Cents jours, et déjà

En trois mois, la nouvelle présidente a pris la mesure du chantier qui l’attend après plusieurs décennies de gabegies et d’errements parfois sanglants.

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 5 minutes.

Voyage à Abuja, Abidjan et Dakar, après Bamako et Khartoum Déplacement en Occident, d’abord chez les principaux bailleurs de fonds européens, puis aux États-Unis avec un discours devant le Congrès américain salué par une standing ovation. Ellen Johnson-Sirleaf, investie le 16 janvier chef de l’État libérien, qui répète à l’envi qu’elle n’assurera qu’un seul mandat de six ans à la tête de l’État, veut aller vite. Et soigner au plus tôt les plaies de ce pays de 3 millions d’habitants détruit par vingt-cinq ans d’instabilité politique, dont quatorze de guerre civile. Elle a fait la tournée de ses pairs et de ses partenaires pour redorer le blason d’un État marqué du sceau de l’infamie pendant des décennies et s’attelle à faire front aux difficultés intérieures.
La tâche est rude, mais la volonté est là ainsi que des richesses, hier vandalisées, mal exploitées ou laissées entre les mains de trafiquants de tout acabit, qui ne demandent aujourd’hui qu’à être mises en valeur. Le sol fertile, où poussent avec facilité les arbres à caoutchouc, les palmiers à huile et autres arbres fruitiers. La forêt est l’une des plus riches réserves d’Afrique en matière de bois précieux, les collines du pays renferment du minerai de fer d’excellente qualité et – ce fut essentiellement le nerf de la guerre -, des diamants et de l’or en grande quantité.
C’est naturellement à ce secteur agricole qui occupe la majorité de la population que Johnson-Sirleaf s’est attaquée en premier. Tous les contrats d’exploitation forestière conclus par des entrepreneurs locaux ou étrangers ont été renégociés. À la clé, un nouveau cahier des charges, qui préserve l’environnement (sélection et quotas par essences, reboisement, etc.), garantit la rémunération des employés et prévoit même des compensations et intéressements aux populations locales.
Les ressources minérales ne sont pas en reste. Avec l’aide de la Mission des Nations unies au Liberia (Minul), qui fait des repérages aériens, le ministère de l’Aménagement du territoire, des Mines et de l’Énergie dresse actuellement une carte précise de tous les sites de creusement. Il s’agit de lutter contre l’existence de mines clandestines jusqu’ici entre les mains d’anciens chefs de guerre convertis en businessmen. Le pays a également demandé son adhésion au Processus de Kimberley, qui réglemente la circulation des pierres précieuses. Le Liberia souhaite ne plus servir de plaque tournante à la vente de gemmes extraites illégalement de son sous-sol ou venues en contrebande de pays voisins. C’est un pas vers la levée de l’embargo qui doit être discutée en juin prochain au Conseil de sécurité de l’ONU.
Parallèlement, un vaste plan de lutte contre la corruption est déjà engagé. Premier coup d’éclat : le limogeage de tout le personnel du ministère des Finances, du département du Trésor et du budget, du simple employé au ministre. Pour faire fonctionner l’ascenseur social, chacun a été appelé à repostuler soit à son ancien poste, soit à tout autre estimé plus en rapport avec ses compétences et son expérience. Nouveaux candidats ou anciens fonctionnaires sont désormais soumis à des tests d’aptitude professionnelle avant d’être recrutés. Toutes les nominations « politiques » décidées par le gouvernement de transition, voire par l’administration Taylor, sont annulées. Même coup de balai à venir au port de Monrovia, où de nombreux et puissants partisans de Charles Taylor tiennent encore le haut du pavé. Le maquis de l’octroi des pavillons de complaisance va être nettoyé. Au grand dam de tous les flibustiers de la planète qui contribuaient à donner une piètre image du pays.
La chasse est aussi ouverte contre la corruption dite ordinaire dans le service public. À la demande du chef de l’État, la ministre des Finances, Antoinette Sayeh, a entrepris de revaloriser les salaires, trop peu élevés par rapport au coût de la vie et payés de façon irrégulière. Et s’attelle à réinstaller une rémunération « au mérite », pour jouer sur les ressorts de la motivation individuelle et refonder un ordre moral que les années de guerre civile, de gouvernement « voyou » et de gabegie ont fait voler en éclats.
Objectif : satisfaire aux critères du Gemap, le programme de gouvernance et de management économique (Governance and Economic Management Program). Pour l’heure, des experts internationaux travaillent toujours à pallier les carences des institutions et administrations libériennes. Mais le défi se situe aussi sur le plan politique. Ellen Johnson-Sirleaf est arrivée au pouvoir avec son équipe, des hommes et des femmes avec qui elle a déjà travaillé. Elle a essayé de concilier compétences professionnelles et équilibre hommes-femmes. Reste à élargir la démarche à l’ensemble de la population.
Si l’arrestation de Charles Taylor, le 30 mars, a créé un choc cataleptique chez ses partisans, la réconciliation n’est pas encore chose faite. Johnson-Sirleaf compte sur la reconstruction et le redémarrage économique pour donner du travail aux jeunes désuvrés qui errent en grand nombre dans les rues de Monrovia et d’ailleurs, afin de les empêcher de se tourner à nouveau vers le mercenariat. Ce sont eux la « bombe à retardement » du Liberia, et tous les seigneurs de la guerre, Charles Taylor au premier chef, n’ont jamais manqué de puiser leurs troupes dans ce vivier.
Mais le décollage du pays nécessite du temps et de l’argent. En attendant, il va falloir avoir recours à l’indispensable Commission Vérité et Réconciliation. Elle est structurée – sur le papier – de façon semblable à celle qui fut si efficace en Afrique du Sud, mais peine à se mettre en place. Peut-être parce qu’elle n’a pas à sa tête une personnalité de l’envergure de l’archevêque Desmond Tutu, qui porta par son seul charisme une grande part du succès sud-africain. On aurait pu rêver que George Weah, qui a su provoquer un réel engouement populaire par sa candidature à la présidence, puisse jouer ce rôle
Du résultat de ses initiatives économiques autant que de sa faculté à réconcilier ses compatriotes et du soutien de la communauté internationale dépend l’avenir immédiat du pays. Ellen Johnson-Sirleaf le sait, qui entend montrer à la face du monde que la première femme démocratiquement élue à la tête d’un pays africain peut faire autant sinon mieux que les hommes. Elle en a déjà donné un avant-goût en cent jours. Et pourrait poursuivre dans la lancée pour peu que le service après-vente – les concours financiers et les appuis politiques des partenaires du Liberia – ne viennent pas à manquer prématurément.

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