Georges Rawiri, un homme d’influence
Compagnon de route d’Omar Bongo Ondimba, le président du Sénat est décédé le 9 avril. Retour sur l’itinéraire de ce baron du régime, dont la succession aiguise déjà les appétits.
La nouvelle de sa mort, survenue le 9 avril à Paris, a très vite atteint les rives de l’Ogooué, où il a vu le jour. Juste en aval de Lambaréné, là où le fleuve paresseux décrit de larges méandres, comme pour faire durer le plaisir avant de courir se jeter dans l’océan. C’est ce labyrinthe de lacs et d’îlots qui a servi de décor à son enfance, lui qui, gamin, empruntait une pirogue pour rejoindre l’école de la mission protestante de Ngomo. Fils du Moyen-Ogooué, Georges Rawiri, 74 ans, n’a jamais oublié d’où il venait. Il y retournait d’ailleurs fréquemment. Pour rencontrer ses administrés, mais aussi pour s’y ressourcer.
Pourtant, dès 1946, Rawiri quitte le Gabon pour poursuivre sa scolarité à 6 000 kilomètres de là, au lycée Jean-Baptiste-Dumas d’Alès, dans le sud de la France. Dix ans plus tard, baccalauréat en poche, il entre au studio-école de l’Ocora (Office de coopération radiophonique). Une fois diplômé, il est d’abord affecté à la station de Radio-Garoua, dans le nord du Cameroun, puis à Radio-Gabon en 1959. Un an plus tard, le pays accède à l’indépendance et Rawiri devient directeur de la radio nationale. Fondateur de la RTG (Radiodiffusion télévision gabonaise) en 1963, il fait son entrée au gouvernement un an plus tard en qualité de ministre de l’Information, des Postes et des Télécommunications.
La politique au Gabon est souvent une affaire de famille. D’ailleurs, Rawiri est le neveu de Paul Gondjout, l’ancien président de l’Assemblée nationale. Mais sa carrière restera intimement liée à celle de son ami Albert-Bernard Bongo. C’est à ce dernier que, le 27 novembre 1967, le président Léon Mba, peu avant sa mort, confie l’intérim du pouvoir. Georges Rawiri, alors ambassadeur à Paris, assiste à la passation entre les deux hommes. Il accompagnera Omar Bongo Ondimba au cours des trente-huit années qui suivront.
De retour au pays en 1971, il devient ministre des Affaires étrangères, puis ministre d’État à la présidence chargé de la Coordination économique et financière et, enfin, vice-Premier ministre chargé des Transports. À ce poste, il sera l’un des plus ardents promoteurs du Transgabonais, la ligne ferroviaire reliant Libreville à Franceville inaugurée en 1986. Après vingt ans passés au gouvernement, il prend du recul, mais reste dans l’ombre du chef. En 1992, il devient haut représentant personnel du chef de l’État avant d’accéder, cinq ans plus tard, à la présidence du Sénat. À ce poste, il devient le deuxième personnage de l’État, appelé à assurer l’intérim du président en cas de vacance du pouvoir.
Patron politique de la province du Moyen-Ogooué, Georges Rawiri n’a jamais cherché à créer son propre courant ou sa propre chapelle au sein du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir). En revanche, le président du Sénat était incontestablement un homme de réseaux, et pas seulement sur le terrain politique. Très impliqué dans les milieux d’affaires, il était souvent présenté comme un facilitateur des investissements français au Gabon (Elf, Bolloré, Athena, etc.), et siégeait dans plusieurs conseils d’administration. Marié à une Française, Jacqueline Dumas, père de deux enfants, cet homme élégant passait, selon la rumeur publique, pour la plus grosse fortune du Gabon. Mais c’est plutôt sa richesse spirituelle que ses proches préfèrent évoquer. De confession protestante, cet homme éminemment secret cultivait également la fraternité maçonnique, puisqu’il était l’un des fondateurs de la Grande Loge nationale du Gabon.
