Dr Denis Labayle

Chef du service de gastro-entérologie du Groupe hospitalier francilien d’Évry

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

L’hôpital français est malade. Confusion et incohérence règnent un peu partout : les directeurs d’hôpitaux recrutent dans l’illégalité, faute de personnel ; les patrons s’avouent dépassés, les équipes médicales débordées. Les malades se plaignent d’abandon dans les services hospitaliers. Si le savoir et le savoir-faire demeurent, on est en droit de se demander comment une technologie, aussi brillante soit-elle, pourrait combler le manque d’effectifs humains. Le Dr Denis Labayle, chef du service de gastro-entérologie du Groupe hospitalier francilien d’Évry, près de Paris, a dénoncé sans ménagement la grande crise de l’hôpital français dans un ouvrage intitulé Tempête sur l’hôpital (Éditions du Seuil). Le malaise des personnels, l’insuffisance des moyens, la détérioration de la qualité des soins. Un constat où s’inscrit en filigrane la situation souvent inextricable de nombreux médecins à diplôme acquis hors de France.

Jeune Afrique : Comment fonctionneraient les services hospitaliers français sans les médecins étrangers ?
Dr Denis Labayle : On prendrait le risque de ralentir sérieusement les services de plus de la moitié des hôpitaux français, voire de les fermer. En anesthésie, en radiologie, en pédiatrie, par exemple, leur départ serait dramatique ; rien qu’aux urgences, ils assurent 50 % de l’accueil des 10 millions de passages annuels de patients.

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Si on ne peut pas se passer d’eux, pourquoi ne pas leur accorder cette équivalence du diplôme qu’ils demandent et qui mettrait fin à la discrimination ?
Attention ! Tous les médecins étrangers n’ont pas le même statut. À la fin des années 1990, la France comptait 6 000 à 7 000 médecins à diplôme étranger appelés à la rescousse car on manquait de personnel. Depuis, près de la moitié ont été titularisés ; parfois même, il est arrivé que leur cursus aille plus vite que celui des médecins français. Ainsi, nous avons en réanimation de nombreux Syriens, Libanais, Africains qui ne se plaignent pas. Le vrai problème, c’est l’autre groupe, celui des non-titularisés. Les vacataires subissent en effet des situations injustes et difficiles à vivre. Ils sont dans une grande instabilité, car dépendant des gens qui les embauchent. On peut, tout à coup, supprimer arbitrairement leurs vacations ou leurs gardes. Ils sont utilisés comme bouche-trous. S’ils arrivent à passer le cap de la titularisation, ils sont intégrés au système. Mais les places sont rares. Leur statut devrait être précisé, surtout pour les plus anciens. Il ne faut pas non plus se cacher qu’un certain nombre d’étrangers sont arrivés avec des compétences acquises à Shanghai, en Ukraine, en Russie, à Cuba, nettement inférieures à celles exigées par le diplôme français. Notre devoir, bien entendu, est de les former. Je suis souvent confronté à de réels cas de conscience : la plupart des internes que nous encadrons ne retournent jamais plus dans leur pays d’origine. Pour combler les erreurs de gestion du système sanitaire, l’hôpital français pompe la matière grise de pays en développement. C’est inadmissible. Je travaille en liaison avec les hôpitaux de Madagascar, et j’ai formé plusieurs internes malgaches : tous sont restés en France. Le fossé se creuse toujours plus.

Ne faut-il pas leur laisser le libre choix, vu les conditions de travail qui leur sont proposées au retour ?
Qu’ils viennent en France ne me choque pas, sauf que ce n’est pas avec la mondialisation médicale qu’on va résoudre le marasme sanitaire de leurs pays respectifs. L’hôpital de Sfax, en Tunisie, où j’exerçais au début des années 1970, n’avait pas de médecins tunisiens. Les rares praticiens nationaux s’activaient dans le libéral, remplacés à l’hôpital par des coopérants français, bulgares, russes, polonais. Et puis, la Tunisie a formé ses propres médecins, elle s’honore aujourd’hui d’une bonne université, ses médecins sont revenus. Leur retour n’a pas été facile, mais vingt ans plus tard, les résultats sont là.

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