Edem Kodjo : « Nous revenons de loin »

Nommé le 8 juin dernier, le Premier ministre dresse un premier bilan de son action et décrit ses relations de travail avec le chef de l’État.

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 8 minutes.

Nommé Premier ministre du Togo par le président Faure Gnassingbé, le 8 juin dernier, Edem Kodjo dresse un premier bilan de son action et aborde ses relations de travail avec le chef de l’État. Sur fond de réformes politiques et économiques, le chef du gouvernement issu de l’opposition modérée est persuadé que les choses peuvent changer dans son pays. Sur un ton consensuel et prudent, l’homme se veut optimiste.

Jeune Afrique : Avez-vous des regrets d’avoir accepté cette mission périlleuse après la mort du président Eyadéma et l’élection présidentielle du 24 avril qui a vu la victoire de son fils, Faure Gnassingbé ?
Edem Kodjo : Sûrement pas. Je savais que cette mission serait périlleuse et difficile. Mais j’ai décidé d’accepter cette responsabilité afin d’uvrer pour mon pays. Cette position m’a permis d’abattre un travail important depuis ma prise de fonctions. Le Togo que l’on décrit encore à tort comme un pays où les droits de l’homme ne sont pas respectés, où les habitants sont pourchassés, sans paix civile et avec des affrontements dans les rues, est un pays paisible. Cela, on le doit au gouvernement.
Et non pas au président Faure Gnassingbé ?
Nous ne faisons pas de différence lorsqu’on parle du gouvernement. Nous travaillons de manière étroite. Je n’ai jamais vu le chef de l’État prendre une seule mesure et se lancer dans une politique sans que le gouvernement n’y ait été associé. N’en déplaise à ceux qui pensent qu’il y a des domaines réservés.
Vos détracteurs estiment justement que votre autorité est factice et que seul le président détient l’autorité ?
Je vois le chef de l’État quotidiennement, pendant une heure. Nous ne passons pas notre temps à nous raconter des histoires. Nous travaillons et nous traitons les dossiers en profondeur.
Quelles sont vos relations avec Faure Gnassingbé ?
Ce sont des relations de simplicité, de franchise, de cordialité, de confiance et de travail. Je me sens tout à fait à l’aise avec le président.
Disposez-vous d’une marge de manuvre suffisante ?
Un Premier ministre est un Premier ministre. Sa marge de manuvre n’est pas totale. Sinon, il serait le chef de l’État. Et ce n’est pas parce que je viens de l’opposition que tout doit être chamboulé rapidement.
La gazette togolaise laisse entendre que certains ministres traitent directement avec la présidence sans passer par vous ?
Il n’y a aucun ministre avec qui je n’ai pas de réunion de travail.
Y compris le ministre délégué à la présidence de la République, chargé de la Défense, Kpatcha Gnassingbé, le frère du chef de l’État ?
Y compris celui de la Défense. Si je convoque Kpatcha Gnassingbé, il vient.
Vous convoquez Kpatcha Gnassingbé ?
J’appelle, je convoque, j’invite tous mes ministres. Kpatcha Gnassingbé est un homme tout à fait charmant avec qui j’ai de très bonnes relations. Il faut connaître la personnalité de chacun. Je trouve que c’est l’un des ministres les plus disciplinés.
Il représente l’aile dure du clan Eyadéma, et vous êtes issu de l’opposition
C’est possible que l’on dise qu’il soit le représentant de l’aile dure du clan, mais moi, je n’ai pas de problèmes avec lui… Rien qui puisse démontrer qu’il est totalement braqué sur une position, qu’il est intraitable et qu’il est impossible de s’entendre avec lui. Je crois que nous revenons de loin. Le système que nous avons aujourd’hui est composite. Il y a ceux qui veulent le changement très vite, que l’on bouscule les choses et que la physionomie du pays change en moins d’un an. Il y a aussi ceux qui résistent à ce mouvement. Le président Gnassingbé doit trancher. Et il le fait avec finesse et intelligence.
Peut-on faire évoluer les choses au Togo avec un héritier du régime Eyadéma au sommet de l’État ?
Tous les Togolais me connaissent. Je n’ai pas ma langue dans ma poche. Si quelque chose ne va pas, je le dis. Si j’avais eu la conviction que rien, absolument rien, ne pouvait être changé après le décès du président Eyadéma et l’accession au pouvoir de Faure Gnassingbé, je ne me serais pas engagé dans cette voie. Et j’ai encore toute latitude pour dire : « Messieurs, je m’en vais. » Je suis convaincu que de larges progrès sont susceptibles d’être faits. C’est déjà le cas dans plusieurs domaines.
Lesquels ?
En matière de droits de l’homme, la question fondamentale des arrestations arbitraires et des enfermements abusifs a été réglée. La procédure pénale est à présent respectée par toutes les forces auxiliaires de justice. Les personnes qui sont encore en détention le sont pour atteinte à la sûreté de l’État. Aucun Togolais n’est en prison pour ses opinions. Beaucoup de détenus ont été libérés ces derniers mois. Même des malfrats, ce qui n’est pas sans poser des problèmes de sécurité. Face à cette situation, l’armée, qui aurait auparavant effectué des patrouilles et installé des barrages, n’est pas intervenue. Aujourd’hui, les militaires n’ont plus cette mission : la police a pris la relève. C’est vous dire les progrès réalisés.
