Éducation sentimentale

Avec ce troisième ouvrage largement autobiographique, Abdellah Taïa donne une fois encore à lire un texte à l’écriture parfaitement maîtrisée.

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 2 minutes.

Un jeune Marocain débarque à Genève pour y poursuivre ses études. Il a tant rêvé de l’Europe que l’atterrissage est brutal. L’ami suisse qu’il pensait trouver à son arrivée lui a fait faux bond. Faute d’argent, et en attendant de percevoir sa bourse, l’adolescent trouve refuge à l’Armée du salut.
Cet épisode donne son titre au roman d’Abdellah Taïa, 33 ans, dont les premiers livres, Mon Maroc et Le Rouge du Tarbouche (Séguier 2000 et 2005), ont révélé une plume talentueuse. Un talent qui se confirme dans ce récit largement autobiographique.
L’auteur commence par se remémorer son enfance dans une famille modeste de Salé, la ville jumelle de Rabat. La maison compte trois pièces, une pour le père, une autre pour le plus âgé des garçons, Abdelkébir, la dernière pour le reste de la « tribu » : la mère, les six filles, le narrateur ainsi que son cadet Mustapha.
Abdelkébir ! Plus que l’aîné qu’on respecte et craint tout à la fois, il est un héros, une idole pour le jeune garçon : « Mon frère, c’était toute ma vie quand j’étais au Maroc. Il m’a aidé à faire des phrases, à écrire des lettres. J’ai pleuré avec ses mots, en pensant à lui. Il m’a acheté un billet d’avion, un beignet au sucre un soir à la médina de Rabat, une brosse à dents bleue, un slip de bain blanc et un manteau d’hiver que je porte encore aujourd’hui. »
Ce frère, dont il admire le corps, boit les paroles, s’enivre de l’odeur est le premier homme que le petit Abdellah a aimé et désiré. Et c’est à travers cette passion que se révèle son homosexualité.
Tout l’art de Taïa est d’évoquer avec délicatesse mais sans faux-semblant les sujets les plus délicats. Lorsqu’il raconte sa liaison avec Jean, qu’il a connu à Rabat et avec lequel il a voyagé à travers le Maroc avant de découvrir l’Europe à son invitation, il ne cache rien de l’ambiguïté de leur relation. Avec son argent, l’ami suisse ne peut-il pas tout s’acheter, y compris l’amour d’un jeune Marocain ?
Partagé entre, d’un côté, son désir de liberté et son ambition de devenir un « intellectuel », et, de l’autre, son attachement à son pays, aux siens, le jeune homme vogue d’une rive à l’autre, désemparé. Le livre se termine sur cette note ambivalente. Mais on peut imaginer la suite : les brillantes études – Abdellah Taïa prépare un doctorat de lettres à Paris -, les premiers livres publiés, la reconnaissance littéraire. Autant de matière pour d’autres ouvrages à l’écriture aussi élégamment maîtrisée.

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