Beyrouth, côté court

Pour sa quinzième édition, le Festival du film court de Pantin, dans la banlieue parisienne, a accordé une place de choix au cinéma libanais.

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 4 minutes.

Cérémonie des Césars, le 25 février 2006 à Paris. After-Shave du Libanais Hany Tamba reçoit le Prix du meilleur court-métrage. Ce n’est certes pas la plus audacieuse des réalisations libanaises de ces dernières années, le film est même assez conventionnel dans sa forme et son esthétique. Qu’importe, si cette récompense suscite une plus grande curiosité pour les cinématographies qui viennent du pays du Cèdre.
Curiosité que justement le Festival du film court de Pantin, à l’est de Paris, qui s’est tenu du 31 mars au 9 avril derniers, s’est proposé d’assouvir en consacrant la rétrospective de sa quinzième édition au cinéma libanais. Pourquoi ce choix ? « Je voulais concocter une programmation autour du monde arabe. Les discussions que j’ai eues avec plusieurs personnes m’ont amené à découvrir l’émergence de cinéastes libanais depuis une quinzaine d’années, ce qui correspond justement à la fin de la guerre », explique Jacky Evrard, délégué général du Festival, qui a fait le voyage au Liban pour se frotter de plus près au dynamisme de ces cinéastes. « Cette émergence m’a paru assez unique à travers le monde et me fait penser à celle qu’a connue la Corée après la démocratisation du pays », poursuit-il.
Un panorama de dix ans de création cinématographique (1995-2005) à travers soixante-quinze films courts, voilà donc le copieux menu proposé au public. Encore convient-il d’interpréter le terme « film court » au sens large. Puisque est considéré comme tel toute uvre qui ne dépasse pas une certaine longueur, qu’il s’agisse de vidéos expérimentales, de moyens-métrages et autres documentaires moins gourmands en fonds que les classiques longs-métrages.
Les auteurs ? Ils sont majoritairement nés à Beyrouth, nom d’ailleurs d’un collectif qui incarne cette nouvelle génération de cinéastes. La plupart d’entre eux n’ont pas encore soufflé leur quarantième bougie. Et tous n’ont pas été formés (formatés ?) dans des écoles de cinéma. Les plus brillants, comme Danielle Arbid ou le tandem Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige (voir Jeune Afrique n° 2356), ont étudié la littérature, le journalisme, la philosophie, voire le graphisme ou les arts plastiques. D’où, souvent, une approche très personnelle et intuitive lorsqu’ils se saisissent de la caméra.
Et que donnent à voir leurs uvres, pour la plupart tournées sur support vidéo ? Beyrouth, « ville en guerre avec elle-même », et la photogénique Méditerranée occupent très souvent l’écran. Voilà pour la dimension géographique. Quant à l’horizon thématique, il paraît, et on le comprend aisément, obnubilé par le passé tumultueux du pays, toujours présent même de manière sous-jacente via l’évocation d’un père, d’un frère, d’un proche disparu.
Le souci de mémoire semble une préoccupation constante chez nombre des représentants de la nouvelle génération de cinéastes qui refusent l’amnésie qu’on voudrait leur imposer. Cette volonté de lutter contre l’oubli est particulièrement poignante dans Khiam de Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige (2000), où ce duo a cherché à faire parler les anciens prisonniers d’un camp de détention créé en 1985 par Israël dans la « zone de sécurité » administrée par l’armée du Liban-Sud. Six ex-détenus (trois hommes et trois femmes) racontent la torture, l’arbitraire et les humiliations qui furent leur quotidien pendant de longues années.
C’est aussi le conflit qu’aborde le très ironique Tout va bien à la frontière (1997), journal des années de guerre signé Akram Zaatari. Ainsi que le très surprenant Seule avec la guerre (2000) de Danielle Arbid, qui a entre autres raflé un Léopard d’argent au Festival de Locarno. « À Beyrouth, entre 1975 et 1990, il y avait une guerre civile, c’est-à-dire que tout le monde voulait exterminer tout le monde. Aujourd’hui, la guerre est finie. Elle s’est arrêtée un jour, comme ça, après avoir gangrené nos vies. J’ai voulu filmer le vide qu’elle a laissé. Sa présence fantomatique », dit la voix off. La réalisatrice poursuit l’exploration de cette thématique dans Conversation de salon (2002), où elle filme des femmes de sa famille évoquant les années de guerre non sans une pointe de nostalgie. C’est aussi la guerre, façon intimiste également, que thématise le peu bavard mais très éloquent documentaire expérimental Ça sera beau (From Beyrouth with Love) tourné en 2005 par Wael Noureddine.
Les fantômes du passé ne sont pas absents non plus des écrans. Dans After-Shave, Hany Tamba met en scène monsieur Raymond, qui vit en reclus dans sa riche demeure avec le spectre de sa femme disparue. Cendres, de Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige (2003), nous transporte dans un salon bourgeois où amis et proches viennent présenter leurs condoléances. En l’absence du corps du défunt, incinéré conformément à ses dernières volontés, la veuve a voulu, « pour sauver les apparences », improviser un cercueil. Dans Nous (2005), enfin, Danielle Arbid a filmé les derniers jours de son père. « J’avais peur de perdre toute pensée de lui, toute colère contre lui, tout souvenir », confie-t-elle.
La guerre, la mort, le deuil rien de bien réjouissant, certes, mais il serait injuste de réduire les préoccupations des jeunes cinéastes présentés à Pantin à ces thèmes-là. Les aventures amoureuses, pas toujours traitées sous l’angle le plus romantique, il est vrai, inspirent également la jeune génération. L’été, la mer, l’insouciance et les rencontres furtives qui laissent parfois un petit être au fond des entrailles, voilà ce que filme Nadim Tabet dans Martine et Alia (2002). Tandis que dans Majnounak (1997), ce sont les confidences, souvent teintées de machisme, des petits dragueurs de la Corniche que recueille Akram Zaatari. Mahmoud Hojeij a choisi, lui, de nous concocter un faux documentaire, Shameless Transmission Desired Transformations per Day, où une police de moralité arrache des aveux à des jeunes femmes surprises en flagrant délit de relations sexuelles la nuit dans des voitures. Une façon pour ce réalisateur de dénoncer la « surveillance au cur de la vie quotidienne de Beyrouth ».
Autant de films qui nous confrontent à des réalités bien éloignées des clichés folkloriques et pseudo-authentiques sur le monde arabe que d’aucuns cherchent à colporter.

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