Je peux aussi citer la commission de réhabilitation de l’Histoire qui a été mise en place et qui a remis son rapport en février. L’action de tous les anciens présidents du Togo et de tous ceux qui se sont battus pour l’indépendance du pays a été reconnue. À commencer par Sylvanus Olympio. C’est psychologiquement très important. Beaucoup d’efforts ont été faits pour apaiser le climat. Nous avons par ailleurs largement entamé la réforme de la justice. La justice administrative fonctionne. Un juge d’application des peines a été nommé. La réforme des prisons est en cours. La prison centrale de Lomé a été refaite grâce à des financements européens, je l’ai visitée. La presse jouit d’une large liberté d’expression. On en use et on en abuse. Nous avons par ailleurs ouvert le dialogue social, rattrapé des arriérés de salaires qui remontaient à 2002, recruté 8 000 personnes dans la fonction publique, et mis en adéquation les avancements et les salaires. Sur le plan économique, nous lançons un programme de grands travaux dans le domaine des infrastructures et de l’assainissement. Aussi bien dans la capitale qu’à l’intérieur du pays. Mais il reste encore beaucoup à faire et notamment concernant la maîtrise et la sécurisation de l’impôt. Il faut que les recettes de l’État aillent à l’État.
Et concernant les réfugiés, qui sont toujours au Bénin et au Ghana [NDLR : 37 000, selon le HCR] depuis l’élection présidentielle ?
Un commissariat a été créé par le chef de l’État pour s’occuper des déplacés, faire en sorte qu’il n’y ait pas de vengeance à leur retour et rencontrer les différents partenaires des Nations unies. J’ai par ailleurs suspendu toute action en justice contre les réfugiés, sauf en cas de crime de sang.
Pour relancer son aide et ses programmes de coopération au Togo, l’Union européenne demande l’application des 22 engagements, et notamment l’ouverture du Dialogue intertogolais. Où en est-on ?
Le processus est en cours. Le président du Burkina, Blaise Compaoré, qui a été contacté, a accepté de participer à ce processus. Il connaît tous les acteurs de la crise togolaise qui n’ont pas beaucoup changé depuis sa première intervention dans les années 1992-1993. Le dialogue va débuter, mais s’il a beaucoup tardé, on le doit à l’opposition radicale, qui n’est pas unie. L’UFC entendait négocier toute seule avec le RPT sous l’égide la communauté catholique Sant’Egidio à Rome. Au bout de huit mois, cela n’a pas donné grand-chose. Il y a aussi la question du médiateur. Certains veulent l’imposer, d’autres estiment qu’il faut commencer les consultations immédiatement. Si, plus tard, les discussions coincent, on pourra alors faire appel à une médiation. Concernant le lieu, on est finalement parvenu à se mettre d’accord sur Lomé. Si le dialogue a traîné, ce n’est pas le fait du gouvernement. Le chef de l’État a reçu tous les partis politiques, la société civile et les différents représentants des confessions religieuses. Nous sommes prêts à discuter. Mais je tiens à préciser que ce dialogue est une affaire euro-togolaise entrant dans un cadre précis.
C’est-à-dire
Les 22 engagements prévoient notamment un cadre électoral avec la convocation d’élections législatives anticipées. Cela implique l’adoption d’un code électoral et l’installation d’une Commission électorale nationale indépendante. Le gouvernement est prêt à aller dans ce sens, mais Bruxelles ne peut pas se détacher des 22 engagements. Il n’a jamais été question d’élection présidentielle ni de nouvelle Constitution. En revanche, les élections législatives seront organisées dès que le dialogue aura été entamé et des résultats atteints. Pour l’instant, aucune date n’a été fixée, je ne peux rien vous dire sur le calendrier. Si ce n’est que la fin du mandat de l’Assemblée nationale est en 2007. Dans le cadre du Dialogue intertogolais, nous avons par ailleurs ajouté des sujets comme la question de l’impunité et la réforme de l’armée. Un statut des militaires est en préparation. Mais on ne réforme pas l’armée comme on achète 1 kg de mangues. Certains demandent que l’armée soit consignée dans les casernes. Vous croyez que c’est possible ? On ne peut pas résoudre des problèmes et en créer d’autres.
Quel que soit le contenu du dialogue, il y a urgence, car le Togo a besoin de l’aide internationale pour relancer son économie
On peut faire un certain nombre de choses sans attendre Bruxelles. Les Togolais doivent eux-mêmes reconstruire leur pays. L’aide ne doit être qu’un appoint, mais l’essentiel ce sont les réformes que nous menons. Il y a du travail à faire à notre niveau. Je crois beaucoup à l’aide étrangère, mais je crois encore davantage à l’effort intérieur.
Vous avez été à la tête du gouvernement de 1994 à 1996 sous la présidence du général Eyadéma. Qu’est-ce qui a changé entre ces deux périodes ? À l’époque, vous aviez démissionné après une cohabitation conflictuelle.
Ce fut en effet une cohabitation malheureusement conflictuelle. Le chef de l’État avait une vision qu’il ne me communiquait pas assez, et moi, j’avais cette ardeur à démontrer que nous pouvions avancer. Sans m’étendre sur les causes, je dirais que nous avions une relation de défiance. Aujourd’hui, la confiance est totale avec le président Faure Gnassingbé. Lors de la présentation de mon programme de gouvernement à l’Assemblée nationale, j’ai mis au défi quiconque de prouver le contraire. Cela n’a pas changé.

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