Homme d’influence par excellence, faiseur et « défaiseur » de carrières, à défaut de forger des destins, le président du Sénat ne laissait personne indifférent. Surnommé « Jo » par les uns, « Talleyrand » par les autres, Rawiri s’enquérait chaque matin de ce que la gazette librevilloise colportait sur son compte : « Peu importait que l’on parle de lui en bien ou en mal, se souvient l’un de ses proches. Pourvu que l’on raconte des choses à son sujet. »
Malgré les critiques qu’il suscitait, sa disparition a provoqué une réelle émotion au Gabon. Évoquant la mémoire de celui qui fut « plus qu’un frère », le président de la République a décrété une semaine de deuil national. De fait, le défunt a entretenu une longue amitié avec Omar Bongo Ondimba, dont il a fait la connaissance en 1961. Parrain de l’un des enfants du chef de l’État, il fut témoin lors de son mariage. « Le boss » le consultait régulièrement, notamment avant de prendre une décision importante, comme la nomination d’un nouveau Premier ministre. Si « Georges » faisait presque partie de la famille présidentielle, il a également su rester à sa place. Éternel numéro deux, il n’a jamais tenté de prendre le pas sur Bongo qui, lui-même, a toujours su rappeler qu’il était le chef. Détenteur des plus grands secrets de la République, Rawiri, en véritable « gardien du temple », était sans doute l’homme qui connaissait le mieux le chef de l’État. Et cette connivence aura toujours permis aux deux hommes de préserver leur relation, mélange de respect, d’amitié et d’intérêts communs.
Reste à savoir ce qu’il adviendra de son héritage politique. Baron pédégiste du Moyen-Ogooué, Rawiri était le « patron » de la province. À ce titre, il avait un droit de regard sur toutes les nominations et promotions dont bénéficiaient les Migovéens au sommet de l’État et au sein des institutions de la République. Le futur « parrain » de Lambaréné aura lui aussi pouvoir d’adouber ou de reléguer. Autant dire que la succession risque d’attiser les convoitises. Parmi les personnalités les mieux placées figurent Richard Onouviet, actuel ministre des Mines, de l’Énergie, du Pétrole et des Ressources hydrauliques, et Albert Ndjavé Ndjoy, deuxième vice-président de l’Assemblée nationale, redevenu proche de Rawiri après s’en être éloigné quelque temps.
Autre inconnue : à qui va revenir la présidence du Sénat ? Selon un exégète de la politique librevilloise, Léonard Andjembe, premier vice-président du Sénat, pourrait assurer l’intérim, le temps que l’on trouve une personnalité à la carrure suffisante pour tenir le rang de numéro deux de la République. Certes, en cas de vacance du pouvoir, « l’héritier constitutionnel » ne peut briguer la magistrature suprême. Mais c’est à lui que revient la délicate mission d’assurer la tenue de l’élection présidentielle, et donc de superviser la transition. Un rôle suffisamment délicat pour ne pas être confié au premier venu.
Aussi les prochaines législatives, qui doivent se tenir d’ici à la fin de l’année seront-elles déterminantes. Car, si la présidence du Sénat venait à échapper au Moyen-Ogooué, celle de l’Assemblée pourrait bien lui revenir. Comme compensation. Dans ce cas de figure, Albert Ndjavé Ndjoy serait le mieux placé pour occuper le perchoir. Ce qui permettrait, dans le même temps, de pondérer l’influence grandissante d’Onouviet. Mais de cette alchimie politico-ethno-régionaliste, seul Omar Bongo Ondimba détient la clé. En attendant de connaître le résultat de ces tractations, l’heure est au recueillement parmi les Galoas (Myénés) du lac Onangué, à quelques heures de pirogue de Lambaréné. Un recueillement qui va bien au-delà des rives de l’Ogooué. Avec Georges Rawiri, c’est un certain Gabon qui disparaît. Une génération de dirigeants qui s’apprête, comme lui, à quitter le devant de la scène.
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