une presse responsable s’imposeront dans le paysage médiatique.
Les journalistes vont devoir mettre un bémol à leur goût pour le commentaire et se consacrer aux faits…
Cette rencontre a permis aux journalistes d’exprimer leur volonté d’évoluer en ce sens. Pour y parvenir, nous devons dépasser la politisation du pays et les lignes de fracture. Au Togo, vous êtes soit avec le pouvoir, soit contre. C’est regrettable, mais beaucoup pensent que pour gagner sa vie il faut être dans un camp. Je suis persuadé du contraire. Cela ne veut pas dire qu’il faut laisser la politique aux politiciens. La politique n’a pas de limites, mais elle doit être analysée avec objectivité à la lumière des faits.
Comment la presse peut assurer son équilibre économique alors que le marché publicitaire reste très limité ?
Pour la presse écrite, c’est très difficile. Ce n’est pas avec 5 000 exemplaires vendus que l’on peut couvrir tous les frais. Il faut donc chercher d’autres sources de revenus. Mais actuellement, sans relations, il est très difficile de trouver des annonceurs. À l’avenir, pour convaincre tout le monde et gagner un plus large public, les médias devront démontrer qu’ils sont au service des lecteurs, des auditeurs ou des téléspectateurs.
Vous êtes le fondateur et le directeur de Nana FM. Est-il possible de rester objectif et d’assurer les fins de mois ?
Oui, en faisant preuve de professionnalisme. Je suis respecté, et je ne suis redevable vis-à-vis de personne.
Quelles sont vos sources de financement ?
Les annonces nécrologiques couvrent 40 % de nos revenus mensuels. Si à cela j’ajoute deux à trois annonceurs, je couvre mon budget. Le reste, c’est du bénéfice, sous forme de petites annonces ou de dédicaces. Nana FM compte une vingtaine de salariés rémunérés entre 35 000 et 80 000 F CFA. En ce qui me concerne, je gagne 150 000 F CFA. J’ai démarré Nana FM avec rien. Pendant dix mois, j’ai dû emprunter pour payer les salaires. Mon premier contrat publicitaire était de 1,7 million de F CFA. J’ai alors soldé toutes mes dettes et, depuis, je n’ai plus de problèmes. Chaque mois, il me faut 1,2 million de F CFA pour les charges fixes (loyer, électricité, salaires). J’ai interdit à nos reporters de prendre de l’argent lorsqu’ils sont sur le terrain. La plupart respectent cette consigne, car ils sont payés et respectés.
Avez-vous des subventions publiques ?
Non, et je n’en veux pas. D’une façon générale, tant que les patrons de presse ne savent pas où ils veulent aller, je ne suis pas partisan d’aides publiques. Pas pour l’instant.
Et des aides étrangères ?
J’ai fait plusieurs dossiers de demande de financement, mais ils ont tous été rejetés. La situation togolaise et le paysage médiatique du pays ne favorisent pas ce genre de soutiens. Les partenaires étrangers ne font pas confiance à nos structures. Ils ont des doutes sur l’utilisation des fonds. Nous devons donc miser sur nos propres forces.
La présence de médias internationaux est-elle un handicap pour le développement de la presse togolaise ?
RFI n’est pas une radio concurrente, car c’est une radio intellectuelle. Moi, je fais une radio pour classe moyenne qui privilégie la proximité, l’actualité nationale et sous-régionale, lorsqu’il y a des implications au Togo. Par ailleurs, les journalistes togolais sont sans formation et ont appris sur le tas. Ces médias sont donc source d’inspiration et peuvent servir de modèle pour améliorer leurs prestations.

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