Arroseur arrosé

Un récent rapport britannique confirme que le mal n’est pas propre à l’Afrique. Les donneurs de leçons occidentaux en souffrent eux aussi.

Publié le 18 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

« Avant d’aller faire le ménage ailleurs, balayons devant notre porte. » C’est, en substance, le message que le groupe parlementaire multipartite sur l’Afrique (Africa All-Party Parliamentary Group – AAPPG) a fait passer au gouvernement britannique, à la fin mars. En remettant au Premier ministre Tony Blair un rapport intitulé « Le revers de la médaille : le Royaume-Uni et la corruption en Afrique »*, les représentants anglais ont stigmatisé l’absence de volonté politique de Whitehall de réellement lutter contre la corruption sur le continent. Une résolution dont Blair avait pourtant fait son cheval de bataille durant l’année 2005.
La Commission pour l’Afrique qu’il a mise en place en février 2004 puis dirigée, alors qu’il était président en exercice du G8, recommandait en effet aux pays industrialisés de lutter contre des pratiques d’un autre âge, jugées néfastes au développement. La moindre des choses, selon le rapport de cette fameuse Commission, était de faire place nette chez soi avant de demander aux dirigeants africains d’en faire autant. Car s’il y a corrompu, il y a forcément corrupteur. Mais un an après la publication du document, le 11 mars 2005, force est de constater que rien n’a changé. « Un certain nombre de cas notoires de corruption impliquent des sociétés ou des citoyens britanniques. À ce jour, quasiment aucun d’entre eux n’a été inquiété par la justice », déplore le rapport de 79 pages de l’AAPPG. « Le système financier international est un vaste gruyère qui permet que 1 000 milliards de dollars environ, acquis malhonnêtement, disparaissent chaque année. Et malheureusement, le Royaume-Uni – via la City de Londres, les territoires indépendants d’outre-mer et les dépendances de la Couronne notamment – est impliqué dans ces pratiques. Mais, parce qu’il a récemment pris les devants pour soutenir le développement de l’Afrique, il lui revient de s’attaquer aux structures internationales qui rendent possible la corruption. » Le rapport reprend les données de l’Union africaine : 150 milliards de dollars sortent chaque année illégalement du continent, ce qui représente un quart de son PIB total.
Après avoir détaillé les principaux secteurs où la corruption sévit en Afrique, les parlementaires reprochent au gouvernement de n’avoir toujours pas lancé la réforme de sa propre législation, de n’avoir ratifié la Convention de l’ONU contre la corruption qu’au mois de février 2006, et de l’avoir fait en sachant pertinemment que la loi britannique est loin d’en remplir les recommandations.
Par exemple, les cas de corruption au Royaume-Uni doivent être extrêmement étayés avant d’être portés devant la justice… à tel point que pas un seul procès n’a encore pu voir le jour contre un individu ou une entreprise qui aurait corrompu un fonctionnaire. En outre, le système britannique, si favorable à l’entreprenariat, serait devenu un dispositif prisé des blanchisseurs d’argent pour créer des sociétés-écrans. La City de Londres côtoie aujourd’hui la Suisse dans le portefeuille des escrocs. Et Notting Hill, un quartier chic de la capitale, a rejoint Monaco sur la liste des paradis pour dirigeants corrompus qui investissent dans l’immobilier sans être poursuivis.
Dernière source d’inquiétude : l’aide au développement, largement budgétisée par le Département pour le développement international (DFID). La multiplication des cas de corruption au sommet de l’État, au Kenya et en Ouganda, deux pays érigés en exemples de bonne gouvernance, montre pourtant que Londres devrait se montrer plus prudent.
Conclusion : entre autres recommandations, le rapport invite le gouvernement à déposer au Parlement, avant la fin de 2006, une loi contre la corruption afin de revoir celles datant de 1916. Il suggère également de mettre en uvre la directive européenne contre le blanchiment d’argent, de s’assurer que les dépendances de la Couronne et les territoires d’outre-mer se plient à la lutte contre la corruption, d’établir une liste noire des entreprises malhonnêtes, ou encore de nommer pour deux ans un « monsieur Propre » chargé de surveiller l’évolution de la législation et de son application.
La tâche s’annonce ardue. « Mais si l’on attend véritablement des leaders africains qu’ils luttent contre ce fléau, nous devons, martèle le rapport, soutenir leurs efforts et nous assurer que nos propres politiques, nos entreprises et nos citoyens tendent aussi vers ce but au lieu de le fouler aux pieds. »

* Rapport consultable en ligne sur : www.africaappg.org.uk

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